Quelques semaines à peine après avoir été à l’honneur lors de notre TBPZ Party spéciale New Kingz of NYC, nous avons profité de la venue de The Underachievers à Paris pour leur concert au Paris Hip Hop Closing pour passer un moment avec Issa et AK. Devant quelques heureux gagnants de notre concours spécial « insider », les deux rappeurs de Flatbush sont revenus en détails sur leur courte mais intense carrière et ont apporté de nombreux éclairage sur les multiples références spirituelles et méta-physiques qui caractérisent le « son UA » depuis la mixtape classique Indigoism et jusqu’à leur dernier album The Renaissance, sorti en mai dernier. Alors, ouvrez grand vos chakras et préparez-vous à plonger dans l’univers d’un des groupes les plus mystiques du game US.
The BackPackerz : Il y a encore quelques années, beaucoup affirmaient que le rap new-yorkais était « mourant ». Aujourd’hui, sous l’impulsion de collectifs tels que A$AP Mob ou Beast Coast (dont The Underachievers fait partie), il semble que la rap new-yorkais vive une sorte de renaissance non ?
Issa : Tu sais tout est très cyclique. Le rap new-yorkais était au top à un moment et puis d’autres artistes en provenance d’autres régions comme Atlanta ou Los Angeles ont commencé à faire leur truc et ont finalement repris le dessus pendant un moment… Mais le rap a toujours été présent à New York. C’est juste que depuis quelques années, des artistes très créatifs ont repris le flambeau et ont réussi à re-créer un nouveau « son new-yorkais » ; sans copier ce qui se faisait dans d’autres villes . Je vois plus ça comme une sorte de résurgence que comme une renaissance en soi.
Vous qui avez grandi à Flatbush (un quartier de Brooklyn, NDLR), est-ce que vous étiez plus particulièrement influencé par des rappeurs new-yorkais ?
AK : Pas spécialement car des mecs comme Lil Wayne ou Lupe Fiasco furent de grosses influences mais je pense qu’inconsciemment on a été influencés par les rappeurs new-yorkais de notre adolescence comme 50 Cent ou le Dipset… Mais je dirais que ma plus grosse influence sont les mecs de notre génération en fait : les gars de Flatbush Zombies, Joey Bada$$, Steez, A$AP Rocky… c’est eux qui m’ont donné envie de poursuivre dans la musique.
Issa : Oui c’est vrai mais je dirais qu’on a aussi été beaucoup influencé par des choses qui ne sont pas du rap. On écoute énormément de styles de musique : du rock psyché à la musique électronique. Je pense que cette diversité se retrouve dans notre musique.
Oui clairement ! Je réfléchissais l’autre fois à un article sur les meilleures « debut mixtapes » et j’aimerais beaucoup que vous nous parliez de la création de votre mixtape Indigoism, qui mérite clairement sa place dans cette sélection.
Issa : Aaah mais bien sûr qu’elle le mérite (rires) ! Sincèrement, j’ai généralement du mal à apprécier la musique qu’on fait avec AK mais Indigoism, d’après tous les gens avec qui ont a pu en parler, c’est vraiment quelque chose dont on peut être fiers. Je crois que ce projet est important pour l’impact qu’il a eu à son époque sur les gosses de notre génération. Je ne pense pas que ce soient les meilleurs sons qu’on ait produit de notre carrière mais lorsqu’on a sorti Indigoism en 2013, c’était vraiment la première fois qu’on présentait notre univers et notre son. C’était tellement particulier que pas mal de gens se sont reconnus dans cette ambiance apparemment. Et je suis toujours intimement convaincu que tous les gamins de notre génération ont cette faculté à penser de manière très abstraite comme nous le décrivons dans nos morceaux. Que ce soit via la religion ou la philosophie, notre génération a besoin de se projeter sur des grandes questions méta-physiques, sur des sujets auxquels le monde ne nous autorise pas vraiment à réfléchir d’habitude. C’est cet état d’esprit qu’on a peut-être libéré chez ceux qui nous écoutent depuis Indigoism.
