A l’heure de l’internationalisation de l’information, il semble que certaines choses, paradoxalement, ont du mal à traverser les frontières. C’est le cas surprenant du rap marocain, mouvement qui n’est pourtant pas né de la dernière pluie et qui a su se développer en toute indépendance, en comptabilisant des millions de vues sur YouTube, dans un pays où le marché du disque (traditionnel et légal) n’existe pas. Comment sommes-nous passés à côté de rappeurs si talentueux, à quelques heures d’avion de l’hexagone ? La faute peut-être à nos regards trop tournés vers la Belgique et la Suisse quand il s’agit de parler de ce qu’il se fait de mieux en rap au-delà de nos frontières. La faute sans doute aussi à la barrière de la langue, puisque très peu de rappeurs marocains adoptent le français comme langage d’expression, lui préférant le Darija, le dialecte local.
Après vous avoir présenté la scène rap brésilienne et le cas des rappeurs danois, on a décidé de se pencher sur le mouvement hip-hop au Maroc. Nous avons alors découvert un univers extrêmement riche composé de dizaines de MCs, DJs et beatmakers faisant la fierté du mouvement dans le royaume. Etablir une sélection dans ce fourmillement de courants et d’influences ne fut pas une mince affaire, aussi il nous a semblé nécessaire de séparer notre sélection en deux blocs. Le premier est composé de ceux grâce à qui ce mouvement s’est développé au Maroc. Ils sont issus de la première génération de MCs, ils se sont battus pour que le rap marocain soit ce qu’il est aujourd’hui, quitte à rencontrer quelques problèmes avec la police locale et à faire parfois de longs séjours en prison. La seconde partie de notre sélection vous présente la nouvelle garde, celle qui enflamme les festivals partout dans le pays et qu’on retrouve souvent en featuring avec des artistes français qui souhaitent les mettre en avant. Loin d’être exhaustive cette sélection a, avant tout, pour but de vous faire découvrir des artistes d’une scène rap méconnue et en constante évolution, dans un pays en pleine mutation sociale et politique depuis plus de dix ans.
(Meknes)
Groupe dorénavant légendaire, fondé en 1996, H-Kayne (littéralement en français « qu’est-ce qu’il y a? ») est LE groupe à connaitre quand on évoque le rap au sein du royaume chérifien. Leur second album HK-1426 sera le premier album de rap marocain à être vendu hors du pays et à être notamment présent dans les rayons de la Fnac. Le groupe se produit alors dans toute l’Europe et reste à ce jour le seul groupe de rap marocain à s’être produit au Bataclan. Décorés récemment par le roi Mohamed VI de la médaille de récompense Nationale, les membres du groupe ont en parallèle débuté chacun une carrière solo. Simplement inévitable.
(Casablanca)
Issu de la classe moyenne casablancaise, Taoufik Hazeb est considéré comme un des pionniers du rap marocain. Il débuta la musique dès ses 14 ans et ne s’exprimait alors qu’en anglais. Il réalisera plus tard que la meilleure manière d’être entendu par le plus grand nombre, reste le Darija, le dialecte marocain. Bigg exprime dans ses textes le mal-être d’une société remplie de paradoxes et n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur le système corrompu marocain. Porté par ses deux albums Mgharba ‘tal Mout puis le puissant BYAD ou K7AL (en français Noir et Blanc, album sur lequel on retrouve La Fouine mais surtout Fredwreck, le beatmaker de Tha Dogg Pound et de Snoop Dogg) font de Bigg un des portes drapeaux les plus célèbres du rap marocain.
(Casablanca)
Originaire de Casablanca et créé en 2003, le groupe Casa Crew est composé du légendaire Masta Flow, de Chaht Man, Jocker et de Caprice. Il fait partie des groupes majeurs de la première scène rap marocaine. Le succès du morceau « Men Zanka L’zanka » les poussera à se produire sur toutes les scène du royaume et dans de nombreux pays d’Europe et d’Afrique. Seulement deux albums à leur compteur avant que Masta Flow ne prenne le large pour poursuivre sa carrière solo avec tout autant de succès. Une référence.
