Producteur de Common, mentor de Kanye West et business partner de Jay-Z, voici comment pourrait être résumé l’impressionnant CV de No I.D. Pourtant, le moins qu’on puisse dire est que Dion Wilson est loin d’avoir la renommée des artistes avec lesquels il a longtemps collaboré. C’est pourquoi nous avons choisi aujourd’hui de mettre la lumière sur ce vétéran du Hip-Hop, de ses débuts dans le Southside de Chicago, jusqu’à son accession au poste très convoité de Vice President of A&R de Def Jam.
Dion Wilson naît dans la banlieue sud (« Southside ») de Chicago, tristement célèbre pour être devenue au fil des ans une des zones les plus dangereuses des Etats-Unis, comme le décrit Spike Lee dans son dernier film : Chi-Raq. A l’âge où il commence à s’intéresser à la musique, c’est-à-dire au début des années 80, le paysage musical de la ville n’a pas grand à chose à voir avec le Hip-Hop. L’heure est encore au disco et à la pop black sur-vitaminée de Michael Jackson, Prince ou encore Stevie Wonder. Dans le même temps, la ville de l’Illinois voit germer les prémices d’un mouvement House porté par des DJs tels que Frankie Knuckles ou Mr Fingers, qui inculqueront une vraie « culture club » à la jeunesse Chicagoan.
C’est dans ce melting pot musical que le jeune Dion commence sa carrière en tant que DJ dans les clubs locaux. Rapidement, il sera séduit pas l’énergie de la culture Hip Hop et sera un des premiers à tenter de développer ce mouvement dans son quartier du Southside. Une rencontre sera alors déterminante, celle d’un jeune rappeur du nom de Lonnie Rashid Lynn, qui fait alors partie du groupe C.D.R. et qui deviendra quelques années plus tard Common Sense.
En 1991, No I.D. qui officiait à l’époque sous le nom d’Immenslope, produira alors le beat du morceau « Take It EZ », qui vaudra à Common d’apparaître dans la section « Unsigned Hype » de The Source et qui mènera à la signature de ce dernier sur le label Relativity Records pour l’enregistrement du mythique album Can I Borrow a Dollar?
Common Sense – « Take It EZ »
Suite au succès underground de ce premier album, notamment grâce aux autres singles « Breaker 1/9 » et « Soul by the Pound », Common et No I.D. auront l’occasion de continuer à travailler ensemble sur deux nouveaux albums. Tout d’abord Resurection, sorti en 1994 et qui contient le classique « I Used to Love HER », un titre qui donnera une première impulsion à la carrière de producteur de No I.D. Puis en 1997, c’est l’album One Day It’ll All Make Sense qui lui offrira l’opportunité de produire un titre pour Lauryn Hill avec « Retrospect for Life ».
Common Sense – « I Used to Love H.E.R »
Dion Wilson n’est pas du genre à se mettre en avant. Mais quand Kanye West lui même affirme dans ces titres « Last Call » puis plus tard « Big Brother » que No I.D. a été pour lui un véritable mentor, on est tentés de penser que le garçon a joué un rôle prépondérant dans la carrière de Yeezy. Lorsqu’on l’interroge sur ce rôle de mentor, No I.D. répond simplement que les deux artistes se sont rencontrés par l’intermédiaire de leurs mères qui étaient amies, alors que Kanye était encore ado. No I.D. avait alors permis au jeune Kanye d’enregistrer son premier titre, un pur concentré de gangsta rap assez puéril que personne ne semble avoir retrouvé mais qui reflétait déjà un certain talent pour la composition, d’après les dires de Wilson.
Ensuite, No I.D. sera à l’origine d’une rencontre déterminante dans la carrière de Kanye : celle de Kyambo « Hip Hop » Joshua, un ami de Wilson mais également un A&R de Roc-A-Fella, qui lui ouvrira la porte du label et permettra au jeune producteur en polo rose Ralph Lauren de placer ses premiers beats à succès pour Beannie Sigel (« The Truth« ) et bien sûr Jay-Z sur « This Can’t Be Life » puis sur l’album The Blueprint.