Pourquoi utiliser le concept d’enfant indigo sur cet album ?
Issa : Si tu recherches « indigo child » sur Google, tu vas vite tomber sur un tas de trucs spirituels liés aux chakras etc… mais pour moi c’est beaucoup plus rationnel que ça parce que cela décrit précisément ce qu’on pourrait appeler « la génération internet ». Il fut un temps où on ne pouvait pas avoir accès à autant d’informations, où on ne connaissait que ce que le monde autour de nous voulait nous faire savoir. Mais aujourd’hui avec internet, n’importe qui avec une connexion a accès à l’information, partout dans le monde et à une vitesse jamais vue. Maintenant qu’on a toute cette information, on peut aller plus loin dans l’analyse et se poser des questions que les générations précédentes n’auraient pas pu se poser. Si tu prends l’exemple de la religion, on peut avoir eu une éducation catholique mais tout de même aller lire facilement les textes de l’islam, du bouddhisme etc… Ce qui rend les gens plus critiques, plus ouverts au questionnement sur ce qui les entoure mais qui permet aussi une réflexion plus riche en allant puiser dans les savoirs de différentes cultures. C’est ça qui définit le concept d’indigo child pour moi. Nous sommes une génération d’enfants indigo !
C’est marrant car alors que beaucoup pourrait penser que vous êtes juste un groupe de plus rappant des textes sur la drogue, votre musique a en fait un gros versant spirituel. D’où vous vient toute cette spiritualité ?
Issa : Oui, de mon côté c’est assez particulier. J’ai grandi au sein d’une loge maçonnique (confrérie civile qui réunit un petit groupe de membres de la franc-maçonnerie au niveau local, NDLR) Je pensais qu’il s’agissait juste d’une église chrétienne comme les autres mais c’était un peu différent car l’enseignement qui était dispensé là-bas allait bien au delà de ce qu’on apprend généralement aux jeunes dans ce genre d’endroit. On nous poussait à faire des recherches sur toute sorte de sujet, ça allait bien au delà de la religion. Ca a développé mon esprit critique très tôt. Quand j’ai grandi, j’ai commencé à rejeter la religion chrétienne assez rapidement car je trouvais ça juste difficile à croire. Toutes ces histoires étaient trop étranges pour être vraies tu vois. Et il faut savoir que mon père est d’origine chinoise donc la maison était bourrée de symboles et de livres bouddhistes, ce qui m’a aussi ouvert à d’autres croyances. Au début je me sentais athée et à mesure que je lisais des choses sur la religion bouddhiste, j’ai commencé à re-croire en Dieu mais plus comme un concept et une philosophie d’existence que comme un être ayant une existence « physique ». Et puis ensuite je me suis intéressé aux autres religions « du livre » et j’ai découvert que les histoires qui sont racontées dans la Torah et dans le Coran sont quand même hyper similaires avec celles qui sont dans la Bible. Ce sont les mêmes histoires dans des livres différents mec ! Je me suis alors dit qu’il y avait sûrement quelque chose de plus universel dans tout cela et que toutes nos sociétés exprimaient la même chose mais simplement dans des langages différents.
Un peu comme dans l’histoire de la Tour Babel en quelque sorte ?
Issa : Mais yes exactement mec ! C’est marrant car une des dernières choses sur laquelle j’ai fait des recherches et ce mythe de la Tour de Babel.
Tous vos albums sont truffés de références très précises dans divers domaines : de la science, à la religion en passant par la méta-physique. Quelles références (livres, films etc…) recommanderiez-vous à ceux qui vous écoutent ?
