A l’occasion de la soirée Rap, Beats & Rhymes de la Red Bull Music Academy qui se déroulera ce mercredi 21 septembre sur la scène de la Cigale, on a décidé de vous sortir une interview du rappeur Jazzy Bazz réalisée il y a quelques mois. Juste avant la sortie de son album P-Town, le emcee du XIXème arrondissement de Paris était revenu pour nous sur la genèse de son projet ainsi que sur les différents tournants de sa carrière. Entretien.
Comme certains de ses camarades de l’Entourage, c’est par le biais des Rap Contenders (et surtout par ses mémorables joutes verbales avec le vindicatif Wojtek, ou encore la Val d’Oisienne Pand’Or) que Jazzy Bazz s’est fait connaitre. Après une période « feuille blanche », une participation à l’album Jeunes Entrepreneurs de l’Entourage, puis un voyage décisif à New York, P-Town pouvait enfin voir le jour, le 26 février dernier. Si le titre « Ultra Parisien« avait d’emblée marqué les esprits et fait office de vitrine de l’album, son amour pour la ville-lumière est distillé à travers chacun des tracks de ce projet, que nous avions d’ailleurs retenu dans notre sélection des 10 meilleurs albums Rap français de 2016 (jusqu’ici). Classicisme revendiqué sans nostalgie nauséabonde, flow technique, storytelling de qualité et vocabulaire affûté : voici la recette d’un album qui se classe sûrement parmi les meilleures sorties de l’année, alors que l’heure des bilans arrive doucement.
Très pro, malgré une longue journée d’interviews, Jazzy Bazz a accepté de revenir avec nous sur des sujets aussi divers que ses influences, son rapport au football, l’histoire de son morceau avec Freddie Gibbs, ou encore comment il a vécu les attentats du 13 novembre dernier.
Bonne lecture.
The Backpackerz : Quel rôle ont joué les Rap Contenders pour ta carrière ?
Jazzy Bazz : Ils m’ont fait connaître, ça m’a servi de tremplin. Cela m’a permis d’expérimenter un style différent qui est celui du clash, artistiquement c’était plutôt intéressant. Après, il a fallu se détacher de cette étiquette de « rappeur de battle » pour évoluer artistiquement.
Aujourd’hui, comme dit Deen Burbigo, « Je suis le même en mieux ». Il a tout résumé. On n’est pas toujours la même personne, mais c’est toujours toi, même si tu fais tout et son inverse, mais on essaie de s’améliorer en tout cas, c’est important.
Il s’est passé quatre ans entre Sur la route du 3.14 et P-Town. On dirait que tu as « pris le temps d’auto produire un missile » comme tu le dis dans ton track « Le Roseau » ?
[Il rit] Oui c’est exactement ça ! Quand on sort d’un projet, il y a une phase de réflexion par rapport au suivant. Suit une longue phase d’écriture, une phase de production, arrangement, mixage, beaucoup de travail sur tous les fronts. Et la réflexion a été assez longue après Sur la route du 3.14. Je pense qu’il y a eu une phase de création immatérielle pourrait-on dire, mais très importante avant d’attaquer l’écriture. La création pure, elle, s’est faite en un an et demi.
Jazzy Bazz – « Le Roseau »
Comment est arrivé le concept de P-Town, autour de la ville de Paris ?
C’est venu assez naturellement, je me disais que souvent, on faisait une chanson sur sa ville, je me suis dit pourquoi pas en faire 2 ou 3, aborder le sujet avec des angles différents sur tout un album. Ainsi est né le concept d’avoir ma ville en fil conducteur de chaque morceau de l’album. J’avais envie que l’on sente bien tout au long de l’album le côté parisien dans l’ambiance, les thèmes abordés… Je voulais que P-Town respire Paname.
Dans Ultra-Parisien, on re-découvre une vraie passion pour le foot. Comment s’est construite cette passion ?
En fait, j’avais 9 ans pendant la Coupe du Monde 98, comme beaucoup de gens de ma génération, ça m’a donné vachement goût au football. Je suivais déjà avant, mais j’étais trop jeune. Pour la Coupe du Monde, 94, j’avais 5 ou 6 ans, mais je m’en souviens quand même parce que mon père est né en Italie, il est arrivé à 10 ans en France, quelque chose comme ça. Il supporte aussi l’équipe d’Italie et souvenez-vous, l’équipe d’Italie était en finale contre le Brésil en 1994 et ils ont perdu aux tirs au but. Je me souviens qu’on a été au McDo avec ma mère et mon petit frère, et quand on est rentrés, on a retrouvé mon père dépité et abattu, je comprenais pas pourquoi au départ. C’était parce que l’Italie avait perdu, et l’impact du football, déjà, m’a fait un souvenir très jeune. Ensuite, ma famille maternelle est argentine, seule ma mère est venue en France. Pour la Coupe du Monde 98, un de mes oncles et un des mes cousins sont venus en France pour soutenir l’Argentine. Et pareil, quand l’Argentine s’est faite éliminer en quart de finale contre les Pays-Bas, les pauvres en pleuraient. Cette passion du football, elle se transmet aussi de manière familiale.
