Depuis leur troisième album Ego Death sorti en 2015 qui fut synonyme de consécration pour le groupe qui était alors membre du collectif de Tyler, The Creator, Odd Future (consécration incarnée par leur nomination aux Grammy’s l’année suivante), les membres de The Internet ne sont pas restés inactifs : outre le départ de Jameel Bruner, l’ancien claviériste du groupe (et par ailleurs frère de Thundercat, autre pointure de la neo-soul), les autres membres ont tous sorti un projet en solo et ils reviennent désormais avec Hive Mind, leur quatrième album.
C’est selon cette perspective que le groupe californien fonctionne depuis trois ans : tous les membres ont entrepris une carrière en solo et certains se sont véritablement fait un nom. Dans chacun de leurs projets solo, ils ont pu exprimer leur personnalité individuelle, de ce fait, aucun ne se ressemblait vraiment et seul celui de Syd, le très bon et acclamé Fin, restait assez proche de l’univers de The Internet.
Mais l’ascension la plus fulgurante est bien celle de Steve Lacy, le guitariste de The Internet. Lui qui n’était censé être qu’un invité sur Ego Death a finalement intégré le groupe et est désormais un véritable espoir de la musique. À à peine 20 ans, il dispose d’une véritable reconnaissance consacrée entre autre par la production de « PRIDE. » sur l’excellent DAMN. de Kendrick Lamar, ses collaborations avec Goldlink et Tyler, the Creator ou encore son fantastique Steve Lacy’s Demos, quatorze minutes de musique produites entièrement sur son iPhone. De leur coté, Matt Martians, Christopher Smith et Patrick Paige II ont sorti respectivement The Drum Chord Theory, Loud et le très personnel Letters of Irrevelance.
Sur Hive Mind, les cinq membres se rassemblent avec une ambition : mettre le talent individuel de chaque membre au service du groupe (« hive mind » signifiant « esprit de groupe », cette ambition est clairement exprimée à travers le titre de l’album). Ainsi, The Internet s’affirme à travers ce nouvel album comme un band, composé de fortes personnalités qui vont toutes pouvoir s’exprimer.
Plus que jamais chez The Internet, ce sont les instruments qui sont le principal attrait, on les remarque véritablement. C’est donc une rupture totale avec leur deuxième album de 2013, Feel Good, qui fut déjà amorcée par Ego Death mais qui est cette fois définitive. Les côtés trip-hop et électroniques du groupe ont été abandonnés (mis à part sur « Humble Pie ») pour se rapprocher encore plus d’une soul instrumentale variant d’un R&B tendant au « quiet storm » (ce sous-genre caractérisé par ses mélodies relativement douces et lentes) à un funk dynamique, notamment sur « Roll ».
Ainsi, les musiciens du groupe se distinguent plus que jamais, à commencer par Steve Lacy, qui expérimente énormément avec sa guitare en utilisant des effets à outrance. De ce fait, elle se remarque dans tous les morceaux, que ce soit de manière très groovy comme sur « La Di Da » et son effet wah-wah, ou alors bien plus profonde sur « Stay the Night » : Steve y réalise un solo à l’aide d’un effet chorus rappelant le son d’un autre guitariste proche du groupe (il est présent dans le clip de « Roll ») qui l’a probablement influencé, Mac DeMarco.
L’autre musicien qui se remarque véritablement sur Hive Mind, c’est bien Patrick Paige II, qui a produit des lignes de basse qui sont pour certaines mémorables. C’est d’ailleurs lui qui ouvre l’album sur « Come Together » et annonce la couleur avec ces notes puissantes et assez sombres alors que le reste du morceau est plutôt calme et exprime la réunion du groupe :
« They gon’ get us to come together »
Les basslines du musicien structurent véritablement des morceaux comme le très groovy « Roll » ou bien « Hold On », l’ultime track de l’album, où la basse produit un ostinato qui ne s’interrompt pas une seule fois et constitue la colonne vertébrale de ce morceau sublime.
