En cinquante ans, l’idéologie du Black Panther Party a eu un impact prépondérant sur la culture afro-américaine, notamment dans le Hip-Hop. Son ministre de la défense, Hubert « RAP » Brown, doit effectivement son surnom à son aisance dans les joutes verbales, les « Dozens », ancêtres des premières rimes des rappeurs des années 70. Mais, au-delà de cette anecdote, c’est surtout le message révolutionnaire pour la défense des droits civiques des Afro-Américains, qu’ont tenté de faire perdurer les artistes Rap US à travers des références nichées dans leurs lyrics. Coup de projecteur non exhaustif sur dix morceaux qui portent la griffe des Panthères Noires.
It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back (1988)
Public Enemy, et plus particulièrement son leader Chuck D, est certainement le groupe de rap, qui a remis au gout du jour le discours des Black Panthers à la fin des années 80. On retrouve notamment la même verve et détermination dans le ton de Chuck D que dans les discours des grands orateurs du BPP comme Bobby Seale, H Rap Brown ou Huey P Newton. Dans ce morceau au titre évocateur, extrait du second album de l’ennemi public numéro un (en référence au statut de hors la loi de l’organisation, via le programme COINTELPRO instauré par le FBI et l’administration de John Edgar Hoover dans les années 70), le groupe clame haut et fort son statut de rebelle en affirmant la forte identité noire de sa musique. Le morceau, tournant sur une entêtante sirène, débute par un extrait du discours d’ouverture du Wattstax festival au Coliseum de Los Angeles du révérend Jesse Jackson en 1973. Le Watts, lieu symbolique des émeutes de 1965, qui engendrait la création des Black Panthers par Huey P. Newton et Bobby Seale en 1966. Dès le premier couplet, Chuck D évoque le « Panther Power », qui renvoie au slogan du parti « Power to People » pour un réveil de la conscience noire. Dans le second couplet, le rappeur réitère les références en citant le nom Chemisard, véritable identité civile de la militante Assata Shakur, évoquée un peu plus loin dans cet article. Enfin, ce morceau présente les nouveaux membres de PE, à savoir son ministre de l’information, le controversé Professor Griff, et sa garde rapprochée le S1W (Security Of The First World), dont la présentation para militaire est encore un clin d’oeil à la nébuleuse branche armée du Party, la Black Liberation Army créé par son ministre de l’information Eldridge Cleaver en 1970. Ce morceau cristallise à lui seul l’héritage de la philosophie « panthère noire » au sein de Public Enemy, qui est entré par la suite au Rock and Roll Hall of Fame, panthéon du rock américain, comme le plus grand groupe de l’histoire du rap.
The Devil Made Me Do It (1989)
Affirmer que Paris porte une admiration outrancière pour les Black Panthers est un euphémisme. Au point d’apposer l’image de la fameuse panthère noire sur son logo. Originaire de la Bay Area comme le noyau dur du parti, Paris dédie ce morceau de son premier album aux figures de son inspiration politique. L’introduction est composée d’un discours de Bobby Seale, exhortant la communauté noire à former une armée pour écraser l’Amérique raciste. Le morceau se base beaucoup sur les dix points du programme politique élaboré par les Panthers, le 15 octobre 1966. Ces dix points portaient essentiellement sur le plein emploi, des logements décents, l’arrêt des brutalités policières et une éducation digne de ce nom pour l’ensemble du peuple noir américain. Le rappeur de San Francisco ajoute une référence à la biographie d’ Eldridge Cleaver, Soul On Ice, écrite lors de son séjour à la prison de Soledad en Californie. Le titre Soul On Ice sera repris par la suite par deux célèbres rappeurs californiens, Ice Cube et Rass Kass. A la fin du morceau, Paris s’auto-proclame ainsi comme le digne gardien des idées du mouvement révolutionnaire d’Oakland. La suite de sa carrière discographique ne le démentira pas. Ses principaux faits d’armes, avoir interprété « Bush Killa » en pleine guerre du Golfe en 1991, ou encore avoir conçu une pochette montrant un avion kamikaze se dirigeant sur la maison blanche pour son album Sonic Jihad en 2003. Adepte de la Nation Of Islam, Paris serait il le dernier Prophet of Rage ?