Bien qu’il ne participa pas directement à la création de The College Dropout, No I.D. assura alors la lourde tâche de manager le jeune Kanye, qui vivait alors ses premières heures de gloire. Une tâche ardue qu’il partageait avec Peter Kang, également A&R pour Common, et qu’il finira par abandonner pour « sauver son amitié avec un Kanye West déjà très compliqué à gérer sur le plan émotionnel ». Dans une interview pour Complex, il raconte notamment comment Ye a sabordé sa signature chez Columbia en affirmant à la face de son Président Michael Mauldin qu’il allait détrôner Jermaine Dupri… qui n’est autre que le fils de Mauldin. Malaise.
Plus tard, en 2008, Kanye fera à nouveau appel à son mentor pour produire un des titres phares de son album 808s & Heartbreak, le très introspectif « Heartless ». Cette période correspond d’ailleurs à un véritable momentum dans la carrière de producteur de No I.D., qui collaborera en l’espace de deux ans avec la majeure partie des artistes de Def Jam : Jay-Z, Rhymefest, Rihanna, Killer Mike, Rick Ross ou encore Drake (Thank Me Later) pour n’en citer que quelques uns.
A noter également qu’il occupera une place prépondérante (CEO), au sein de GOOD Music, le label crée par Kanye West après le succès international de son premier album. De la création du label en 2004 jusqu’à sa démission en 2011, No I.D. accompagnera Yeezy dans l’aventure qui verra la sortie d’albums inoubliables (Be et Finding Forever de Common, Get Lifted de John Legend) et propulsera les carrières d’artistes majeurs du rap d’aujourd’hui tels que Kid Cudi, Big Sean ou Pusha T, actuel CEO du label.
Si la carrière de producteur de No I.D. est étroitement liée à celle de Common, sa réputation dépasse largement les murs de la cité de l’Illlinois. C’est à Atlanta qu’il exporte ses services, et plus particulièrement pour les besoins du label de Jermaine Dupri, So So Def. Auréolé par les succès commerciaux des hits R’n’B des groupes Xscape et Jagged Edge, Dupri enrôle No I.D. pour co-produire des hits du label comme « My Boo » du duo Alicia Keys/Usher en 2004 ou « Let Me Hold You » de Bow Wow en 2005. Plutôt ingrat, Dupri omettra de mentionner son nom dans les crédits du single « My Boo ». Quelques années plus tard, il se rattrapera en avouant que No I.D. lui avait appris plusieurs techniques de découpage de samples.
Cet épisode consolide son statut de beatmaker polyvalent, mis en valeur sur son premier excellent album Accept Your Own & Be Yourself paru en 1997. Cet ultime essai contient des bijoux comme le single « Sky’s The Limit » ou encore « Pray For The Sinners ». Malheureusement, les projets solistes de No I.D. se limitent à ce Accept Your Own… et un album instrumental The Sampler Vol 1 en collaboration avec un autre producteur de Chicago, Dug Infinite, paru en 2002, où apparaît un remix de la version instrumentale de « I Used To Love Her ».
No I.D. – « Sky’s the Limit »
Dorénavant, l’ancien DJ de Chi’ est devenu un producteur reconnu dans le milieu. Entre 1999 et 2011, il devient extrêmement prolifique et éclectique dans le choix de ses productions. Rihanna, Kanye West, Rick Ross, Jay Z, Method Man, Drake, Jamie Foxx choisissent ses compositions. On lui doit des tubes incontournables comme « Run This Town », « Holy Grail » ou « My Last » de Big Sean avec Chris Brown. Son nom est alors synonyme de machine à tube.