(Tanger)
Pionnier du rap marocain, ce rappeur originaire d’un quartier populaire de Tanger et membre du groupe mythique Zanka Flow, est une référence dans tout le Maghreb. Sa voix caverneuse, ses textes militants et sa volonté de toujours évoluer en indépendance en font un véritable pilier qui contribua à l’essor du rap au Maroc. Le public attend à présent la re-formation du groupe pour un nouvel album qui s’annoncerait alors comme un véritable événement.
(Casablanca)
Originaire de la ville de Casablanca, L7a9ed débute le rap en 2004 entouré de deux amis. Il sortira trois ans plus tard son premier album L7a9ed Men Oukacha (en français L7a9ed d’Oukacha, son quartier d’origine à Casablanca) qui rencontra un véritable succès. Le MC ultra prolifique a sorti de nombreux albums depuis mais s’est aussi rendu tristement célèbre pour ses allers-retours en prison, dont un de plus d’un an à cause de ses nombreux textes pointant du doigt la corruption gangrénant le pays. A noter que L7a9ed a reçu en 2015, le prix pour la liberté d’expression de l’ONG Index. Un exemple.
(Rabat)
Ce jeune rabati possède plusieurs cordes à son arc puisqu’il est à la fois rappeur, rockeur, chanteur de R&B et enfin guitariste. Depuis son premier single « Ma3ndkom Madiro » sorti en 2012, il enchaîne les gros morceaux comme « 3ach W3ref » ou encore « Again » et plus dernièrement « L’Oseille ». Produit par Lartiste (bien connu en France), son dernier morceau « Next Level » affole les compteurs sur YouTube.
(Safi)
Originaire de la ville de Safi, le groupe composé de Small-X et Shobee s’est formé en 2012 et connait depuis un véritable succès auprès des auditeurs du royaume et de tout le Maghreb. Avec un EP et de nombreux clips à leur compteur, il n’est maintenant plus question que de leur futur album grandement attendu par leur public. En attendant, leur clip sorti en mai dernier « Wach Kayn Maydar » (littéralement « Qu’est-ce qu’il y a faire? ») bat tous les records sur YouTube avec une ambiance colorée et psychédélique et un refrain entrainant. A surveiller de très près.
(Casablanca)
Ce jeune casablancais révolutionne depuis ses débuts la scène marocaine avec une énergie folle et des influences américaines bien assumées. Avec de nombreuses collaborations nationales et internationales à son actif, Dizzy Dros est une véritable valeur montante du rap marocain. En mai 2016, il réalise avec le rappeur Komy un remix du morceau « All The Way Up » de Fat Joe qui est depuis devenu le morceau de rap marocain ayant le plus de vue sur YouTube : 26 millions !
(Rabat)
Amateur de crunk, c’est avec Komy qu’il faut découvrir ce mouvement version chérifienne ! Ce jeune rappeur originaire de la ville de Salé débute sa carrière en tant que membre du groupe Brada avec son compère Lil Haunted, avant d’embrasser une carrière solo. Son style résolument tourné vers les USA, apporta un vent nouveau dans le paysage sonore marocain en pleine mutation. Produit par Abel Damoussi et accompagné de DJ Van, Komy dévoile alors un premier album Sociologie qui remporte un succès immédiat. Traitant avec un regard avisé des problèmes de société, le rappeur y livre avec justesse une analyse sociale de la situation marocaine.
(Casablanca)
Attention OVNI ! Originaire de Casablanca, 7liwa peut être considéré comme l’artiste le plus « récent » de cette sélection mais avec un succès très important tout d’abord grâce à un morceau d’anthologie de 10 minutes sans refrain (!) livrée sur l’instru de « One Train » d’ASAP Rocky. Vinrent ensuite une mixtape Ktabi Baki et surtout un nombre impressionnant de clips plus fous les uns que les autres (certains sont même interdits aux mineurs) qui permettent à 7liwa d’assoir son univers (cheveux longs, tatouages et apologie à outrance de l’usage des drogues), totalement en décalage avec le reste de la scène rap marocaine. Un univers artistique qui pourrait amplement trouver preneur chez nous, si seulement le MC ne rappait pas qu’en Darija.
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