Ab-Soul – Do What Thou Wilt

Décembre 2016

Ab-Soul

Do What Thou Wilt

Note :

Cette fois, ça y est, la dernière livraison TDE de l’année a été effectuée. Et quelle année pour le label de L.A. ! Avec des surprises, des coups de cœur et des coups de maîtres, le ciel est presque sibyllin au-dessus de la destinée de l’écurie de Tiffith. Dernier acte en date, la sortie du tant attendu album d’Ab-Soul : Do What You Wilt. Revue de prose.

C’est peu dire que cet album suscite des attentes. D’abord parce qu’il est l’œuvre de l’un des membres du vénéré groupe Black Hippy, ensuite parce que cela fait presque une année que l’opus est annoncé, et enfin parce qu’il représente le moment de vérité pour Ab-Soul, qui a vu ses petits camarades sortir leur œuvre de référence tandis que tout le monde attend son projet-signature. L’enjeu est important, donc, et nul doute que l’artiste l’a ressenti. D’où la production de cet opus particulièrement soignée et réfléchie dans laquelle on retrouve la patte TDE, où la réalisation artistique a été confiée à Dave Free, qui y a inséré les travaux des talents qui ont su séduire Soulo (Mike Will Made It, Wondagurl, FrancisGotHeat ou Sounwave pour ne citer qu’eux). C’est aussi sans mentionner la présence en featuring de Kokane, ScHoolboy Q et SZA, ou encore celles de Mac Miller et Rapsody que nous évoquerons un peu plus tard…

Cet effort, c’est 16 tracks et 1h17 de musique dans laquelle on retrouve le rap décalé et conscient de Soulo, adossé à des prods finalement disparates en termes de rythme et de composition, pour un rendu assez paradoxal. Une fois la frénésie d’avoir entre les oreilles le denier bébé de l’écurie TDE, les tracks défilent et hormis les singles qui annonçaient la sortie de l’album, il est difficile de laisser son oreille accrocher sur la plupart des nouvelles sonorités. La faute à un flow volontairement à contretemps qui fait la particularité de Soulo, et aussi à un mixage des morceaux qui semble casser la rythmique de l’album. Lâché comme ça, cela peut paraître un peu surfait. Mais en écoutant l’enchaînement entre « Huey Knew THEN » et « Threatening Nature », on s’aperçoit que d’un morceau à l’autre, on passe d’une production tubesque avec des basses sombres et profondes, une note de piano tous les quatre temps qui réveille les tympans, à « Threatening Nature », dont le beat et la composition sont très travaillés mais restent très monotones. Ça tombe bien, le sujet de ce track est justement la fatalité et l’irascibilité de la mort… Une piste de lecture de cet opus qui pourrait s’imposer est que l’atmosphère de chaque morceau est le fruit d’une mûre réflexion. Et à l’écoute, il n’y a pas de doute : tous les tracks, en plus d’aborder des sujets sérieux pour la plupart (ce qui fait de cet LP l’un des plus personnels d’Ab-Soul), projette le message dans un décorum sonore sombre et désenchanté.

Si ce mode de narration a imposé des concessions sur la construction et l’accessibilité de tous les tracks, il sert au final le projet de manière tranchée et, selon les points de vue, désordonnée ou réussie. Car dans ce cas, le désordre musical apparent pourrait être transposable au clair-obscur en peinture : il sert à souligner quelque chose, le texte et l’esprit qui s’en dégagent. À cet instant, le tour de force semble génial mais laissera des auditeurs sur le côté. Indubitablement.

Un autre aspect important de cet opus est le côté très introspectif qui transpire de chaque texte. Si Soulo ne se lance pas dans une auto-analyse, il aborde des expériences qu’il a vécues et éprouvées. Dans « D.R.U.G.S », le très beau morceau qu’il a sorti quelques heures avant la release officielle de l’album, il pourrait être intéressant de compter le nombre de fois où il prononce le mot love. C’est bien parce que ce morceau est une chanson d’amour, qu’il orchestre à sa manière. S’il y parle de manière ouverte et habile de l’addiction, Ab-Soul évoque aussi sans cesse l’amour qu’il porte à sa famille et à ceux qui l’ont accompagné dans son parcours. De ce morceau dont le clip magnifique a vraisemblablement été réalisé à Paris par la team (à suivre) Panamaera, on retiendra  encore une fois le paradoxe entre les lyrics parfois presque fleur bleue et la production et l’univers pictural noir et blanc en décalage avec le texte. Le tout pour illustrer une fois de plus l’environnement psychique dans lequel l’artiste se projette. Qui, nouveau paradoxe, ne pue pourtant pas la déprime…

Dernier clin d’œil de Soulo avec un track une nouvelle fois brouilleur de piste, le morceau « The Law ». Adossé à un beat R’n’B (« Brotha » d’Angie Stone) donc assez éloigné des productions qui font le reste de l’opus, Ab-Soul, accompagné de Mac Miller et Rapsody, y parle.. d’amour et de la magie des premiers instants qui font une rencontre. Joli moment et nouvel OVNI de l’album.

Au final, que retenir de cet album ? D’abord qu’il est certain qu’il ne mettra pas tout le monde d’accord. Déjà parce que les subtilités de sa réalisation réclament plusieurs écoutes et que cette approche peut décourager même les auditeurs curieux et attentifs. Ensuite, que s’il est une belle réalisation artistique, il constitue surtout la release la plus aboutie du sieur Soulo. Tracté par ses camarades de label dont chaque album squatte les classements de fin d’année et certainement titillé par l’envie de faire taire les sceptiques, Ab-Soul a livré un gros travail. Autant dans les textes que dans la réalisation musicale de cet opus, dont la richesse réside aussi dans l’atmosphère créée par l’artiste. C’est aussi un album très personnel puisqu’il n’hésite pas à se révéler tout au long de cet opus. Le souci avec ce genre de parti pris, c’est qu’il est clivant et qu’il rencontrera son public comme il en rebutera certains. En tous les cas, qu’il s’agisse d’un échec ou d’une réussite, la proposition est intéressante et dans l’ADN de l’écurie TDE : pousser la créativité de ses artistes et proposer des albums novateurs. À ce stade, il ne reste plus qu’à vous faire votre avis. Bonne écoute.

Ab-Soul – Do What Thou Wilt