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Comment Kaytranada est devenu l’un des producteurs les plus influents du game

Il y a quelques jours sortait le clip du tube « Meditation« , dernier extrait clippé de l’excellent album de GoldLink At What Cost. Aux manettes de cette production au groove irrésistible, un certain Kaytranada. Si ce nom ne vous dit encore rien, c’est que vous ne faites probablement pas partie du demi-million de followers que le producteur canadien a accumulé sur SoundCloud ces dernières années. Et c’est surtout une très bonne raison de continuer à lire ce portrait long format de celui qui a reçu les louanges de plus grandes figures de la sphère hip-hop : de Andre 3000 à Erykah Badu en passant par Mobb Deep, Rick Rubin et même… Janet Jackson.

A Guy Called Kaytradamus

Si l’histoire de Louis Kevin Celestin (alias Kaytranada) devait débuter à Haiti, il n’y passera finalement que quelques mois avant que sa famille ne déménage vers le Canada et atterrisse dans une banlieue calme de Montréal. Condamné à trouver des activités d’intérieur du fait des rudes conditions climatiques qui sévissent dans la région, Kevin et son jeune frère Louis-Philippe (alias Lou Phelps) occupent leur temps libre en écoutant la crème du rap commercial du début des années 2000 (Dipset, Ludacris, G-Unit, Outkast, The Neptunes) mais également les classiques de la décennie 90 (A Tribe Called Quest et Mobb Deep notamment).

Après quelques leçons de piano qui prirent fin prématurément, Kevin découvre les joies du mix avec le célèbre Virtual DJ. Alors qu’il s’amuse à réaliser ses premières boucles sur ordinateur, son frère le pousse à installer Fruity Loops afin de réaliser leurs propres beats. Kevin n’a que 14 ans à l’époque de ces premières expérimentations. Dix années plus tard, il avoue toujours utiliser FL Studio dans certaines de ses compositions.

Après quelques années de pratique, Kevin commencent à uploader ses premiers beats sur MySpace – qui, pour les plus jeunes, était le SoundCloud avant SoundCloud. Officiant sous l’alias Kaytradamus, le jeune beatmaker, qui témoigne ne pas avoir eu beaucoup d’occasions de fréquenter des soirées ou concerts étant adolescent, va rapidement se rendre compte qu’une importante communauté de passionnés de beats est en pleine émergence autour de sa ville de Montréal. Avec des beatmakers tels que Kenlo Craqnuques, High Klassified ou encore Vlooper, Kaytra va découvrir une scène beat florissante qui se donne rendez-vous chaque week-end au club Arbeat Montréal, où auront lieu au début des années 2010 les plus épiques beat battles que le Québec ait connu.

Cette scène, d’après les dires de certains spécialistes, n’avait alors pas grand chose à  envier à la scène beat californienne (dont les soirées Low End Theory furent le fer de lance), tant en terme de dynamisme que de talent de ses protagonistes. Parce qu’il était impossible de définir précisément le style musical qui sortait des machines de ces disciples de Madlib et J Dilla, le beatmaker Vlooper (aujourd’hui membre du collectif Alaclair Ensemble) invente le terme « Piu-Piu musique », un courant musical à part entière qui est raconté dans le documentaire ci-dessous et auquel Kaytradamus a évidemment participé.

Mais revenons à notre sujet du jour. Si les plus attentifs d’entre vous sont sûrement familiers des productions que Kaytranada diffusera sur son SoundCloud à partir de 2012, peu d’entre vous auront peut-être eu la curiosité d’aller écouter le travail de ce producteur de génie lorsqu’il utilisait encore l’alias Kaytradamus. Dans ses premiers travaux, on retrouve logiquement les influences majeures de J Dilla et Madlib, que Kaytranada avoue d’ailleurs avoir passé beaucoup de temps à imiter, notamment dans la programmation des drums, avant de trouver son propre style. Mais ce n’est pas tout puisque très tôt, le producteur montréalais a également été profondément influencé par des artistes electro tels que Justice ou Daft Punk, dont on reconnait clairement l’hommage dans ce « I Fall For You » datant de 2011.

Ultra productif, Kaytradamus lâchera en tout une douzaine de projets instrumentaux sous ce premier pseudonyme. Si un travail d’excavation ardu se dresse devant celui qui souhaiterait remettre la main sur l’intégralité de ces projets, on ne peut que vous recommander de prêter au moins une oreille à l’excellent EP Kaytrap, qui laisse entrevoir les prémisses du « style Kaytranada », à savoir cette programmation de drums et basses si particulière qui sera dès lors sa marque de fabrique.

De Kaytradamus à Kaytranada

Aux alentours de 2012, Alors que ses beat-tapes commencent à accumuler quelques vues sur YouTube et la plateforme grandissante Bandcamp, Kaytranada est approché par le label HW&W (pour Huw What & Where). Implanté à Los Angeles et à Toronto, HW&W est, avec Soulection, une des très rares structures ayant réussi à se faire un nom au sein de la scène beat en regroupant sur une première compilation, certains des beatmakers les plus actifs de l’époque (Elaquent, Evil Needle, Sango, Ta-Ku ou encore Bahwee, devenu depuis Directeur Artistique du label). A la suite de sa première sortie sur HW&W pour le titre « Voices » en featuring avec Sango, il décide d’abandonner le nom de Kaytradamus au profit de Kaytranada, emprunté au nom d’un de ces projets sorti un peu plus tôt au cours de cette année 2012.