Jazzy Bazz – « Ultra Parisien »
Tu as joué ?
Bien sûr ! J’ai joué des benjamins jusqu’en – de 18, dans le même club du XIXe, j’étais gardien de but. J’ai fait une carrière de clubs de quartier quoi.
Ton nom de rappeur, un rapport au jazz ?
Ouais, mon père a un groupe de jazz, il fait partie d’un big band, en tant que saxophoniste. L’histoire avec mon nom, c’est surtout que j’aimais les instrus avec des samples de jazz, de soul et du coup dans mon blaze, j’ai mis cette empreinte.
Certains morceaux de P-Town m’ont rappelé l’ambiance de l’album L’Ombre Sur La Mesure de La Rumeur. Est-ce une de tes références ?
Je suis un très gros fan de l’album L’Ombre Sur La Mesure de La Rumeur, de ses samples de jazz très parisiens, car n’oublions pas que Paris a été une grande ville du jazz. Puis, l’écriture est incroyable. Apparemment, d’après leurs interviews, ils ont mis 3 ans à l’écrire, ils sont revenus énormément sur les textes. Cela me donnait aussi énormément envie de bien travailler au niveau écriture. Parce que quand t’écoutes le produit final, tu te dis que c’est sûr que les textes sont pensés, repensés, travaillés, c’est des thèmes originaux, bien abordés, de manière poétique… C’est un des plus grands albums de rap français pour moi. Après, j’écoutais d’autres choses aussi, qui m’ont inspiré. Je cite par exemple Fabe et Dany Dan dans l’album. Plus généralement, je fais des références aux rappeurs que j’aime bien. Et je peux allonger la liste, avec MC Solaar, NTM, IAM, La Cliqua. Et côté américain, pour moi, c’était vachement la scène des années 1990, les crews D.I.T.C et Boot Camp Click par exemple.
La Rumeur – « Le Cuir Usé d’une valise » (2002)
Comment as-tu choisi les prods présentes sur l’album ?
Sur P-Town, il y a 11 producteurs pour 15 tracks. Cette diversité fait clairement partie de mon processus de création. J’ai demandé à plein de contacts de m’envoyer des instrus, et dès qu’il y avait une gifle, je la gardais, peu importe le style. Je n’ai pas réfléchi à mettre tel morceau dans un délire, tel morceau dans un autre. Au final, j’ai choisi que des instrus qui me donnaient envie d’écrire et celles qui m’ont le plus branché sont celles qui ont été retenues. Sur ces quatre dernières années, j’ai eu le temps d’en recevoir pas mal, celles qui me faisaient kiffer il y a 4 ans me font encore kiffer aujourd’hui.
La liste des producteurs de P-Town, ndlr.
Chez The BackPackerz, on est très friands de ce que peut faire Freddie Gibbs. Peux-tu nous parler de la genèse de ton morceau « Lay Back », en featuring avec lui ?
Tout est parti de son tourneur Europe, un Français qui s’appelle Maxime Robin, qui a organisé ça. Il m’a proposé de faire le feat parce qu’il savait que j’étais fan de Freddie Gibbs, vu que je venais aux concerts et tout. J’ai envoyé la prod d’Everydayz avec 2 ou 3 autres prods, Freddie Gibbs a surkiffé direct celle d’Everydayz. Ils ont fait l’enregistrement avec Maxime, et un gars de Lyon qui s’appelle Lino, c’était dans son studio. Et le lendemain, il était à Paris, on voulait le faire à Paname, mais c’était mieux à Lyon stratégiquement, il était moins fatigué, il avait envie d’aller au studio. Maxime m’a fait une belle surprise sur ce coup-là.
Jazzy Bazz – « Lay Back » (Feat. Freddie Gibbs) (Prod. Everydayz)
Si t’es le Joker, c’est qui ton Batman ?
[Il éclate de rire] Haha, elle est très bonne celle-ci ! Le truc avec le Joker, c’est venu du fait que je souriais en battle, donc le personnage s’est un peu créé à ce moment-là. Après Batman, c’est aussi un justicier. Si tu écoutes dans le son Joker, comment j’abordes le truc : je dis « La porte de la maison d’arrêt, ils ne l’ont jamais condamnée », des phrases comme cela, plus contre l’État on va dire. « On a besoin d’unité, une unité paramilitaire », donc on va dire que quand j’ai pris ce personnage du Joker, mon Batman c’était un peu la justice.
Jazzy Bazz – « Jocker »
Quid de tes projets avec l’Entourage ?