Issa : Il y a un livre qui renferme une grande partie de toutes nos références les plus ésotériques c’est The Secret Teaching of All Ages… (NLDR : dont le titre complet est The Secret Teachings of All Ages – An Encyclopedia Outline of Masonic, Hermetic, Qabbalistic and Rosicrucian Symbolic Philosophy). C’est une sorte d’encyclopédie alternative. Ca respecte le format d’une encyclopédie tant sur la taille du bouquin que sur l’organisation. C’est écrit par ce mec Manly P. Hall en 1928 et le texte n’a jamais été changé. Dans ce bouquin, l’auteur décrypte chacune des grandes religions dans les moindre détails et il montre à quel point elles se ressemblent mais aussi comment toutes ces histoires sont en fait reprises d’un tas de culture précédentes, des Grecs aux Romains en passant par les civilisations africaines antiques… C’est un bouquin qui est encore lu par des tas de gens à travers le monde, il est quasi-sacré. C’est un livre qui a vraiment changé ma vie !
Vous étiez venus faire un premier concert à Paris en 2013 juste après Indigoism et je me demandais quel était votre rapport avec le public français ou plus généralement européen ?
AK : Sincèrement, c’est le meilleur public qu’on ait ! Tous les publics européens en général sont dingues pendant nos concerts. C’est vraiment impressionnant de voir que les mecs connaissent les paroles de nos morceaux alors qu’ils ne parlent pas forcément l’anglais nativement on va dire.
Issa : Ouais l’énergie qu’on reçoit du public européen à chaque tournée est vraiment impressionnante. On sent qu’il y a une vraie génération d’indigo child ici [rires].
Est-ce que vous pourriez nous parler un peu de votre expérience avec Brainfeeder (NDLR, le label de Flying Lotus sur lequel le groupe « a signé » juste après avoir sorti le morceau « So Devilished ») ?
AK : En fait on a « re-sorti » Indigoism via le label Brainfeeder à un moment mais sinon rien n’est jamais vraiment sorti sur Brainfeeder.
Issa : En fait les seuls trucs qu’on ait vraiment retiré de l’expérience Brainfeeder est la rencontre de notre manager et surtout le fait qu’on était vraiment un groupe fait pour travailler en totale indépendance.
Vous faites parti du collectif Beast Coast avec les artistes de Pro Era mais aussi Flatbush Zombies. Comment vous vous situez dans ce mouvement ?
Issa : On se sent pleinement acteurs de ce mouvement. On a fait un album en collaboration avec Flatbush (Clockwork Indigo, NDLR) et il faut qu’on donne une suite à cet album mais aussi qu’on fasse un vrai album Beast Coast avec Joey et tous les artsites de Pro Era.
AK : On a tous un état d’esprit commun. On veut tous grossir autant que possible avec nos groupes respectifs et ensuite fusionner en une espèce de super-groupe Beast Coast. C’est ça qui est cool avec le Beast Coast c’est qu’on n’a pas fait un pacte de soutien mutuel, c’est quelque chose de plus subtil. On vient du même quartier, on partage des philosophies mais aussi des fan-bases comme on a pu le voir pas plus tard qu’hier au Stizz Day (NDLR, le festival organisé chaque année par le collectif depuis le décès de Capital Stizz en 2012).
C’est amusant car en dehors de la collaboration avec Flatbush, il y a très rarement des invités sur vos albums. Pourquoi cela ?
Issa : C’est ma faute ! En fait, je ne veux pas que nos meilleurs sons soient des collaborations sinon j’ai peur que les gens perdent de vue l’essence même du groupe. Imagine si demain on fait un album avec un gros son avec Flatbush, un autre avec Bada$$… Dans ce cas, tu ne sauras plus vraiment quel est le son de The Underachievers parce qu’il aura été trop mélangé avec celui d’autres artistes. On voit ça beaucoup trop dans le rap. J’appelle ça des « features whores ». Ces rappeurs qui font chaque année des tonnes de collaborations avec des artistes très connus mais qui n’ont presque pas de projets à eux. En fin de compte, ces artistes ne développent pas de fan bases, ils se contentent de surfer sur celles des autres.