Voilà comment le groupe teasait son album sur Twitter. En effet, il est important de remarquer l’absence de featurings, qui étaient pourtant très présents et variés sur les précédents albums (Vic Mensa, KAYTRANADA, Mac Miller, Janelle Monae…). Et cela constitue bien un plus : ils apportaient certes, sur Ego Death notamment, quelques variations, mais sur Hive Mind, cette absence est palliée par l’intervention des autres membres sur certaines chansons (« It Gets Better (With Time) », « Roll », ou encore « Beat Goes On », une coupure dans l’album, sur laquelle Syd n’est même pas présente).
Mais surtout, ce choix laisse encore plus de place à l’autre principal attrait du groupe : la voix de sa chanteuse, Syd, qui envoûte et transporte son auditoire sur des morceaux comme « Mood », sur lequel elle change l’intonation de sa voix pour le break donnant un rendu sublime. Ou encore « Come Over », où elle ne fait aucune fausse note. La voix de Syd tend vers cette parfaite harmonie avec les autres membres du groupe tout au long de l’album pour être finalement atteinte sur « Hold On », qui est le produit final de cet esprit de groupe et vient après une coupure dans l’album (« Beat Goes On »), comme pour nous y préparer. Dans ce morceau pourtant simple dans sa composition, tout semble s’agencer : la guitare, la batterie (qui n’apparaît qu’au bout de trois minutes) puis la trompette s’enchainent parfaitement sur le rythme de la voix de Syd accompagnée de la basse. « Hold On » est le morceau de quiet storm par excellence et sans doute le plus réussi de l’album.
Et puis à défaut de n’avoir aucun featuring, The Internet ne manque pas d’influences sur cet album : en plus de celles déjà citées, il faut notamment rajouter Jamiroquai, Sade (qui est même évoquée sur « La Di Da ») et Prince, que tous les membres du groupe admirent ouvertement et dont ils s’inspirent (notamment Steve Lacy, musicalement mais aussi par sa prestance). Ajoutons aussi De La Soul pour le clip de « Roll (Burbank Funk) » qui évoque beaucoup celui d’ »A Roller Skating Jam Named Saturdays », extrait de leur chef-d’œuvre de 1991, De La Soul Is Dead.
Enfin, au niveau des lyrics, on est une fois de plus dans la légèreté, ce qui n’est absolument pas blâmable pour un album où l’accent est porté sur l’instrumental. D’autant plus que n’importe quel mot sortant de la bouche de Syd paraît divin grâce à la délicatesse de sa voix, aussi bien le virulent « Bitch ! » adressé à une ex à la fin de « Look What U Started », que le suave « Would you wanna be my girl ? » sur « Wanna Be ». Il est donc essentiellement question d’amour comme sur « Come Over », où elle se réfère à un échange de regards et aux papillons qui apparaissent dans ses yeux (« Made you blush / You made me smile ») ou de rupture sur « Bravo » (« Thought that you had changed / I found out it’s just a role you play »). Thème universel et récurrent du R&B.
Ainsi, avec Hive Mind, The Internet fait évoluer son univers en revendiquant plus que jamais le fait qu’ils forment un groupe composé de musiciens tous talentueux. Et cette évolution a probablement été impulsée par leur guitariste – Steve Lacy – qui rentre encore dans une nouvelle dimension avec cet album, où il brille constamment. Le rendu de l’album est donc assez différent des précédents sur certains points : le groupe a davantage osé et expérimenté. Mais cela est tout à fait réussi : quand ils s’essaient au funk, le rendu est génial (on pourrait même regretter que seuls deux morceaux, « Roll » et « La Di Da » soient vraiment dans cette mouvance), et sur les morceaux plus R&B, tout s’agence parfaitement et reste harmonieux. Un excellent cru.
Cette chronique est une contribution libre d’Arthur Quentin que nous avons choisi de publier sur The BackPackerz. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur The BackPackerz, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.
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