The Lost Tapes 1988-1991 (1991)
Avec son demi-frère Mopreme Shakur, 2Pac demeure l’unique rappeur, ayant un lien de parenté avec un membre des Panthers. Dans ce morceau resté alors inédit, qui devait initialement se retrouver sur la tracklist de son premier album 2pacalypse Now, le jeune 2Pac explique l’influence de l’idéologie des Panthers sur sa vision des Etats Unis en ce début des Nineties. Il y dénonce surtout l’image biaisée du rêve américain pour un jeune afro américain, maintenant les noirs dans la pauvreté et l’ignorance. Il évoque également l’importance de sa mère, Afeni Shakur (à qui il dédiera une chanson entière Dear Mama quatre ans plus tard), dans son éducation. Après avoir être accusée de complot contre le gouvernement des Etats Unis, cette membre active du BPP porte dans son ventre le futur Tupac Amaru Shakur en prison. Il naitra quelques jours après la libération de sa mère en 1971. Bien que le rappeur n’ait jamais connu son père naturel, il semblerait que ce dernier soit également un Panther. Sa mère se remarie alors avec un autre membre, Mutulu Shakur, qui rebaptise son beau fils Tupac Amaru en hommage à un chef indien, instigateur de la rébellion contre les colons espagnols au Pérou au XVIIIème siécle. Avec l’aide de son beau père et d’anciens membres, le rappeur,alors jeune adulte, commence à élaborer un code de conduite à l’encontre de la communauté noire, nommé Thug Life. Dans Panther Power, 2Pac peut ainsi légitimement affirmer avec conviction que le sang des Panthers coule dans ses veines. Comme héritage du patrimoine familial, il en connaîtra aussi malheureusement les déconvenues : les calomnies, la prison et la mort.
Panther Soundtrack (1995)
Panther demeure à ce jour la seule oeuvre de fiction consacrée à l’histoire de l’organisation Black Power des années 60. Ce film est le fruit de la collaboration de Mario Van Peebles pour la réalisation et de son père Melvin Van Peebles, figure du cinéma de la Blaxpoitation, pour le scénario. Le film montre l’ascension et le déclin du parti, en démontrant le rôle du gouvernement Hoover dans la chute de ce dernier. Pour l’anecdote, signalons que Mario Van Peebles interprète également l’activiste Stokely Carmichael, devenu premier ministre honorifique du BPP en 1967. Carmichael quittera prématurément le parti et s’exilera en 1968 en Afrique, après avoir été suspecté à tort d’être un agent à la solde de la CIA par Huey P Newton.
Pour les besoins de la bande originale, Mario Van Peebles réussit le pari de réunir près de soixante artistes issus de la scène Rap et R&B de l’époque, dont Biggie Smalls, Bone Thugs N Harmony, Busta Rhymes, Mary J Blige, Aaliyah ou encore Da Lench Mob. Ce morceau Freedom comporte deux versions : l’originale uniquement composée d’artistes féminines R&B et une version Rap interprétée par des Mcs féminines. Au casting de cette version sauvage, on retrouve l’icone féministe Queen Latifah, les vétérans MC Lyte et Salt N Pepa, les californiennes Nefertiti (qui joue également dans le film) et YoYo produite par Ice Cube, ainsi que la rappeuse du groupe R&B TLC, Lisa « Left Eye » Lopez, qui eut une idylle avec 2Pac. Le refrain est lui assuré par la chanteuse jamaicaine Ragga Lady Patra. Si le thème de la chanson est centrée sur la liberté, il met également en valeur les droits de la femme. Une manière détournée de montrer le rôle très actif des femmes comme Angela Davis, Kathleen Cleaver, Erika Huggins, Afeni et Assata Shakur au sein de l’organisation. D’autant que le Black Panther Party déclara dès 1969 l’homme et la femme égaux dans son journal officiel. Le parti milita également pour un féminisme indispensable pour la préservation de la communauté et de la culture afro américaine. La version « sauvage » produite par Diamond D reste à l’image de son original composé par Dallas Haustin, c’est à dire très propre musicalement comme les productions de Mc Lyte, Nerfertiti ou Queen Latifah.
