En plus d’être minutieusement scrutée par tout amateur de hip-hop alternatif qui se respecte, chaque signature d’un nouveau poulain au sein de l’écurie Mello Music Group procure une exaltation non dissimulée aux amateurs de pépites musicales. La dernière signature en date du label ne déroge pas à la règle. Lando Chill nous revient avec un deuxième effort au titre entouré de mystère : The Boy Who Spoke to the Wind. Un conte morcelé en 15 pistes à la narration sombre et profondément engagée.
Après un premier album (remarqué) dédié à la mémoire de son père, le jeune rappeur / producteur grand amateur de poésie et de spoken word s’est tourné vers un océan de spiritualité dans sa toile d’ésotérisme pour monter ce projet aux allures d’essai philosophique.
Inspiré par le travail de l’écrivain Paulo Coehlo sur son roman L’Alchimiste, publié en 1988, le concept de « voyage initiatique » de l’album est empreint de la même sève que celui vécu par Santiago, le protagoniste du livre de Coelho. Du moins, en essence. Comme un signe du destin, la genèse de ce projet a eu lieu sur une montagne par le biais d’une prise de conscience de son créateur.
L’allégorie du garçon qui parlait avec le vent, c’est avant tout une épiphanie, un constat que nous ne faisons qu’un avec le monde qui nous entoure. Que chaque expérience, qu’elle soit bonne ou mauvaise, n’est qu’un pas de plus vers la réalisation de soi. L’une des forces de ce projet réside dans la justesse et l’application avec laquelle s’emploie Lando Chill pour déclamer ses textes pour la plupart très dépouillés dans leur forme, mais à la portée éminemment contestataires dans le fond.
Lorsque l’Être atteint un certain degré dans la quête de son moi profond, certaines choses qui autrefois se confondaient avec des problèmes insolvables apparaissent comme des opportunités. Encore faut-il être capable de prendre le recul nécessaire pour s’octroyer une vue dégagée et libérée de tout parasitage. L’éveil de l’âme rend encore plus important le militantisme, c’est l’idée que semble défendre Lando Chill. Soulignant avec justesse la fracture sociale opposant la population afro-américaine avec le reste du pays, il dresse le constat d’une Amérique, et plus globalement d’un monde, miné par des conflits menés par des minorités aux sombres motivations souveraines.
« Break Them Shackles », premier single retentissant et, par la même, morceau d’ouverture de l’album vient poser le cadre. Bien aidé par des visuels forts en symbolisme et une instrumentale – disons le simplement – géniale mettant en avant les cordes pincées du guzheng, l’artiste exhorte l’Autre à se libérer des chaines qui le lie à son geôlier. Même son de cloche sur le reste de l’album, oscillant entre une éternelle quête de liberté et son combat contre l’hypocrisie post-ségrégation de la caste (toujours) en charge :
Said our rights turned jaundice / Our skin black as onyx
Our freedom took hostage / While free men paid homage« The King Of Salem »
Le morceau le plus marquant de l’album est sans nul doute « Black Boy Run » ; titre dont aurait pu se satisfaire un Jordan Peele, le réalisateur et scénariste du thriller social horrifique « Get Out« , lors de la création de la bande originale du film. A l’instar de son compère réalisateur, l’artiste reprend la figure de l’homme de couleur qu’il emprisonne dans un rôle de proie, de simple gibier pourchassé par la police voir même par ses propres congénères. Un raisonnement par l’absurde afin de souligner les traitements parfois immoraux réservés aux personnes ayant le malheur de faire parti de la tranche de la population dite des « minorités ».
En hommage à la langue maternelle de Paulo Coelho, quelques mots en langue Portugaise se faufilent sur certains passages de l’album. La musicalité de cette langue agissant en contrepoids, elle contraste efficacement avec l’ambiance sombre et épurée. L’auditeur se retrouve alors dans un entre-deux où s’entremêlent éléments figuratifs et non-figuratifs. Un no man’s land musical qui rajoute une bonne dose de mysticisme à un projet qui n’en manquait décidément pas.
La production de cet album provient en grande partie de Lando Chill et de son acolyte The Lasso, même si Triceratop et Benbi viennent chacun fournir deux titres à la galette. Force est de constater que l’atmosphère se dégageant de ce projet est d’une noirceur imposante. Le genre éthéré et syncopé de la plupart des mélodies n’est pas sans rappeler le travail de Flying Lotus sur son projet Captain Murphy, et plus globalement des artistes comme Shabazz Palaces ou encore Nosaj Thing. En témoignent des titres comme « falou com o vento », « o sicario e o padre », ou encore le planant « HeartSpace », palme du morceau le plus chill de l’album.
Le laid back, effet consistant à jouer au fond du temps, confère aux productions de l’album un aspect bancal. Couplé à cela le tempo très lent et vous obtiendrez un résultat irréel, presque vaporeux. L’artiste utilise cette astuce à profusion. Et comme si cela ne suffisait pas, le bassiste Chris Pierce vient poser ses cordes sur plusieurs morceaux. Son son est rond et quasiment dénué d’attaque. Ici, la basse n’est plus uniquement cantonnée à un « simple » rôle d’instrument, elle prend activement part à l’atmosphère comme entité à part entière.
Que cela soit sur les puissants chœurs aériens de « Black Boy Run » clin d’œil aux ancêtres, le piano et la gratte vieillis au flanger respectivement sur « o sicario e o padre » et « o Alquimista », ou encore les quelques notes de kalimba noyées dans l’atmosphère asphyxiante d’un « Broken Worlds », tout est pensé pour que cette excursion brouille les pistes et se transforme en une odyssée intemporelle, une de celles qui font ouvrir de nouveaux yeux.
This is why I exist
I’m here to be a beacon
To help show that, when we strive to become better than we are
Everything around has become better too
Love is that force that tranforms us into something better« HeartSpace »
Finalement, l’auditeur ressort de cet album secoué et touché par la sincérité de son auteur. Combien d’artistes peuvent se targuer de fomenter un univers qui se tient autant sur le fond que sur la forme ? Si quelques longueurs viennent s’ajouter à cet effort, on ne peut s’empêcher de penser que Lando Chill a réussi à capter toute la fugacité d’alchimiste du travail de Coelho et l’injecter avec justesse dans sa musique.
Et si l’histoire ne dit pas explicitement ce que le vent a dit à l’enfant, le curieux peut assurément s’en remettre à Lance Allan pour lui en faire un condensé. Nul doute que le rappeur a encore de nombreuses histoires à raconter.
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