J’ai écouté Westside Gunn pour la première fois, par le plus grand des hasards, sur l’album Grandeur d’Apollo Brown et le morceau « Triple Beams ». Si son couplet ne m’avait pas profondément marqué, sa voix si particulière a tout de même laissé ses empreintes. Par la suite, lors d’une discussion avec The Alchemist (après un concert), ce dernier m’avait conseillé de me pencher sur ces deux rappeurs prometteurs que sont Westside Gunn & Conway. Quelqu’un « pistonné » par ALC, ça doit valoir le détour. De retour chez moi, je me lance donc dans l’écoute d’un EP sorti il y avait peu de temps : Griselda Ghost. Et là, c’est la claque. En duo avec Conway, ils découpent les beats avec une telle aisance et une telle violence dans le propos que j’en suis immédiatement hypnotisé, frappé comme par une balle en pleine tête. J’ai l’impression que cela faisait plusieurs années que je n’avais pas écouté quelque chose qui m’ait autant marqué au premier abord. A tel point qu’aujourd’hui encore j’ai parfois du mal à passer une journée sans écouter au moins une fois un morceau de l’un de ces deux artistes. En cette année 2016, un ouragan vient souffler sur le rap East Coast, il porte le nom de Griselda Records.
La première façon de se démarquer pour ces deux « nouveaux venus » dans le rap, c’est avant tout la voix. Si cet élément n’est que peu volontaire, il n’est pourtant pas négligeable. En effet on identifie assez facilement le timbre très aigu de Westside Gunn et la façon de rapper de Conway, qui n’articule que peu en raison d’une blessure par balle ayant causé une paralysie faciale. Dans une période où le rap a tendance à s’uniformiser aussi bien sur le fond que sur la forme, difficile de ne pas distinguer ces deux rappeurs du reste de la masse.
Si Westside Gunn réside à Atlanta, il ne cesse de représenter sa ville natale de Buffalo, tout comme son acolyte Conway. C’est bien la vibe East Coast et l’aspect hyper-violent de la « Queen City » (surnom de la ville de Buffalo) qui ressort de leurs performances. Fusillades, vente de drogue, jeunesse en péril, autant de problèmes attachés à l’image de la ville qui sont mis en lumière dans les couplets des deux rappeurs, aussi bien de façon imagée et implicite que de la manière la plus directe possible. Cette image les habite à tel point que WSG a choisi de nommer son label d’après Griselda Blanco, célèbre baronne de la drogue colombienne, reconnue pour son importance dans le trafic de cocaïne aux Etats-Unis ainsi que pour de nombreux meurtres.
Ainsi, sur le plan lyrical, Westside Gunn et Conway renouent un peu avec la tradition des rappeurs new-yorkais des 90’s en délivrant de véritables fresques auditives. En fin de compte, l’auditeur peut visualiser assez facilement l’ambiance et les scènes dépeintes et comprend l’état d’esprit dans lequel se trouvent Hall & Nash. Doux mélange entre un argot de rue à la Raekwon et un rap très « street criminal » façon Big L, leur style puise dans les grands classiques du genre mafieux tels que Only Built 4 Cuban Linx ou encore Reasonnable Doubt. La plupart de leurs morceaux sont fondés sur un vécu personnel, relatent les aléas de la vie dans les banlieues de Buffalo : les aller-retours en prison, le destin tragique de proches qui se font assassiner, le trafic de drogue comme passage inévitable. Cet apport d’expérience dans le propos confère ainsi à certains titres un aspect plutôt émotionnel et introspectif sur ce passé sinistre.
Maybe god ain’t want me killing them niggas
And doing time
Maybe god wanted me here to kill em’ with the rhyme
Maybe that was part of his plan and part of the design
I don’t know I’m not religious
All I know is I’m viciously gifted
When I script and it’s strictly for my niggas
I might shed a tear listening to this shitWestside Gunn feat Conway – The Cow
En dehors d’une vie de gangsters (ou du moins d’un passé) totalement assumé, les deux lascars partagent bien souvent leur côté épicurien. Cela passe bien sûr par le goût pour les produits de luxe et la nourriture de qualité. Ils n’hésitent donc pas à lancer eux-mêmes leurs propres textiles, spécialement conçus pour les fans.