Like Water For Chocolate (2000)
Issu de l’album Like Water For Chocolate, qui soit dit en passant, est sans doute le meilleur disque de la carrière de Common, le morceau « A Song For Assata » est un des plus bel hommage rendu à une figure historique du mouvement Black Panther, qui se trouve également être la tante maternelle de Tupac. Native du Queens (NYC), Assata se découvre très vite un penchant pour l’activisme lorsqu’elle remarque que la longue histoire de maltraitance des afro-américains est quasi occultée du programme d’Histoire enseigné au City College of New York (CCNY). Etudiante engagée, elle vivra sa première arrestation pour bloquage de l’université Borough of Manhattan Community College (BMCC) avec d’autres étudiants noirs qui protestaient contre l’absence de cours en lien avec l’histoire du peuple afro-américain. Après avoir obtenu son diplôme à la CCNY, Assata Shakur rejoint le Black Panther Party à la suite de plusieurs voyages à Oakland. En 1977, elle se retrouve impliquée dans une fusillade dans le New-Jersey au cours de laquelle un policier du nom de Werner Foerster trouve la mort. Immédiatement emprisonnée, Assata Shakur sera accusée (a priori à tort) de l’assassinat de cet homme ainsi que de 6 autres chefs d’accusation. C’est ce premier fait divers qui est relaté avec brio par Common dans le premier couplet.
Dans le second, le rappeur Chicagoan raconte, non sans émotion, le calvaire vécu par la jeune activiste lors de son incarcération à la prison masculine de Middlesex (New Jersey), et avant cela au centre correctionnel de Yardville où Shakur fut placée en isolement pendant 21 mois ! Après deux années de calvaire, Assatta Shakur parviendra à s’échapper de prison et trouvera refuge à Cuba où elle sera admise en tant que réfugiée politique. Elle y réside toujours à l’heure où nous écrivons ces lignes. Un destin extra-ordinaire pour cette femme qui s’imaginait en leader politique, défenseuse des droits civiques et qui passera malheureusement sa vie en fugitive loin des siens.
Let’s Get Free (2000)
L’apparition à l’aube du deuxiéme millénaire d’un groupe aussi revendicatif que Dead Prez semble plus que surprenante, dans un marché dominé par les rimes bodybuildées de 50cent et les métaphores bling bling de Jay Z. Nostalgiques des versets sulfureux et conscients de KRS-One ou PE, les deux rappeurs de Floride lâchent une première bombe avec l’album Let’s Get Free produit l’ex Brand Nubian Lord Jamar mais aussi Kanye West. Propaganda attaque de front la responsabilité des mass médias dans la diffusion de fausses informations en provenance de l’empire impérialiste américain. Ils associent ainsi des organismes étatiques tels la CIA, le FBI, le KKK, déjà cibles des Panthers, à des canaux médiatiques populaires comme NBC, CBS ou TNT. Dead Prez n’hésite pas à mettre le meurtre de Huey P Newton en 1989 sur le compte de cette cabale. « Ils ont tué Huey parce qu’ils savaient qu’il avait la solution »(sous entendu à la libération du peuple noir américain). Magnifiquement produit par Lord Jamar, le morceau se conclue sur un extrait d’un entretien donné par Huey P Newton en prison en 1968, où il affirme comprendre pourquoi le Black Panther Party posséde les armes pour combattre ceux qui oppressent la communauté noire. Malgré un récent changement dans sa direction musicale plus orientée vers l’electro, le discours de Dead Prez continue d’être imprégné des orientations politiques des leaders du BPP.
God’s Son (2002)
Plus connu pour ses qualités de storyteller, Nas signe avec God’s Son l’album le plus intime de sa carrière. Dans ce morceau 100% Queensbridge produit The Alchemist, le rappeur clame son statut de révolutionnaire. A l’image du combat mené par Bobby Seale et sa bande, il affirme ne pas avoir peur du sang et de la prison pour combattre les apôtres de la suprématie blanche, qui empêcheraient son peuple de s’intégrer à la société américaine. Malgré ces propos, c’est son acolyte de quartier Lakey The Kid, qui cite Bobby Seale dans son couplet, où il se compare notamment à Hitler(sic) et Huey P Newton, en invitant tous les noirs à prendre les armes pour combattre la police. Nas justifie ces propos dans son deuxième couplet, en prétextant vouloir protéger les enfants des ghettos noirs. Il se dit aussi prêt à faire le sacrifice de sa vie pour voir ces enfants grandir dans le respect. Hormis un discours ambigu, le morceau fonctionne plutôt bien grâce à l’aisance technique de Nas et l’efficacité de la production de l’alchimiste.
