Nous l’avons vu dans le premier volet de notre trilogie qui présentait la stratégie d’ascension du label TDE : son succès, s’il a sa part de chance, ne doit rien au hasard. Un regard naïf y verrait une approche quasi artisanale mais nous avons vu que si un parallèle est possible, c’est surtout pour élaborer et protéger un savoir-faire. Le succès de TDE s’appuie sur l’éclectisme des artistes qui composent son roster, la qualité des productions supervisées par Dave « Miyatola » Free sur lesquelles ils peuvent s’exprimer et le flair d’Anthony « Top Dawg » Tiffith et Terrence « Punch » Henderson, toujours habiles à dénicher les futures stars du hip-hop. Nous vous proposons dans ce second volet de faire une revue d’effectif des artistes signés sur le label. Garde à vous.
Jay Rock parait bien plus vieux que ses comparses de chez TDE, alors qu’il n’est âgé que de 31 ans. Premier artiste signé chez Top Dawg, il est originaire de Watts, dans la partie sud de la Cité Des Anges. S’il a bien sûr décelé son talent de rappeur, c’est aussi pour l’éloigner des Bounty Hunter Bloods qu’Anthony Tiffith s’empressa de le faire signer en 2005. Bonne pioche, le flow rocailleux et le charisme naturel de l’aîné de la troupe ont fonctionné à merveille dans son premier album studio, Follow Me Home. Si son deuxième album, 90059, sorti l’année dernière, a été bien reçu par la critique malgré ses ventes au final décevantes, on attend l’explosion définitive de l’ex kid de Nickersons Gardens.
Jay Rock – « Say Wassup » feat. Black Hippy
Qui aurait pu imaginer une telle trajectoire ? Repéré alors qu’il n’avait que 17 ans par Anthony Tiffith suite à la sortie de sa première mixtape Youngest Head Nigga In Charge, Kendrick Lamar est devenu aujourd’hui le personnage principal du Rap US. Ironie de l’histoire pour ce fils d’un ex membre de gang ayant fui les quartiers sud de Chicago pour se retrouver dans l’enfer de Compton… La destinée de K-Dot sera changée à jamais par une rencontre avec son idole 2Pac, un jour qui marquera l’histoire du Hip-Hop, étant donné qu’il s’agit du jour de tournage du clip “California Love”. Comme l’expliquait notre article sur le morceau “Black Boy Fly”, avoir un père à la maison a sauvé le petit Kendrick Lamar. Aujourd’hui, il est un homme accompli, engagé pour sa communauté et (petite) cerise sur le gâteau : ses deux albums Good Kid M.A.A.D. City et To Pimp a Butterfly font partie de nos 10 meilleurs albums de Rap US depuis 2000. Sacrée destinée.
Kendrick Lamar – « Alright »
L’érudit de Crenshaw, c’est lui. Celui qui a grandi entre bonnes notes à l’école, football américain, gangs et deals de stups en tout genre a intégré la maison TDE en 2009. Soit quelques années après s’être essayé à l’écriture de rimes kickées et les avoir ponctuées de quelques succès d’estime du côté de West L.A. L’anecdote révèle que pour sa première session studio à la House of Pain, il se retrouve aux côtés de Jay Rock et Ab-Soul. Très vite, il propose la création du groupe Black Hippy avec une approche ficelée à l’ADN TDE :
« J’ai pensé que si je pouvais faire partie d’un groupe, je pourrai n’écrire qu’un seul couplet et je serai bon ».
La suite, on la connaît : le groupe et le label cartonnent. Puis il sort en 2014 le superbe Oxymoron qui, à base de singles dopés à un gangsta rap West Coast puissant et un flow maîtrisé, le fait changer de dimension et en fait une star du hip-hop mondial. La suite attendue et commentée de ce premier gros succès est sortie en juillet dernier et a remporté les suffrages des amateurs de l’écolier. Blank Face LP avait tous les attraits du piège et puait le danger. 17/20 pour sa dernière composition, mention très bien donc.