Le name-dropping, assez récurent dans les couplets de Westside Gunn ainsi que ceux de Conway, explore les domaines de la mode à travers des figures telles que Tom Ford ou Karl Lagerfeld (sans parler des différentes grandes marques), mais également le milieu du divertissement. Il n’est donc pas rare de les entendre mentionner des joueurs de la NBA ou des catcheurs, ce qui leur a notamment inspiré le surnom de Hall & Nash, titre de leur EP commun sorti en 2015. Toutefois ces références ne sont pas anodines, chacune d’entre elles sert de métaphore pour des histoires de criminalité la plupart du temps :
« Lil’ homie like to grip his ruger, he’s 17 but he been a shooter like Dennis Schröder »
Benny feat. Westside Gunn & Conway – Tom Ford Socks
Pour les deux renégats de Buffalo, le meilleur moyen pour faire la promotion de leur musique (en dehors de quelques tweets mégalos), c’est d’entrer en studio. En véritables mercenaires ils saisissent la moindre occasion de rapper un couplet pour une poignée de dollars. C’est pourquoi vous verrez assez régulièrement leurs noms associés à des projets, plus ou moins importants, du rap underground. Grâce à sa série de projets Hitler Wears Hermes, l’auto-proclamé FLYGOD va s’attirer les éloges de grands noms du rap que sont par exemple Royce Da 5’9″, Statik Selektah ou encore Alchemist.
En 2016, en plus de l’album FLYGOD (qui fait partie des meilleurs albums de cette année), Westside Gunn et Conway ont sorti à eux deux pas loin d’une dizaine de projets (albums ou EPs) et l’effet coup de poing est présent à chaque fois. Cependant, cette hyperactivité peut forcément en lasser certains ou même rapidement montrer les limites des deux MCs. Mais la fanbase solide dont ils disposent ne l’entend pas de cette oreille. Jamais rassasié, une fois qu’on prend goût à ce « Fly shit » on en redemande toujours. Les aficionados sont la vraie force de Westside Gunn pour son label Griselda Records. Le moindre produit associé à leur nom (vinyles, t-shirts, casquettes….) est en rupture de stock en quelques minutes (même si cet élément à modérer en raison des quantités de production relativement modestes).
Dernier élément, et pas des moindres, c’est l’homme de l’ombre qui se cache derrière le « succès » de Westside Gunn et Conway : leur beatmaker Daringer. Également résident de Buffalo, ce dernier a produit les trois quarts de leurs titres en y apportant une touche si particulière. Le panel de production de Daringer peut facilement varier et passer de morceaux aux ambiances sinistres, alliant drums épurées et samples ténébreux à des titres plus percutants dans une vibe à la fois boom bap et très mélodieuse. Quoi qu’il en soit, il transparaît dans sa production une volonté de laisser les MC mettre leur travail d’écriture en avant. Attitude qui est totalement à l’opposé de la tendance actuelle dans le rap, où l’instrumental prime sur le rappeur.
Hyperactif en 2016, les deux rappeurs ont ainsi montré que Buffalo n’est pas qu’une ancienne ville industrielle aujourd’hui morte, mais qu’elle cache de nombreuses surprises. Bien déterminés à se faire une place importante dans la scène rap, Westside Gunn et Conway sont les rappeurs à surveiller de près dans les années à venir. Toutefois, le Flygod lui-même l’a dit, cette activité n’est qu’éphémère, et il la mettra bientôt de côté pour se concentrer sur la gestion de son label ainsi que sa passion pour la mode.
Afin de découvrir quelque chose d’un peu plus concret à propos de ces deux rappeurs originaires de Buffalo, nous vous avons concocté une playlist de 10 morceaux qui explore à la fois les projets communs de Westside Gunn & Conway, mais aussi leurs solos ou leurs featurings.
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