Par quoi commencer ? Rejjie Snow vient de nous livrer Dear Annie, la Terre tourne et nous l’attendions depuis quelques temps déjà. Vingts morceaux très précisément et une heure tout juste composent cet opus que les plus défiants n’attendaient plus. En veinards, nous avons pu y jeter une oreille et voici ce qu’on en a pensé.
En 20 tracks, le kid de Dublin nous laisse comprendre de quel parapluie il se chauffe. L’amateur de hip-hop pur et dur n’y retrouvera pas son compte et celui qui attend une prose fade et sans qualité peut passer son chemin. Rejjie Snow se fout des codes, des attentes et plus encore du qu’en-dira-t’on. Les lyrics sont calés et parfois même chantés, le beat (quand il s’impose) calibré et nos oreilles vraiment choyées. Il faut dire qu’en s’entourant de producteurs de la trempe de Kaytranada, Cam O’bi ou Rahki, on ne pouvait pas être déçu.
Rejjie Snow s’affranchit des limites et semble répugner les étiquettes plus que quiconque. Au delà de cet opus transgenre dont finalement seule la sève nous intéresse, les tribulations du natif de Dublin peuvent déjà constituer un roman quand, à 23 ans, il a déjà connu les honneurs du succès musical au détriment d’une carrière de footballeur qui lui est apparue trop convenue. Dear Annie, c’est un histoire de cela : un pot-pourri de récits biographiques et onyriques. Qui somme toute, s’inscrit parfaitement dans la discographie de cet OVNI du rap.
S’il a soigneusement veillé à ne pas disparaître des radars en sortant un EP et des singles de très grande qualité en 2017 (on pense notamment à « Crooked Cops« , « Pink Beetle » ou « Flexin' »), rappelons que la sortie de ce projet a déjà été repoussée à plusieurs reprises, quitte à rendre les fans apoplectiques. Alors en bon maître du Temps, il a sorti par surprise 2 EP (Dear Annie : Part 1 et 2) contenant chacun 4 titres pour préparer le palais auditif des plus impatients. Approche originale d’ailleurs, puisque tous les morceaux présents sont au tracklisting de Dear Annie. On pense notamment au joli « Egyptian Luvr » où il convie Aminé et Dana Williams, laisse la production à Kaytranada et dont le clip épileptique a réchauffé ce début d’année.
Dans ce projet, Rejjie Snow n’en est pas à une surprise près. Déjà entouré de producteurs à la renommée internationale, il offre aussi une place de choix à des ombres de studio en éclosion et à … la France ! Quitte à installer sa prose dans une forme de cliché du romantisme à la française dont il avait tenté de nous avertir avec le réussi et décalé « Désolé » de Dear Annie Part. 1, le Dublinois réitère l’expérience et va plus loin encore avec « Mon Amour ». Sans savoir si le clin d’œil est volontaire, voilà un morceau que ne renierait pas le grand Serge G., entièrement chanté en français, et mené par Milena Leblanc qu’accompagne Rejjie. D’ailleurs, l’hommage à la Patrie de l’Amour ne s’arrête pas là puisque ce titre est produit par Lewis OfMan, un producteur parisien qui a signé six morceaux de ce projet dont le single « Rainbows » (Dear Annie : Part 2).
Dans cet opus, on a l’impression que Rejjie Snow s’attache à déconstruire tous les codes qui entourent le game : son ton, les productions et même les thèmes abordés. Communiquant au micro la même nonchalance que dans sa démarche artistique, il livre un projet dans lequel il s’impose comme un rappeur ne cherchant pas à masquer sa personnalité derrière des artifices ou à éluder sa propre vulnérabilité. Au contraire, l’opus apparaît comme une catharsis ou un exutoire à ses désillusions. Pour preuve, on peut citer le magnifique couple formé par les morceaux « The Wonderful World of Annie » et « 23 » dans lesquels il expose avec pudeur des situations que nous avons certainement tous connues. Le tour est tellement réussi qu’il parvient à donner à ses choix artistiques kitsches un cachet incroyable qui distingue cet opus de bien des tentatives de ce genre qui relèvent d’attentats au bon goût.
Autre exemple qu’on dirait servi sur une table en formica, la trame narrative où Rejjie Snow est interviewé par un animateur radio un peu décalé et qui semble peu concerné par son sujet tellement les anecdotes qu’il rapporte et son décalage de ton avec l’artiste sont marqués. Mais le truc fonctionne : le décalage de cet animateur ringard et la nonchalance de Rejjie Snow tiennent le sujet et conduisent gentiment le projet à son terme.
Au final, Dear Annie est un superbe opus qui assume son discours, son approche et qui marque une réelle démarche artistique. Démarche d’autant plus intéressante qu’elle a été capable d’emmener avec elle des talents comme les producteurs de l’album et des featurings qui apportent une immense fraîcheur à l’opus par leur justesse et l’amplitude qu’ils confèrent à chaque morceau.
Rejjie Snow a visé juste avec cet opus. Dans la lignée de ses précédents, celui qui confesse crânement que son premier amour a été la lune (cf. l’EP The Moon & You sorti en 2017) continue à vivre et à nous narrer les épisodes qui font de sa vie un chouette parcours humain et artistique. Avec la nonchalance du gars qui ne réclame rien mais dont les talents lui apportent tout. Un côté rageant pour certains, un plaisir que la vie offre parfois de telles opportunités pour les autres. Un regret tout de même : on en réclame plus. Avec vingt tracks dans l’opus dont huit déjà connues et des skits, il y a certes de bonnes surprises mais on est gourmands. Un grand album livré par un personnage qui a été accusé de paresse voire de fainéantise, mais qui semble juste avoir pris le temps de polir sa gemme. Quant à Annie, on vous laisse découvrir qui elle est… Bonne écoute.
Rejjie Snow – Dear Annie
Rejjie Snow sera sur la scène du Trianon le 15 mars prochain mais également en tournée dans plusieurs autres villes françaises.