Depuis fin septembre, les téléspectateurs de Netflix peuvent se délecter des exploits du premier super-héros d’Harlem, Luke Cage. Les fans d’une des principales figures noires de Marvel (avec Black Panther) se réjouissent de la matérialisation télévisuelle de ce héros de papier crée en 1972. Les Hip-Hop heads s’amusent quant à eux à repérer les différentes références empruntées à leur culture, distillés dans les 13 épisodes de la série. Passé définitivement à la postérité grâce à la télévision, Luke Cage ne cache plus sa parenté avec la culture Hip-Hop.
Bastion de la culture afro-américaine, Harlem constitue la toile de fond mais également un des protagonistes prédominants de la série. Sujet incontournable des différents intérêts des principaux personnages, la série aime à souligner l’influence culturelle majeure de ce quartier mythique de la Grosse Pomme. Dès les premiers épisodes, les auteurs ne manquent pas de rendre hommage au courant créatif de l’Harlem Renaissance, qui donna une réputation mondiale à la culture afro-américaine pendant l’entre-deux-guerres.
Ce mouvement a certainement indirectement influencé les pionniers du rap issus de ce quartier comme Kurtis Blow, Kool Moe Dee ou Biz Markie. 2Pac y a vu également le jour, et puisé sans aucun doute son sens inné de la poésie. On peut encore citer des artistes rap reconnus issus de Harlem comme le défunt Big L, le producteur Teddy Riley ou plus récents comme A$AP Rocky. Des figures emblématiques, auxquels le méchant de service rend hommage lors d’un prêche à l’enterrement de son mentor, Pops, également père spirituel de Luke Cage.
Par ailleurs, le club tenu par un des méchants de la série, appelé Harlem’s Paradise, n’est pas sans évoquer un des hauts lieux musicaux de la Harlem Renaissance, le Cotton Club. Le propriétaire du Harlem’s Paradise ne porte-t-il pas malicieusement le surnom de Cotton Mouth ? Un imposant portait de The Notorious B.I.G. couronné de son statut de roi de New York trône symboliquement aux murs du bureau de ce fameux Cotton Mouth. Il est essentiel de signaler que le créateur de la série, Cheo Hodari Coker, est un ancien journaliste rap, qui fut le dernier à avoir un entretien public avec Biggie. Il a aussi co-signé le scénario du biopic Notorious sorti en 2009.
Pour en revenir à l’ambiance régnant dans ce Cotton club des temps modernes, il existe des similitudes entre l’atmosphère de certains clips de The Notorious B.I.G. et cette dernière, notamment dans l’utilisation des lumières rouges et bleues intensives similaires à celles du clip de Big Poppa sorti en 1994. Pure coïncidence ?
Enfin, le rappeur de Brooklyn entretenait une fascination pour l’esthétique liée à l’univers du grand banditisme incarné par le personnage du méchant, interprété par Marhershala Ali. La scène du Harlem Paradise accueille aussi des artistes fortement liés à l’univers comme le chanteur soul Raphael Saadiq, le chanteur/rappeur Jidenna, l’ex-girlfriend de Biggie Faith Evans (encore un clin d’œil), ou le DJ D Nice, ancien membre du Boogie Down Production.
On aura compris que Cheo Hodari Coker a eu du mal à se détacher de son passé de journaliste musical. Il s’en amuse même en donnant à chaque épisode un titre de la discographie du duo Gang Starr, amateur entre autres du Jazz des années Cotton Club. Pour appuyer cette référence, Cheo Coker reprend les paroles de la chanson « DWYCK » dans un dialogue entre le psychologue de la police et la petite amie enquêtrice de Luke Cage, Misty Knights.
Autre groupe et non pas des moindres dont l’esprit plane sur la série, le Wu-Tang Clan. Le scénariste avoue avoir écrit une scène clé du troisième épisode, où Cage pénètre en force dans le repère de la sœur de Cotton Mouth en écoutant « Da Mysteries of Chessboxing », extrait du premier album des shaolins de Staten Island en 1993. Au final, l’auteur ajoutera un autre morceau du Wu, « Bring Da Ruckus » pour donner plus d’impact à cette scène d’action déterminante. Le groupe a toujours affirmé son attirance pour l’univers des comics, en empruntant notamment les noms civils des super héros Iron Man ou Ghostrider.
La bande dessinée Luke Cage ayant été créée en 1972, son élaboration correspond avec l’explosion de la Blaxpoitation, dont le personnage John Shaft et le karatéka Jim Kelly demeurent des références utilisées par RZA et ses acolytes, autant dans la musique que dans les textes, notamment dans le fameux « Da Mysteries of Chessboxing » ou encore « 40th Street Black/ We Will Fight » en 2014. En aparté, il existe des similitudes dans le caractère des personnages de Shaft et de Cage, deux flics (ex pour Cage) aux méthodes expéditives en quête de justice sociale et raciale dans un Harlem rongé par la corruption et les trafics illicites.
Déjà héros d’une bande dessinée en 2009, Method Man en personne effectue une courte apparition dans l’épisode final avant d’enregistrer un des rares morceaux inédits de la bande originale de la série. Une bande originale dirigée par l’ex A Tribe Called Quest Ali Shaheed Muhammad et le compositeur Adrian Younge, qui compte des collaborations avec Ghostface Killah, Jay-Z, Bilal ou Royce Da 5’9. Dans cette brève participation, Meth échange son hoodie avec celui transpercé de Luke. Un élément vestimentaire récurrent qui possède une portée symbolique, puisque son utilisation fait allusion à l’affaire Trayvor Martin. Un message à portée politique cher aux meilleurs lyricists, qui donne une autre dimension à ce Marvel évoluant dans un contexte social bien particulier.
Cheo Coker voulait ériger son adaptation de Luke Cage au rang de série culte urbaine telle The Wire, et même si certains fans ont trouvé que la série manquait de rythme et d’humour, il a réussi à rallier le suffrage de nombreux fans de Hip-Hop. Un pari risqué vu la multiplication de séries tournant autour du Hip-Hop (Empire, The Get Down…), destinées à séduire une communauté afro-américaine de plus en plus exigeante.
Néanmoins, Luke Cage a su tirer son épingle du jeu, en introduisant la culture Hip Hop dans l’univers ultra codifié des Marvel. Aujourd’hui, le Hip Hop est enfin représenté à la télévision par ses protagonistes, sans donner l’illusion de servir de guest stars exotiques dans des sitcoms sans aucun rapport avec leur culture. A l’image des comics, le Hip Hop oserait il enfin à s’imposer sur le petit écran comme une culture à part entière ?
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