Le temps passe, les rides apparaissent, et les armes se grippent. Snoop Dogg, lui, à 46 piges, n’en a cure. Il poursuit son odyssée musicale en nous proposant aujourd’hui Bible Of Love, son seizième album. Voici ce qu’on en a pensé.
Le Doggfather est inoxydable. Déjà, Neva Left, son projet sorti l’année dernière, fut une agréable surprise. Il reprenait avec brio certains des codes qui ont fait les plus grands succès de la scène rap californienne. Surtout, il nous rappelait une chose : Snoop rappe toujours aussi bien. Il s’est aventuré hors des sentiers battus avec succès (7 Days Of Funk), mais pas toujours (Reincarnated). Néanmoins, il aura toujours su faire évoluer son style, sans renier son héritage profondément West Coast. Gloire doit lui être rendue pour cela.
Avec Bible Of Love, le natif de Long Beach pousse l’expérimentation plus loin qu’il ne l’a jamais fait auparavant. On vous prévient, il ne rappe (quasi) pas sur cet opus. Les amateurs de beats sudistes qui tabassent et de flows techniques ne vont pas apprécier. Ici, il n’est question que de chœurs, de spiritualité, de mains qui claquent, et de voix suaves. Tout ce qui fait l’énergie et la vitalité du gospel en somme. C’est passéiste, lent, enrobant et soulful. En gros, en 2018, on aime ou on trouve cela chiant.
Snoop Dogg presents… Bible Of Love
Si Calvin Cordozar Broadus Jr. a souvent fait l’apologie de la fumette tout au long de sa carrière (et c’est un doux euphémisme de le souligner), son âme a toujours été profondément chrétienne. Beverly, sa maman, est à la base de tout cela. Elle est celle qui lui a transmis les enseignements du Christ. Elle a fait de son rejeton un chanteur apprécié, au sein de l’église baptiste Golgotha Trinity. En bon fils, il a remercié sa génitrice pour ses bienfaits, publiant même ces louanges sur sa page Instagram.
« Maman, je travaille sur un album gospel et ça a l’air super. Merci pour m’avoir montré la voie et appris à transmettre le message. Je t’aime encore plus qu’hier. »
Snoop Dogg s’est donc offert un plaisir sur lequel il lorgnait depuis des années. Un double album Gospel, 32 titres, et une myriade d’invités. Sur ce projet, il réussit à faire cohabiter un Daz Dilinger apaisé (« Chizzle »), des Clark Sisters exaltées (« Pure Gold »), avec un B Slade incandescent, dont on parlera un peu plus loin (« Pain », « On Time », « Word Are Few »). Qu’on ne s’y trompe pas, quelques unes des plus belles voix de la musique noire américaine des années 2000 (et même d’avant) sont présentes ici. Mali Music interprète le délicieux « New Wave », l’excellent Tye Tribett s’occupe de tout sur l’extatique « You », les Rance Allen portent le christique « Blessing Me Again », et on retrouve une Patti LaBelle inspirée sur un « When It’s All Over » soulful à souhait.
Pour un projet d’une telle ampleur, certains invités seront forcément oubliés (Charlie Wilson, Sly Piper, Soopafly, K-Ci), sans remettre en cause leurs apports et influences. La grande force de cet album se trouve dans la posture adoptée par Snoop. En effet, il arrive avec brio à faire ce que Kanye West faisait si bien à l’époque de My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Se mettre en retrait et laisser s’exprimer le talent de ses invités, au service de son art, sans que l’on ne doute une seule seconde qui est le maître à bord.
Le jeu des comparaisons peut s’avérer très vite douteux. Mais, tout au long de ce disque, on retrouve ici et là du Black Messiah, du Awaken My Love, du vintage Bj The Chicago Kid , ou plus loin encore du Sam Cooke. Le Doggfather connait ses classiques et sa mère y est pour beaucoup.
Life Of Pablo / Coloring Book : la filiation évidente
Ces deux dernières années, deux sorties aux frontières du gospel ont agité la sphère hip-hop. The Life Of Pablo, septième album studio de Kanye West. Coloring Book, troisième mixtape de Chance The Rapper. On peut aisément dire que Snoop a été beaucoup plus loin que ses deux comparses, si on parle positionnement gospel. Mais l’analogie avec ces deux projets est intéressante. The Life Of Pablo était gospel dans les intentions, pas dans la réalisation. Entre deux moments d’egotrip, Yeezy nous confiait son envie élémentaire d’être un bon père pour sa fille, un mari aimant pour Kim, et un homme respectable, conscient des enjeux qui l’entourent. Hormis le magistral « Ultralight Beam », TLOP bénéficiait d’un son résolument contemporain.
Chance, lui, à travers Coloring Book partageait l’expérience divine qu’il a vécu : la paternité. Surtout à travers le morceau clôturant le projet : « Blessings 2 ». Un morceau remarquable, dans lequel il revenait sur le chemin parcouru, remerciait le Seigneur pour l’avoir préservé jusqu’ici, pour un final en apothéose. Un final dans lequel Anderson .Paak, Ty Dolla $ign, ou encore Bj The Chicago Kid se joignaient en chœur afin de livrer leurs bénédictions.
S’ils sont teintés de gospel, particulièrement dans la disposition des grooves pour le dernier cité, rien n’altère l’identité profondément rap qui en découle. Notamment à travers les productions pour TLOP (« Famous », « Fade », « Highlights »), ou à travers les invités pour Coloring Book (Young Thug, Future, Lil Wayne). Ce qui n’est pas le cas sur Bible Of Love, où tous les convives collent à la musique voulue par son géniteur. Une musique résolument church. « You » est à cet égard un exemple criant.
B Slade, mention très bien
« Blessings 2 » clôturait Coloring Book de manière magistrale. Le single « Words Are Few » clôture Bible Of Love de manière non moins magistrale. Ce morceau est en fait une reprise d’un titre de B Slade, l’homme à la voix charmeuse qui accompagne Snoop sur ce Happy Ending. Il est issu du double album Oak Park 92105, merveille de storytelling et d’avant-gardisme Nu-Soul très justement acclamée par la presse spécialisée à sa sortie en 2005.
Quant à Snoop, souverain en son royaume, porté par les chœurs et armé de sa voix, il rayonne et démontre à qui l’aurait oublié qu’a bientôt 50 ans, il reste largement dans le coup. Touché par la grâce, il ne sombre pas dans la radicalité (défaut majeur de sa période Rastafari), et sa mue en prêcheur de bonnes paroles paraît tout de suite plus plausible.
En définitive, le Doggfather nous a concocté un album dense, riche, et particulièrement bien structuré. Contrairement aux projets de Kanye et Chance, il abandonne totalement et avec bon goût le rap au sens premier du terme. Quelques temps morts viennent nous rappeler qu’il s’agit d’un double album de 32 titres, ce qui est rarissime aujourd’hui. Lyricalement, le tout est assez sommaire, même si nous avons tous compris que là n’était pas l’important. Rappeur, producteur de musique, acteur, producteur de films pornographiques, entrepreneur : Calvin Cordozar Broadus Jr. est bien inoxydable.