AK : On a fait une exception avec Flatbush, et encore ça a pris quelques années avant de se mettre en place… Mais Flatbush c’est différent : on partage vraiment la même philosophie et la même vision de la musique parce qu’on a vraiment grandi ensemble. Je dirais même que c’est grâce à eux qu’on s’est mis à la musique parce c’est Erick Arc Elliott et Meechy Darko (NDLR, deux des 3 membres de Flatbush Zombies) qui étaient plus branchés musique lorsqu’on trainait ensemble et qui ont motivés tout le monde à mettre tous nos trips et notre univers dans des chansons.
Issa : Ouais carrément, c’est eux qui ont été à la base de ça ! Et c’est vraiment avec eux qu’on a pu développer notre créativité parce que on pouvait parler de vraiment tout, sans absolument aucune limite. Et l’objectif de nos projets musicaux était avant tout de pouvoir partager tout ça avec les autres gamins du monde entier.
Quand est-ce que vous vous êtes rendu compte que votre musique commençait à vraiment cartonner ?
AK : C’était juste après la première vidéo ! On a vraiment mis beaucoup d’efforts et d’énergie dans le clip de « So Devilished ». On a arrêté la Fac juste après la sortie de ce clip !
Issa : Ouais on était encore à la Fac à cette époque. Je me souviens que je passais pas mal de temps à analyser le parcours des artistes qui avaient connu le succès. Que ce soit (ASAP) Rocky, qui est toujours mon rappeur préféré, mais aussi Wiz Khalifa, Mac Miller, Tyler The Creator… J’étudiais comment ils avaient réussis à lancer leur carrière sur internet. Ma conclusion est qu’il fallait avoir 2 choses : des visuels très forts et créer une première communauté au sein d’une groupe particulier ; comme Mac Miller l’a fait pour les gamins blancs de banlieue ou Wiz Khalifa avec le monde de la mode. A partir de ça, on s’est dit qu’on allait trouver tous les « indigos » du monde et qu’on allait faire des vidéos complètement tarrées et ça a marché dès la première vidéo mec !
Si vous avez très peu d’invités sur vos albums, vous travaillez en revanche avec énormément de producteurs. Comment choisissez-vous vos beats ?
AK : Internet ! On a simplement crée une adresse email sur laquelle on proposait aux beatmakers du monde entier de nous envoyer des beats. On trouvait des mecs sur Soundcloud, sur Twitter et on leur demandait de nous envoyer des beats sur notre adresse email. On a reçu des milliers de beats comme ça !
Issa : On répond à ceux qui nous envoient les meilleurs beats et parfois on les recontacte pour les nouveaux albums.
Vous avez rencontrés beaucoup d’entre-eux ?
Issa : Non que quelques uns. Ronny J est un bon pote. Il est du New Jersey mais vit en Floride, il a produit pas mal pour Denzel Curry, XXXTentacion etc…
Les visuels de vos albums sont tous hyper particuliers. Qui est derrière toutes ces illustrations mystérieuses ?
AK : Oui les deux dernières pochettes ont été réalisées par Pencil Fingerz, un artiste originaire de Vancouver qui est vraiment hyper talentueux pour l’illustration. En général, on lui envoie des pistes assez précises, des croquis que fait Issa pour lui montrer ce qu’on veut exactement, quelle disposition, quels concepts et après il fait son truc et nous renvoie généralement quelque chose qui défonce dès les premiers essais. Pencil Fingerz est vraiment un magicien ! Big up à lui !
Un mot à propos de vos futurs projets ?
Issa : Il y aura de nouveaux clips très bientôt, des singles. Je vais sortir un projet solo d’ici deux ans.
AK : On va aussi enregistrer un nouvel album avec Flatbush. Il faut juste qu’on arrive à se caler tous ensemble !
Cette interview a été réalisée lors de la venue de The Underachievers à Paris, à l’occasion de leur concert au Paris Hip Hop Closing. Merci à nos partenaires du Paris Hip Hop pour avoir permis cette rencontre.
Crédits Photo : Majiim
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