Late Registration (2005)
Souvent pointé du doigt pour ses frasques extra musicales, Kanye West n’en possède pas moins un minimum de conscience politique. La preuve avec ce morceau enregistré pour les besoins de son second album Late Registration, que nous avions retenu dans notre sélection des meilleurs albums rap des années 2000. Passons sur la participation épisodique de The Game sur le refrain pour se concentrer sur les lyrics de ce « Crack Music« . En effet, les premières rimes commencent par une question » Comment pouvons nous arrêter les Black Panthers ? ». Kanye donne un élément de réponse en évoquant Ronald Reagan, alors gouverneur de Californie, qui proposa en 1967 l’annulation du port des armes à feu après un défilé armé des Black Panthers devant le Capitol de l’état de Californie à Sacramento. Crack Music est également un prétexte pour aborder les théories de conspiration par certains présidents américains, comme George Bush et ses allégations sur la possession des armes chimiques et nucléaires de Saddam Hussein pour envahir l’Irak en 1991. Il cite également son acolyte Jay Z, alors devenu président de Def Jam. Dix ans plus tard, Kanye West annoncera sa candidature à la présidence américaine pour 2020, le jour du dixième anniversaire de la sortie de son album…Late Registration.
Section.80 (2011)
Section.80 est injustement l’album le plus méconnu de la discographie de Kendrick Lamar. Pourtant, cet album comporte quelques perles comme « Hiii Power« . Le titre en lui même est indéniablement un clin d’oeil au Panther Power lancé par Bobby Seale et Huey P Newton à Oakland en 1966. Les noms des deux co-fondateurs apparaissent également dans le refrain accrocheur de ce morceau hypnotique superbement produit par J. Cole. Hiii Power est l’occasion pour le jeune rappeur de Compton d’aborder les conspirations politiques passées et actuelles, qui gangrainent la planète. Les propos de Lamar sont illustrés dans le clip par des extraits de reportages télévisés allant des émeutes de Los Angeles de 1992 aux printemps arabes, en passant par les manifestations paramilitaires des Panthers à San Francisco. Kendrick exhorte le peuple noir à élever son niveau de connaissances et de conscience. Tout de noir vêtu, le lyriciste de TDE lève le bras en l’air en compagnie de son groupe Black Hippy, certainement un hommage au geste des deux athlètes, Tommie Smith et John Carlos, sympathisants du Black Panther Party, aux jeux olympiques de Mexico en 1968. Ce morceau replace donc les discours révolutionnaires des grands leaders noirs dans un contexte plus moderne, où l’urgence n’est pas moindre. Dans son morceau « Black Lip Bastard » tournant sur une boucle de Donny Hathaway, Ab Soul n’affirmait il pas en 2012 que leur groupe Black Hippy était le Black Panther Party réincarné ?
Us or Else (2016)
N’ayant pas de lien direct avec les Black Panthers, ce morceau de TI, conçu pour son mini album Us or Else, se focalise sur les violences policières, qui ont frappé la communauté noire aux Etats Unis ces dernières années. Il l’a écrit suite à la mort de Freddie Gray à Baltimore en 2015, victime d’une arrestation très musclée pour détention d’arme blanche illégale par six policiers. Ce malheureux événement provoqua de nombreuses manifestations et des émeutes très violentes. Les mouvements de protestations mirent alors en valeur le Black Lives Matter Movement, une organisation afro américaine luttant contre le racisme et les violences policières. TI affiche publiquement son soutien à ce groupe de pression, qui s’inspire entres autres de l’action politique du BPP. Le rappeur d’Atlanta a encore montré son indéfectible adhésion à la philosophie du Black Lives Matter sur la scène des BET Awards en juin dernier. Il avait choisi d’interpréter « We Will Not » en arborant un costume militaire noir avec un béret de la même couleur, afin de rappeler le combat des Panthers contre l’oppression, dont est toujours victime sa communauté. Cette mise en scène totalement assumée a fait un grand scandale dans les médias américains. Quelques mois auparavant, Beyoncé avait aussi symboliquement opté pour le port du béret noir par ses danseuses lors de son show pour la célébration du cinquantième Super Bowl. Ces symboles visuels sont la preuve vivante que l’esprit des Black Panthers demeurent d’actualité dans l’inconscient collectif des artistes Rap.
Cover photo : Emprunté au documentaire The Black Panthers: Vanguard of the Revolution
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