L’Entourage, c’est avant tout un groupe de potes, on est en contact tous les jours, on se capte avec certains plus qu’avec d’autres, mais musicalement on est dans la période où tout le monde fait ses projets solo et vu qu’on est un groupe de potes, là le travail consiste surtout à s’orienter les uns les autres, à se donner des conseils, quand quelqu’un sort un truc à le pousser, à l’appuyer, c’est ça l’esprit de l’Entourage en ce moment. On a des projets, des idées pour la suite, ça se fera bientôt.
Comment, musicalement, tu te différencies des autres, comme Nekfeu ou Alpha Wann ?
Je pense que c’est ça qui devient de plus en plus intéressant avec L’Entourage, c’est que chacun a vraiment son son. Le gros point commun à nous tous, c’est qu’on s’applique à faire un son qui nous plaît, et qu’en termes de rap, chacun essaye d’envoyer le maximum.
Existe-t-il un esprit de compétition entre vous ?
Quand on fait des morceaux ensemble, il y a une émulation. Après quand chacun fait son truc, c’est juste motivant quand tu vois que tes potes sortent des projets de qualité. Là, nous en sommes aux albums. En vrai, je suis seulement le deuxième de l’Entourage à sortir un LP solo. Il y a Alpha, à qui je disais : « Gros, faut que tu fasses un album, pas encore un EP », et c’est ce qu’il est en train de préparer. L’album de Nekfeu, il est super abouti. Personnellement, je voulais m’inscrire dans cette continuité. J’espère que cette période des solos va permettre à tout le monde de briller, d’avoir des projets qui auront un vrai impact, et ça nous donnera que plus de force quand on se retrouvera.
L’Entourage – « Hail Mary »
Peux-tu nous raconter l’histoire du morceau « Trompes de Fallope » ?
Une jambe dans le réel, une jambe dans le fictif. Je voulais trouver des phrases marrantes sur le thème de l’adultère, je trouvais que c’était un sujet rigolo et c’était donc juste histoire de se marrer, de trouver les bonnes formulations, les bons angles. En écrivant le morceau, je me rendais compte que le gars est pas mal aigri, je ne voulais pas trop qu’il y ait cette image, j’avais peur que ça fasse un peu misogyne, ce que je ne voulais pas du tout. Du coup, j’ai trouvé cette petite chute dans le morceau, l’histoire s’est créée mais le seul but c’était de rigoler à faire des petites phrases, des petits jeux de mots sur un thème de A à Z, ce qui est assez rare sur l’album, mine de rien.
Jazzy Bazz – « Trompes de Fallope »
Les relations fictives t’inspirent beaucoup…
D’une manière générale, les relations humaines sont une belle source d’inspiration. Je ne vais pas raconter que je fais des braquages de banques, mon quotidien c’est justement rencontrer des gens, des chemins qui se croisent et se séparent, c’est du vécu. Je vois des choses de la vie que tout le monde connaît, mais j’aime bien parler de ça, je ne vais pas m’inventer une life.
Pour finir, « Fluctuat Nec Mergitur » est ton morceau sur les attentats du 13 novembre. Tu peux nous raconter comment tu l’as vécu.
J’étais à la Maroquinerie au concert d’Espiiem, on était avec pas mal de potes à sa release, et il y a eu les attentats. J’ai eu la chance d’être à la Maroquinerie et pas au Bataclan ce soir là. Le morceau, j’ai eu besoin de l’écrire, rapidement. L’ambiance du week-end était trop mystique, du coup j’ai écrit, c’était ma manière de rendre hommage, et glisser peut-être une ou deux phrases sur la situation, ce que j’en pensais. Je voulais placer ce message, « Vos guerres, nos morts », parce que ça commençait à me casser les couilles d’être dans un pays qui fait que de la merde. Si on doit défendre des valeurs, ce sont les actes qui comptent, pas les paroles. Dire qu’on se bat pour les Droits de l’Homme, que c’est Liberté Egalité Fraternité… Déjà, en politique intérieure, faisons en sorte que ce soit le cas, et en politique extérieure, ne parlons pas de Droits de l’Homme. La France était un Empire et ça c’est l’un des concepts « les plus Joker », les plus malsains de l’Histoire. Je l’ai placé à la fin de l’album parce que j’avais peur qu’il ne soit pas clair au niveau du message. Du coup, je dis « C’est l’amour que je prône pas la tolérance », à la fin ça se finit par le mot « paix » et c’est assez clair.
Dernière question, elles sont cool ces bagues !
Ah yes, merci ! Elles sont l’oeuvre de Quentin Pontonnier, un joaillier qui fait tout le temps des bagues dans lesquelles il incorpore des pièces de monnaie. Il fait son truc, très créatif, bête de taff. Il est en indépendant, il a son atelier dans sa chambre. Allez checker son taf sur son site : www.tantdavenir.com
Et retrouvez Jazzy Bazz à la soirée Rap, Beats & Rhymes ce mercredi 21 septembre à la Cigale.
Crédits photo : Antoine Oury pour The BackPackerz et Yard.
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