Altruiste et discret, son rôle dans l’industrie musicale prend de plus en plus d’ampleur. Il retrouve en 2011 son ami Common pour la réalisation de son neuvième album The Dreamer/The Believer. L’année d’après, il obtient également la production exécutive du dernier album en date d’un autre monument du Hip Hop en la personne de Nas, avec Life Is Good.
2011 semble être une année charnière dans la carrière de No I.D. Après s’être installé à Beverly Hills, il fonde en effet le collectif Cocaine 80s composé entre autres de Common, James Fauntleroy ou la chanteuse Jhené Aiko. Surfant sur la vague des combos mêlant Hip Hop et Neo Soul, Cocaine 80s signera quatre mini albums de bonne facture de 2011 à 2013. Le collectif apparaît aussi sur les albums de Nas, Common ou la compilation Cruel Summer du label GOOD Music. Ce projet combine à merveille les goûts musicaux de No I.D. : le rap, la Soul rétro et un brin de Jazz.
En 2013, No I.D. avouait au magazine Complex que le co-créateur du mythique label Def Jam, Rick Rubin, demeurait son modèle en matière de business musical. Enrichi par son expérience au sein de GOOD Music, Dion Wilson se voit offrir le poste de vice président de l’A&R chez Def Jam, un an après ces confessions. Il appellera son mentor Rick Rubin avant de prendre sa décision. Une marque de respect et de confiance qui confirme la volonté de No I.D. de s’inscrire dans la tradition de cette institution de l’industrie rap. Si il est déterminé à renouveler l’image vieillissante du label, le producteur de Chicago tient à garder une ligne artistique qualitative.
Entre temps, No I.D. s’applique à créer sa propre structure de production nommée ARTium Recordings, dont les premières signatures seront le fidèle Common, la chanteuse californienne Jhené Aiko, ou encore le jeune Vince Staples, à l’époque affilié au collectif Odd Future. Ce dernier choix est significatif de la volonté de No I.D. d’embrasser une nouvelle génération d’artistes moins impliquée dans l’aspect « culture Hip Hop » mais au moins aussi revendicative que leur aînés.
Désireux de s’impliquer entièrement dans cette transition, No I.D. accompagne ses nouveaux artistes en studio en prenant la direction artistique des albums de Logic, Big Sean ou encore de ses poulains Vince Staples et Jhené. Il participera également à l’éclosion d’une des stars de cette nouvelle génération, J. Cole, sur son album à succès, 2014 Forest Hills Drive. Il contribue aussi à la notoriété de Big Sean, déjà repéré par GOOD Music en 2012. Depuis, le natif de Detroit tutoie les sommets du Billboard avec ses deux albums Hall of Fame en 2013, Dark Sky Paradise en 2015 et le tout récent I Decided. En parallèle, il développe le parcours artistique du rappeur du Maryland, Logic, via la réalisation de son premier album Under Pressure en 2013. Il a su composer avec la personnalité atypique de Logic, pour l’imposer comme un artiste incontournable de cette nouvelle génération avec son second album The Incredible True Story en 2015.
En façonnant la direction artistique de tels artistes, No I.D. rénove la crédibilité critique d’un label chargé d’histoire tout en lui assurant des succès dans les charts. Il promet ainsi un avenir radieux à Def Jam qui, de l’autre côté de l’Atlantique, continue d’être pertinent avec le développement d’artistes emblématiques de la génération Y. Reconnu par ses pairs comme un producteur précurseur couplé d’un dénicheur de nouveaux talents exceptionnel, No I.D. est un des rares à avoir su traverser les différentes époques de sa musique sans jamais paraître décroché. Homme de l’ombre, il a contribué à inscrire Chicago sur la carte du Rap US, en initiant de nombreux disciples, dont le plus génial dans sa folie créatrice reste un certain… Kanye West.
Ce dossier a été co-écrit par 2one et Rémi s’inscrit dans notre série spéciale Kanye West que nous vous invitons à célébrer avec nous lors de notre Kanye Party, le 23 février à La Place (Paris 1er).
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