Il faudra attendre la sortie de l’EP Kaytra To Do, premier projet signé chez HW&W pour voir Kaytranada officialiser son changement de nom. Cet EP vaudra à Kaytranada ses premières retombées médiatiques, grâce notamment aux bangers « Killa Cats » ou encore « Holy Hole in a Donut », instru qui sera reprise par le rappeur français Espiiem pour son titre « Kilimandjaro« .

Frustré du faible intérêt du public comme de la critique pour les producteurs de beat music, Kaytranada se lance un peu par hasard, dans l’univers du remix en ouvrant son compte SoundCloud courant 2012. Si les premiers remixes postés tendent logiquement vers ces premiers amours (le rap 90s et la néo-soul du début des années 2000), il aura un soir l’excellente idée de s’attaquer à un tube de Janet Jackson datant de 1993 intitulé « If ». En mélangeant les vocaux de l’ex-star mondiale de la pop avec un beat groovy à souhait entremêlant des influences house, disco et trap, Kaytranada déclenche un véritable buzz. En quelques semaines, et grâce également aux autres remixes qui suivirent (Nelly Furtado, Teedra Moses ou encore Missy Elliot), son compte SoundCloud passa alors de quelques milliers de followers à plus d’un million, faisant de lui l’une des premières « stars » de la plateforme et de ses remixes R&B une tendance de fond chez les producteurs de beat music.

From 0 to 100 99.9%

A partir de 2013, le succès de ses nombreux remixes oscillant entre house et R&B permettent à Kaytranada de voir sa cote DJ prendre de valeur. Ce qui lui vaudra d’être invité à jouer dans divers clubs, au Canada tout d’abord puis en Europe, aux US et en Australie. En tournée aux côtés de l’artiste Ryan Hemworth, Kaytra se voit rapidement coller une étiquette de DJ house / electro avec laquelle il avoue aujourd’hui ne pas avoir été hyper à l’aise. Une étiquette dont il aura d’autant plus de mal à se défaire après le succès de son maxi « At All / Hillary Duff » qui fera des ravages auprès des amateurs de musique électroniques à l’automne 2013.

Alors qu’il aurait pu profiter pleinement des joies de la vie d’artiste en tournée, Kaytra passe à cette époque par une période de déprime. Lui qui avait rêvé de produire pour les plus grands et de sortir des classiques, il se retrouve cantonné au titre de « DJ à la mode » et joue tous les soirs pour un public branché qui ne connait souvent rien de son travail de producteur. En 2014, il demande à son agent de stopper tout booking et décide de retourner à Montréal pour se concentrer sur un projet qui lui tient à coeur : l’enregistrement de son premier album solo, signé quelques mois auparavant chez le prestigieux XL Recordings, label avant-gardiste ayant servi de rampe de lancement à des artistes majeurs tels que M.I.A, Adèle, SBTRKT, The XX ou encore Tyler, The Creator.

De retour au pays, Kaytra rentrera pendant près de deux ans dans une période d’hyper productivité puisqu’en plus de l’enregistrement de son album 99,9%, le producteur canadien produira également l’intégralité de la mixtape Supreme Laziness de The Celectics, duo qu’il forme avec son frère rappeur, Lou Phelps. Mais ce n’est pas tout puisqu’il multipliera à cette époque les collaborations avec GoldLink, Vic Mensa, Freddie Gibbs, Mick Jenkins ou encore Pusha T. Il aura même l’occasion d’accomplir un de ces rêves de gamin en produisant un morceau pour Mobb Deep (« My Block« ).

En mai 2016, Kaytranada met fin à plus de deux ans de labeur et livre son premier LP intitulé 99,9%. Exit les albums 100% beat, Kaytranada a désormais dans son carnet d’adresse de nombreux artistes de renom désireux de travailler avec lui. Il invite ainsi Craig David, Anderson .Paak, Little Dragon ou encore Phonte (Little Brother) sur ce sublime projet qui, très vite, s’attire les louanges unanimes du public comme de la critique. Le succès de l’album est massif et Kaytranada entame alors une tournée mondiale qui a tenu toutes ses promesses lors de son passage par Paris en mai 2016. Fin 2016, 99.9% est même consacré par le prix de meilleur album de l’année au Polaris Music Prize (équivalent des Victoires de la Musique au Canada).

Avec ses productions beat teintées de hip-hop, de house et de disco/funk, Kaytra devient un des premiers artistes issus de la scène beat SoundCloud à atteindre un succès commercial aussi important (après Disclosure). Pour couronner ce sacre, le jeune canadien a reçu l’année dernière l’adoubement du très respecté The Fader qui lui consacre une de ses fameuses cover story, au cours de laquelle Kaytranada fera d’ailleurs son coming out public.

Loin de s’arrêter là, en 2017, le Montréalais semble bien décider à confirmer son statut de producteur superstar en produisant pour des légendes (Mary J Blidge, Gorillaz) comme pour des artistes extrêmement prometteurs tels que GoldLink, Mick Jenkins ou encore Buddy, un jeune rappeur californien dont l’EP Ocean & Montana est une vraie pépite…

Antoine Bosque

Receleur de discographies sur Emule dans les 2000's. Illmatic addict, mais adepte du rap c’était mieux maintenant. Digging in the cloud pour le meilleur et parfois pour le pire.

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