Sylvan LaCue inaugure cette nouvelle année avec la sortie de son troisième projet studio Apologies in Advance. Un projet qu’il a produit sur son propre label et qui présente, tant dans sa conception que son storytelling, de bien belles surprises. Entrez, installez-vous, vous venez d’intégrer un groupe de parole. Ecoutez des bouts de vie vont vous être contés et il est possible que vous vous y reconnaissiez…
L’histoire de Sylvan LaCue est un modèle de résilience. Bien des gens et plus encore les artistes en font preuve tous les jours. Tout le monde en connait une, et chacun a celle qui lui tient le plus à coeur. Conscient que cette approche n’a rien d’original, LaCue a pris l’initiative de nous la jouer humble et a mis la sienne en scène sous la forme d’un groupe de parole. Histoire de ne pas se différencier de ses congénères et surtout pour préserver le côté ordinaire de son affaire. Bienvenue donc au sein du groupe de parole AIA qui lui a ouvert ses portes, et dont le but est de cheminer vers la maturité et l’acceptation de soi en 12 étapes qui sont (presque) autant de skits de ce projet qui compte vingts tracks.
Bon, dit comme ça, il faut être prêt… Dans les faits, LaCue s’offre un mixage innovant. Il y alterne des skits qui sont des extraits des discussions que la légèreté d’un piano accompagnent avec des morceaux rappés dont les productions sont nourries de nombreuses influences et de prises de risque qui font la richesse de ce projet. On pense notamment au carillon qui accompagne le beat aux accents boom bap de « Love & Sacrifice » ou à la fulgurance de l’uptempo qu’il distille sur la deuxième partie du puissant « Guilt Trip ». Notons aussi qu’en tant que skits utiles et dociles, ceux-ci servent d’introduction au morceau qui suit.
Justement, niveau production, de quoi est fait ce projet ? Assurément d’une bonne dose de bon goût, de nombreux clins d’œil à ses influences et de petites originalités qui lui donnent une saveur acidulée pas désagréable. Pour le bon goût, on nage en pleine subjectivité mais disons qu’en introduisant dans ses prods du boombap, des sonorités qui font le hip-hop des années 2010 avec les drills hérités de la trap et des thèmes entêtants, Sylvan LaCue réalise un trick bien construit. Il s’est d’ailleurs démarqué en créant des morceaux dont la sève est faite de mélodies bien travaillées autour de boucles de cordes élégantes et des basses lourdes qui font planer une atmosphère dont la pesanteur ne se dissout jamais. Les quelques singles qui ont accompagné la release de ce projet depuis quelques mois en sont d’ailleurs la parfaite illustration (« Selfish », « 5:55 » ou « Best Me »).
Celui qui cite Michael Jackson, The Hics, Sade, Coldplay ou James Blake parmi ses influences pour ce projet s’est donc ouvert à d’autres sonorités (plus éloignées de ses influences habituelles portées sur des artistes plus hip-hop comme Nas, Jay Z, Common ou Kanye West) pour construire et alimenter son propos. Malgré cela, cette prise de risque et son sens de l’esthétique certains n’ont pas encore permis à Sylvan LaCue d’offrir un album vraiment novateur bien que son approche soit d’excellente facture et joliment exécutée. Notons enfin qu’on y retrouve l’une des particularités du dernier opus de M. Lamar dans les changements de rythme au cœur d’un morceau (« P.O.M.E »). Enfin, ajoutons que la plupart des productions sont signées de la main du MC.
Quid des thèmes abordés ? Les lyrics parlent de recherche de soi et d’acceptation. Soit. Dans le fond, nous sommes des témoins un peu voyeurs d’échanges captés au sein d’un groupe de parole où chacun évoque ses doutes, sa vie, sa manière de réagir face à l’éruption de ses sentiments. Ce sont d’ailleurs moins les situations que leurs perceptions qui sont mises en avant. Les paroles relèvent d’ailleurs d’une grande humanité et relatent les doutes de l’homme et de l’artiste face aux situations chaotiques que la vie lui a imposées. Un opus expiatoire ? Peut-être, tant le parcours de LaCue est sinueux et volontaire. Il s’est très tôt émancipé, a très tôt su ce qu’il souhaitait faire mais a failli laisser tomber la musique par manque de visibilité et manque de perspectives réelles. Bien lui a pris de s’accrocher, nos oreilles peuvent maintenant en profiter.
Au final, la sortie de cet opus a été bien préparée. En sortant des singles de grande qualité qui ont beaucoup tourné au cours de la dernière année, Sylvan LaCue s’est offert une release en douceur, à l’image de la majorité des productions qui font son projet. Une douceur bienvenue pour aborder des thèmes très personnels dans lesquels tout le monde peut cependant se reconnaître. Apologies in Advance est un album rempli de sensibilité, d’influences, de musique pour la confidence, la tendresse, la rage ou la révolte et les textes scandés n’en sont jamais éloignés. Voilà un opus d’une très belle modernité qui illustre à merveille que le rap, plus que jamais, est protéiforme et donne à chacun le loisir de choisir comment s’exprimer. Seules ombres au tableau : le manque de nouveaux singles aussi succulents que ceux qui ont annoncé la sortie et quelques longueurs, notamment dans les skits dont la portée n’est pas toujours passionnante. Rien de grave en somme surtout quand on évalue la qualité globale du projet. La séance est terminée.