L’etat d’esprit qui l’a naturellement connecté à French Montana, Action Bronson, Curren$y, Smoke DZA et Mayhem Lauren, avec qui il collabore régulièrement. L’ouverture l’a amené à composer pour des artistes aussi différents que Talib Kweli, Wiz Khalifa, Pusha T, The Weeknd, Joey Bada$$, Juicy J, Sean Price, Rick Ross, Playboi Carti ou encore A$AP Rocky. Qui a fait de lui une légende vivante de la scène mixtape et de l’underground américain.
Une vague que Rory William Quigley surfe depuis gamin avec insouciance et philosophie. En studio, sa confiance déteint sur les artistes, qu’il soit chez lui à New York ou à Montreuil, en proche banlieue parisienne. Invité par YARD, Free Your Funk et Red Bull à produire Brooklyn Paris — la petite soeur de la mixtape Paris L.A. Bruxelles—, le compositeur vient d’y poser ses valises. Tandis que ses futurs hits font trembler des enceintes à plein volume, Dinos, Jok’Air, Slimka & Di-Meh, Krisy, Blu Samu, Triplego et Infinit défilent en cabine pour poser sur la « música de Harry Fraud ».
Impatients de voir les talentueux francophones et le mythique Harry Fraud réunis sur scène pour un concert unique à l’Elysée Montmartre le 28 septembre, on s’est entretenus avec le producteurs new-yorkais. Rencontre avec un épicurien, qui sourit à la vie et compose à l’instinct.
Quel est ton premier souvenir musical ?
« Thriller » de Michael Jackson, que j’ai entendu pour la première fois dans la cuisine de ma mère, et sur lequel je me suis mis à danser. Mon père est guitariste et ma mère chanteuse. La musique a toujours été présente dans ma famille, donc je n’ai pas eu besoin de supplier mes parents pour en faire. Lorsque j’ai demandé à mon père si je pouvais jouer de la guitare, il était aux anges. Ma mère et ma soeur passent tellement leur temps à chanter que c’est devenu une blague entre nous : dès qu’elles ouvrent la bouche, je leur dis d’arrêter. (rires) En vrai, est sont très douées.
L’important, c’est d’utiliser les outils qui t’inspirent.
À quel moment as-tu réellement commencé à produire ?
Mes parents n’ont pas fait d’études. Ils tenaient donc à ce que j’aille à la fac. Alors j’ai conclu un marché avec eux : d’accord pour la fac, mais avant, je fais un stage en studio. À l’époque, j’y connaissais rien à Pro Tools. Les ingés sons m’ont expliqué comment m’en servir. Le premier Pro Tools, avant que ce logiciel devienne un standard du home studio. Aujourd’hui, je l’utilise encore, mais j’aime pouvoir créer à partir de n’importe quoi. Là, je viens de produire une dizaine de titres juste avec ma MPC 2500 et quelques vinyles. L’important, c’est d’utiliser les outils qui t’inspirent.
D’habitude, tu es plutôt vinyle ou digital ?
Digger sur Internet, c’est fun ! Un lien t’amène à l’autre et j’y passe des heures. Par contre, c’est pas le même ressenti que chiner dans les rayons, tenir un disque vinyle, ressentir son énergie. Parce qu’il y a de la musique enregistrée là-dedans ! L’odeur, le poids, l’image sur la pochette, les couleurs… Tout ça me rend heureux.
Ton premier hit, c’est « Shot Caller », avec French Montana. Comment as-tu rencontré cet artiste et pourquoi le single a-t-il si bien marché ?
French Montana s’est pointé dans mon studio à Brooklyn en 2009 et m’a fait jouer des dizaines de prods. Vu que j’étais encore un bébé, il m’a d’abord testé. Tous les deux, on eu quelques premiers succès à New York. Nicki Minaj a même posé sur le remix d’un de nos titres. « Shot Caller », c’est celui où ça à pété ! Le son est à la fois nostalgique et futuriste, ça a parlé à différents publics. Tu peux le jouer en club et en même temps, il plaît à un public hip-hop. Ma force, c’est d’être toujours à contre-courant. Quand la musique va dans un sens, j’inverse la vapeur, sans perdre de vue le son du moment. En l’occurence, « Shot Caller » a un côté old school, mais il te met quand même une claque !
Être attentif à la tendance et la suivre, c’est très différent !
D’où vient cet esprit de contradiction ?
