On le savait fort sur ses bases mais Nipsey Hussle a poussé le curseur encore un peu plus loin avec Victory Lap, son premier album. Finement écrit, engagé et remarquablement produit, il est le disque qu’on attendait.
Si Victory Lap est le premier « véritable » album du rappeur californien Nipsey Hussle, ce dernier est pourtant loin d’être un rookie ou un nouveau venu. Cela fait plus de dix ans qu’il roule sa bosse en indépendant dans l’underground du rap américain. Un choix assumé plutôt qu’une situation subie. Pendant une décennie, le MC de Crenshaw a préféré cartonner le marché des mixtapes établissant ainsi sa propre forme de business tout en cherchant le meilleur deal possible pour lui permettre de garder le contrôle de sa musique sans se faire « fumer » par l’industrie ou faire trop de concessions. Il semble qu’il ait, enfin, trouvé le bon mode de fonctionnement avec Atlantic Records après des passages beaucoup moins fructueux chez d’autres labels qu’il a quittés les uns après les autres. Heureusement, ça valait le coup d’attendre, c’est le moins que l’on puisse dire. Si le rappeur de Los Angeles n’a jamais été avare en projets, Victory Lap est sans doute le meilleur de ce qu’il a pu sortir jusqu’à aujourd’hui.
L’héritier d’une longue histoire
Et pourtant, sa décennie passée dans l’underground était déjà révélatrice de très grandes capacités, sous-exploitées, sans doute à cause d’une exposition minimale là où Nipsey aurait mérité une couverture bien plus large pour que son talent éclate littéralement à la face du monde. L’indépendance a ses avantages mais aussi parfois ses inconvénients. Nipsey Hussle a pourtant été considéré comme une future grande star mais l’explosion s’est fait attendre. Gageons que Victory Lap devrait agir comme le détonateur attendu, tant il prend place dans la grande et belle histoire du rap West Coast.
S’il modernise et adapte le style, il ne renie en rien son héritage d’enfant de Los Angeles reprenant lui aussi des histoires de gangs qui ont marqué sa jeunesse et la légende de cette musique. Et puis, il y a les références régulières aux glorieux anciens, Snoop Dogg, Ice Cube ou DJ Quik, preuve que Nipsey veut s’inscrire dans une longue et prestigieuse destinée.
On l’a dit, il modernise le style et l’adapte à l’époque, mais la base est solide et bien ancrée. Il garde aussi une certaine cohérence avec ce qu’il a fait par le passé, histoire sans doute de prouver que Victory Lab n’est pas le fruit du hasard mais la somme d’un travail de longue haleine, puisque beaucoup des titres de l’album sont des numéros 2, donc des suites de morceaux existants sur des projets précédents.
Il n’y a pas de rupture dans Victory Lap, plutôt un talent exploité à son maximum par un rappeur qui a fourbi ses armes pendant dix ans pour en arriver à la quintessence de son art. Résultat, il alterne entre street bangers bien fat et titres plus doux dans un ensemble équilibré, grâce aussi à des prods particulièrement léchées captant parfaitement l’émotion. Si Nipsey Hussle n’a rien oublié de ce qu’il a fait avant pour construire Victory Lap, il s’est aussi résolument tourné vers l’avenir, dans une voie qui ne peut que lui permettre de franchir quelques marches supplémentaires et le conduire là où il a exactement envie d’aller : le plus haut possible !
Et pour cela, il a aussi compris qu’il fallait bien s’entourer, ce qu’il a fait, dans un subtil mix entre artistes peu connus (Stacy Barthe, TeeFlii, Buddy) et superstars qui, d’une certaine façon, valide le travail du MC de Crenshaw (YG, Diddy, Kendrick Lamar, CeeLo Green), le tout oscillant entre hip-hop classique et rap contemporain ultra-moderne.
Un thème majeur émerge
On le sait, Nipsey Hussle n’a jamais chercher à signer sans avoir de garanties financières évidemment, mais aussi artistiques, s’inspirant en cela fortement d’un Jay-Z tout aussi intransigeant lorsqu’il s’agit de parler business et musique. L’Angelino a une fibre entrepreneuriale qu’il ne peut pas nier et les faits sont là. Tout ce qu’il a gagné avec ses mixtapes a été réinvesti dans des commerces de proximité comme un coiffeur ou un magasin dans lequel il vend sa propre marque de vêtements. Entrepreneur noir, il encourage ses auditeurs à faire de même. Ce qu’il veut, c’est la mise en place d’un capitalisme noir fort.
Victory Lap est plus qu’une célébration, c’est le rappel d’un parcours, d’une existence entièrement dédiée à un but précis : la réussite même si le prix à payer peut être lourd. A ce titre, le disque a presque valeur de documentaire tant il revient sur la vie du rappeur de Los Angeles sans réellement de fard, rappelant les morts laissés en chemin, les coups durs, les coups tordus, les coups de feu aussi parfois. Le stress que certaines situations peuvent engendrer, la violence et le courage qu’il faut pour s’en sortir. Nipsey Hussle se voit d’ailleurs comme un exemple à suivre. C’est en tout cas l’un des messages importants du disque qui milite pour que les Noirs prennent leur destin en main, fasse des affaires, des études, bref, tout ce qu’il faut pour s’arracher à leur condition. Si ses rimes sont finement travaillées, elles se mettent au service de cette grande idée, l’amélioration de la condition des Afro-Américains et l’expansion d’une richesse noire.
S’il a fallu attendre dix ans pour arriver à un tel résultat, le moins que l’on puisse dire c’est qu’on n’est pas déçu ! Autant musicalement que lyricalement, Nipsey Hussle fait honneur à sa réputation en portant son niveau toujours un peu plus haut. Un disque qui devrait sans nul doute marquer 2018.