Seattle. La cité de la côte Ouest des Etats-Unis et de la pluie n’est pas seulement la ville de Nike ou Microsoft, c’est aussi la cité qui aura vu s’émanciper un producteur emblématique d’une nouvelle génération de beatmakers : Sango. Rallié depuis toujours à l’écurie Soulection dont il serait presque insultant de rappeler les bienfaits, le producteur issu d’une famille de musiciens de père et de mère, a surtout découvert la musique comme il a appris à marcher : naturellement, sans trop se forcer, même s’il a, de son propre aveu, trébuché sur quelques fausses notes.
S’il reconnait qu’il était tiraillé entre les préférences de sa mère (davantage portées sur la soul et le gospel) et celles de son père (plus orientées vers le hip-hop West Coast), ce sont finalement les percussions entraînantes distillées par son grand-père qui auront le plus forgé la personnalité artistique du beatmaker. Ce dernier l’a, en effet, familiarisé avec les rythmes chauds inscrits au répertoire de son groupe de musique afro-cubaine dont Sango buvait les percussions. La suite, nos oreilles la connaissent. Enfin, le raccourci est un peu rapide mais disons qu’après une auto-initiation aux délices et au monde infini qu’offrait Fruity Loops, il a pu apprendre à tordre et distendre les pistes pour composer sa propre mélodie de vie.
S’il commence à diffuser ses premières oeuvres en ligne à partir de 2010, c’est sa rencontre avec Joe Kay, co-fondateur du collectif Soulection, qui permettra au jeune Kai Asa Savon Wright (de son vrai nom) de trouver un premier public, notamment via les émissions radio animées par Kay depuis San Diego.
En 2012, Sango décide de mettre à profit les nombreuses heures passées à explorer les archives du web brésilien en réalisant un EP entièrement basé sur des samples et remixes de « baile funk » (ou « funk carioca »), un type de musique électronique dérivé de la Miami Bass très en vogue dans les favelas de Rio depuis les années 80. C’est véritablement avec cet EP, qui revisite un genre très peu connu en dehors du Brésil, que Sango s’attire un premier succès d’estime et une exposition qui, pour la première fois, dépasse l’audience Soulection.
Sango – « The Differences (Reprise) »
La force de ce projet sera également d’alimenter un nombre incalculable de spéculations autour de son auteur que beaucoup pense directement issu des favelas de Rio alors qu’il ne mettra le pied au Brésil pour la première fois qu’en 2014. Un voyage réalisé avec son compère Joe Kay et qui marquera un tournant pour l’artiste qui, à son retour, s’empressera de finir ses études de design graphique afin de se consacrer pleinement à sa carrière musicale.
S’en suit alors une discographie qu’un non initié pourrait considérer comme celle d’un producteur carioca (adjectif signifiant « de Rio » soit dit en passant). Mais, à bien l’écouter, la musique de Sango est en réalité un parfait syncrétisme entre sa culture américaine (le rap en tête) et ses amours conscients pour les sonorités qui enflamment les rues de Lapa, comme l’illustre parfaitement le titre « Agorinha », issu du dernier volet de la désormais trilogie Da Rocinha.
Sango – « Agorinha »
Mais réduire la musique de celui qui tire son nom du héro féminin du manga InuYasha à son interprétation « beat music » du baile funk serait omettre ses talents dans d’autres registres de production. Le rap notamment, pour lequel il a maintes fois fait ses preuves en produisant de très belles choses pour Smino (dont on vous recommande vivant l’album Blkswn) mais aussi avec son compère Waldo, avec qui il a fondé il y a quelques années le collectif NGO, qui regroupe divers artistes de la scène hip-hop de Seattle. Une collaboration que vous avez peut-être eu l’occasion d’entendre sans le savoir par l’intermédiaire du titre « SNS », utilisé par Childish Gambino dans son excellente série Atlanta.
Les productions à la fois deep et mélancoliques de Sango ont également tapé dans l’oeil de plusieurs artistes R&B. Pas étonnant de voir que dès 2014, Sango accompagnait la montée en puissance de futures stars de la pop urbaine telle que Tinashe ou encore Bryson Tiller. Dans un registre similaire, il enregistrait en 2016 l’album Hours Spent Loving You avec le chanteur Xavier Omar. Un projet estampillé Soulection qui semble avoir ouvert la voie a toute une nouvelle scène R&B puisant allègrement dans les sonorités trap et beat music pour donner une seconde jeunesse à un genre qui avait perdu de sa splendeur.
A la différence de nombreux beatmakers de sa génération, Sango considère que la production et le mix vont de pair. Un atout qui lui a permis de faire décoller sa carrière avec plus de facilité lorsqu’il a fallu aller défendre ses premiers projets dans les clubs de New York, Londres, Paris ou Tokyo. Si comme nous, vous avez eu la chance de voir le producteur de Seattle aux platines, vous avez certainement constaté que le jeune homme savait manier une foule. Une capacité dont il a su tirer profit en collectionnant depuis près de trois ans des shows aux quatre coins du monde aux côtés de son pote Kaytranada ou encore du français Stwo.
Heureusement pour nous, Sango ne perd pas pour autant de vue son principal objectif de s’imposer comme une valeur sûre et reconnue dans le « producer game ». Pour ce faire, il nous gratifie régulièrement de brillants remixes à retrouver sur son Soundcloud mais aussi de projets plus ambitieux comme l’excellent EP De Mim, Pra Você, sorti l’année dernière et qui se révèle être, selon nous, un de ses projets les plus réussis.
Un EP qui, d’après l’intéressé est une mise en bouche de son prochain album In The Comfort Zone, qui sortira vendredi prochain (16 mars) et qui comptera la participation d’artistes habitués de nos colonnes tels que son voisin Dave B, les chicagoan Jean Deaux et Smino mais aussi Naji, JMSN et Xavier Omär, avec qui il a collaboré par le passé.
En complément, celui dont les inspirations ont contribué à faire de Soulection une maison dont la qualité n’est plus à démontrer a prévu de poser ses valises en solo au Badaboum le mercredi 21 mars. Et c’est peu dire que d’annoncer que sa présence est attendue puisque le concert affiche complet depuis plusieurs semaines déjà.
Cover photo : puregrainaudio.com
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