Faire la même chose que tout le monde, ça ne m’intéresse pas. Jeune, ça te porte forcément préjudice, parce que tout le monde suit le groupe. Mais une fois adulte, le groupe devient ringard. Être un suiveur, ça te mène nulle part. Mieux vaut suivre ton propre chemin. Être attentif à la tendance et la suivre, c’est très différent ! Beaucoup d’artistes se piègent en cherchant à être dans la hype. Ils ont peur d’être laissés pour compte. Sauf que tout va très vite, et le temps que ta musique sorte, tu est déjà dépassé. Jouer à ce jeux-là, c’est la meilleure façon de perdre. Tous les ans, un producteur débarque avec un son novateur qui passe bien en radio et l’année d’après, tout le monde le copie. À chaque fois, un seul gagne la loterie. Personnellement, je préfère suivre mon instinct. Parfois ça marche, parfois non. Tant que je continue d’apprendre, ça me va.
Tu as récemment produit Blue Chips 7000 d’Action Bronson et le Marina EP de Curren$y. Comment ça s’est passé ?
Action Bronson est venu avec ses démos, qu’on a complétées. Le jeu a ensuite été d’assembler les pièces du puzzle. Agencer les différents titres, incorporer les skits, vérifier que l’esthétique corresponde à ce qu’il avait en tête. Un son qui tape, sans être trop propre. Et Curren$y, j’adore bosser avec lui. Nos sons s’accordent à merveille ! Il a une manière très libre d’aborder mes prods, il ne fait que dérouler le fil de ses pensées. Une forme d’écriture automatique.
Composer et produire des artistes, c’est deux choses différentes, à ton sens ?
À force de produire, je comprends que l’important, c’est de trouver les éléments qui s’accordent bien entre eux. Ne pas jouer toutes les notes et savoir à quel moment utiliser tel instrument, faire appel à tel artiste. Cela dit, quand je produis quelqu’un, je me sens obligé de mettre la main à la pâte et de composer. Impossible de ne pas toucher aux machines. Le compositeur, lui, peut exister sans produire, même si les deux sont intimement liés.
Pourquoi as-tu choisi de produire la mixtape Paris Brooklyn ?
J’ai toujours été fan de rap étranger, qu’il s’agisse du producteur norvégien Tommy T ou de la musique U.K. Giggs, je l’écoute depuis longtemps. La drum and bass, Gorillaz ou DJ Shadow, ils m’ont beaucoup influencé. Évidemment, j’adore la grime, les motifs rythmiques sont hyper intéressants. Wiley, Skepta, Chipmunk… Mes fans viennent de partout dans le monde et j’ai eu envie d’explorer. Les français qui traversent l’Atlantique comme Booba, je les connais. Depuis que le projet a été lancé, je me suis davantage immergé dans le rap français et ça m’a enrichi. Et puis Red Bull, je kiffe ce qu’ils font. Comme je suis surfeur, j’associe la marque à leurs jet-skis rouges dans d’énormes vagues.
La scène mixtape, c’est là d’où je viens.
Quel est le rôle de la mixtape aujourd’hui ?
La scène mixtape, c’est là d’où je viens. Green Lantern, Big Mike, DJ Clue, c’est la musique que je préfère. De nos jours, album, mixtape, ça ne veut plus rien dire. Il s’agit juste d’oeuvres, de projets. Quand je produis pour un artiste, je suis un simple couteau suisse. Faire une mixtape comme celle ci, avec plein d’artistes différents que je produis moi-même, c’est l’occasion de m’amuser, choisir des artistes que je kiffe et construire à partir d’eux.
Comment prépares-tu un tel projet ?
Ma façon de faire, c’est : écouter l’artiste. Trouver les éléments qui nous lient. Faire une playlist d’environ quinze titres. L’installer dans une pièce et le mettre à l’aise avec des morceaux simples, avant de lui faire écouter des choses plus expérimentales. Vu que je suis quelqu’un d’ouvert, les artiste perçoivent mon énergie et c’est rare qu’on ne connecte pas. En France, tout s’est passé à merveille. Voyager, sortir, écouter les bruits, sentir les odeurs, ça m’inspire. Ressentir les ondes positives de la ville, m’intégrer à un groupe de gens… j’adore ça. L’essence de l’art, c’est vivre. C’est ça qui nourrit la créativité. L’énergie virale est partout et savoir puiser dans cette source pour créer, c’est le don que j’ai reçu. Mon moteur.
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