ScHoolboy Q – « Tookie Knows II »
Si, parmi les quatre historiques du label : comprenez Jay Rock, Kendrick, ScHoolboy et Ab-Soul, ce dernier est le moins connu, le moins médiatisé et surtout le plus énigmatique, il est aussi celui ayant peut-être l’univers le plus fascinant. Ses albums ne sont peut-être pas les meilleurs, ils sont souvent difficiles à décoder, mais ils sont empreints d’une spiritualité désarmante pour un être aussi lunaire. Celui qu’on appelle aussi Black Lips Bastard (du fait de son syndrome de Stevens-Johnson) a grandi, contrairement à ses illustres comparses, dans une municipalité assez calme, Carson. Avec des parents propriétaires d’un magasin de disques, il a baigné dans l’univers du son depuis le berceau. Ayant commencé à gratter des textes à l’âge de 12 ans, ce fan de Malcolm X sera repéré en 2007 par le boss de TDE avant de sortir trois albums studio ayant rencontré un véritable succès critique. Comme pour Jay Rock, on attend l’explosion de ce rappeur pour le moment sous-coté.
Ab-Soul – « Tree Of Life »
Isaiah Rashad, c’est le transfuge du Tennessee. En effet, le natif de Chattanooga a rejoint le label TDE en 2013 et en a profité pour s’installer à LA. Si sa signature sur le label a donné lieu à moult spéculations et a alimenté les amateurs en rumeurs et interrogations, c’est bien sous le sceau TDE qu’il sort sa première mixtape Cilvia Demo LP en 2014. Le succès est immédiat et permet surtout à Rashad de démontrer son talent. S’il n’était pas un novice dans le monde de rap puisqu’il avait été repéré aux côtés de Juicy J, Joey Bada$$ ou Smoke DZA, disons que cet opus a permis de le positionner dans le constellation TDE. Son rap est empreint d’introspection et il aime s’appuyer sur des productions smooth pour libérer sa prose dont la principale source d’inspiration sont les épreuves que la vie lui a réservé. S’il n’y a rien de très original dans cette remarque, disons que lui sait le faire en alternant flow délayé et voix quasiment en rupture pour donner plus de teinte à son discours. Et il le fait bien. Il est encore un peu tôt, mais il y a fort à parier que son dernier projet, The Sun’s Tirade, aura son mot à dire quand il faudra désigner l’album de l’année.
Isaiah Rashad – « 4r Da Squaw »
The Divine Feminine du label. SZA, c’est la voix chaude et enivrante qui illumine les morceaux de ses compères du studio et qu’on retrouve sur quasiment chacun de leurs efforts musicaux. Et le pire, c’est qu’elle a démarré une carrière musicale presque par erreur. Signée en 2014 par le label, elle avait déjà sorti deux projets en auto-production et son travail reconnu lui a permis d’approcher la direction de TDE via des connaissances communes. SZA s’appuie sur des morceaux aux productions très chill dont les inspirations sont Soul, RnB, Hip-Hop. Sa voix claire et posée donne à sa proposition artistique un univers éthéré et vaporeux. La justesse de son timbre tranche d’ailleurs souvent avec les voix éraillées et fracassées de ses comparses de label. Cela dit, si son album Z initialement annoncé pour la fin de l’année (mais dont la sortie devient hypothétique) nous offrait quelques amuse-bouches pour patienter, nul doute qu’à l’image de ses opus précédents, il devrait y avoir de belles choses à se mettre sous la dent.
SZA – « Babylon »
Le dernier signee du label. Et c’est surtout l’invité mystère de l’affaire. Bien qu’il ait été crédité sur au moins deux morceaux du dernier Jay Rock (le gentil 90059), il est difficile de trouver beaucoup de matière pour positionner Lance Skiiiwalker dans l’univers TDE. Même si son premier album sorti relativement discrètement, Introverted Intuition, offre beaucoup de promesses et positionne une fois de plus le label comme une entité protéiforme dont le seul crédo est l’exploration artistique et le talent. On ne peut que vous incitez à y jeter une oreille, posé, à profiter d’un peu de calme et de week end.
Lance Skiiwalker – « Toaster » feat. ScHoolboy Q
Le roster TDE présente donc tous les symptômes de l’éclectisme et de la complémentarité des talents. Pourtant, l’univers artistique de chacun est assez différent et c’est aussi ce qui fait la richesse de la proposition artistique de ce label : à chaque artiste son bagage qui n’empêche jamais ces univers de se croiser et d’assouvir notre curiosité.
Et pour célébrer cette série exceptionnelle sur le label TDE (un dernier épisode à venir), on vous réserve une surprise le 24 novembre prochain.
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