Kali Uchis nous a gratifié il y a peu du lumineux titre « After The Storm », en recrutant la légende Boosty Collins et son allié de la première heure, Tyler, The Creator. Nominée aux derniers Grammy Awards pour sa collaboration avec Daniel Caesar sur le titre « Get You », celle qui s’impose comme l’un des talents de la nouvelle garde du R&B mondial prépare l’un des albums les plus attendus du printemps. Il était donc temps pour nous de nous pencher sur le phénomène.
Kali Uchis vous dira peut-être qu’elle ne souhaite aucune étiquette apposée sur le style de ses productions. Ni soul, ni R&B, ni pop. Il est tentant de l’admettre, elle est un peu de tout ça. Pourtant, en décortiquant la définition du rythm and blues, c’est bien dans cette lignée que l’on a envie d’inclure le « style » Uchis. En se basant sur une histoire musicale ayant comme protagonistes la soul, le funk, le blues, le rock & roll, le jazz, le rap, on s’aperçoit que finalement, ce sont bien les ingrédients de l’envoûtante potion dont on se délecte à son écoute. En quelques années, l’auteure et interprète américano-colombienne a su nous balader au fil des cinq dernières décennies, à coups de samples de vieille soul, rythmiques funky, ballades jazzy. De larges influences maniées avec fluidité, associées parfois à des airs de doo-wop ou calypso, s’aventurant même vers quelques riddims évoquant les prémices du reggae.
Cette galaxie de références s’agrémente de productions dont la modernité porte les noms de Kaytranada, Tyler, The Creator, Diplo ou BadBadNotGood. Le nombre de ses collaborations enchaînées en quelques années est d’ailleurs à faire pâlir d’envie tout artiste en herbe : Snoop Dogg, Daniel Caesar, Gorillaz, Major Lazer, Steve Lacy, Vince Staples, Miguel, Jorja Smith… Kali Uchis se paie même le luxe d’apparaître sur le dernier opus du légendaire Bootsy Collins avec le sublime titre « Worth My While ». Un curriculum vitae plus qu’impressionnant pour celle qui jusqu’ici n’a sorti qu’un excellent et unique EP en 2015, Por Vida. La chanteuse qui enflamme Instagram par sa cambrure et son regard de velours possède un indéniable sens de la mélodie, parée de tous les atours d’une baby-doll hollywoodienne des années 60. Décennies qu’elle affectionne particulièrement – fan auto-proclamée de Billie Hollyday et Ella Fitzgerald notamment – elle s’en approprie l’imagerie avec sophistication et désinvolture, sur ses clips polychromes dont elle est quasiment seule créatrice artistique.
La première des influences de Kali Uchis est probablement son histoire. Née en 1994 en Virginie, son enfance fut faite d’aller-retours entre Pereira en Colombie, ville d’origine de ses parents dans laquelle elle effectuera une partie de son école primaire, et les Etats-Unis, où elle s’établira définitivement à l’adolescence. Adolescence dont elle racontera plus tard les déboires. Sommée par son père de quitter la maison familiale à 17 ans, Kali réunit quelques affaires dans sa Subaru et part à la recherche d’un endroit où passer la nuit. Lycéenne et à la rue, elle vit seule, dans sa voiture, alternant lycée et petits boulots à la semaine. Lorsqu’elle va en cours, la jeune Karly-Marina Loaiza passe plus de temps dans le labo photo qu’en salle de classe. Encore à tâtons, sûre de son goût pour les arts, ce lieu lui permet de réaliser de petites vidéos et de poser les fondations de ses aspirations. Le soir venu, planquée sur le siège de sa voiture, elle plante ses premières graines : armée d’un bloc-note, Kali écrit les premiers mots qui deviendront bientôt les lyrics de la mixtape Drunken Babble, sortie en 2012, l’année de ses 18 ans. Son job du moment dans une supérette lui permet de se payer la réalisation de son premier clip. Kali s’émancipe en prônant la désobéissance sur le titre « What They Say », avec flegme, détermination et mélancolie. Sa volonté sera de ne se plier à aucune règle, ni celles du puritanisme ambiant, ni celles des majors. Ce titre, lançant sa carrière, sera d’ailleurs mis en lumière sur la tracklist de son futur album.
Tout est parti de là. La publication du clip et de la mixtape Drunken Babble attire le regard de Snoop Dogg, comme il l’expliquera au magazine Dazed :
« A partir du moment où j’ai vu « What They Say », je savais que Kali avait quelque chose de spécial. Elle a ce style authentique qui m’a rappelé la vieille culture low-rider. Puis elle a fait un pas de plus en samplant Brenton Woods et en venant poser du Mary Wells par dessus. J’ai adoré, j’en voulais plus. »
Snoop l’invite sur sa mixtape Thats My Work Vol. 3 en 2014, pour le titre « On Edge », samplant le sur-mesure « Dreaming About You » des Blackbyrds. Le style Uchis était né, jeune pousse rapidement flairée par Tyler, The Creator qui ne tardera pas à lui proposer à son tour un projet commun. En plus de l’inviter sur deux titres de son album Cherry Bomb – en prenant soin de l’associer aux légendes de la soul comme Roy Ayers ou Charlie Wilson – il l’aide à la réalisation de Por Vida, premier EP dévoilé en février 2015, dans lequel elle s’accompagne de productions signées Kaytranada, BadBadNotGood, ou encore Diplo. Mélancolique, sexy, fleuri, jazzy, Por Vida sonne comme un écrin pour la voix roucoulante de son interprète.
Loin du bling, douceur, habileté et impertinence portent la chanteuse vers des routes planétaires. Elle clippe cinq des titres de Por Vida : « Know What I Want », « Rush », « Lottery », l’excellent « Loner » et « Ridin’ Round », qui se verra d’ailleurs remixé par Tory Lanez. L’univers visuel acidulé prend alors une place tout aussi importante que les titres eux même. Son comparse Tyler, The Creator l’invite sur le génial Flower Boy avec « See You Again ». La floraison de Kali déploie beauté et parfum hypnotique, séduisant nombre d’artistes qui l’inviteront sur leurs projets. Entre deux collaborations, elle prépare doucement les premiers titres qui orneront son premier album studio (on murmure qu’un projet avec Kevin Parker, guitariste de Tame Impala, serait en cours). En 2016, Uchis invite l’anglaise Jorja Smith sur le vibrant tube « Tyrant », annonçant un style toujours plus offensif où se mêlent rétro et avant-garde futuriste. Cette tendance pour le rétrofuturisme sonne comme une transition entre la jeune pousse de Drunken Babble et l’éclosion de l’âge adulte. Tendance confirmée sur le space-opéra « Nuestro Planeta », sorti en 2017, véritable retour aux sources pour la chanteuse qui s’accompagne ici de la star du reggaetown colombien Reykon. La Colombie, sous le charme, la nominera en 2017 aux Latin Grammy Awards pour « El Ratico », son duo avec le chanteur-superstar Juanes.
Désormais incontournable, Kali Uchis se sait attendue et nous promet l’album de la maturité. En attendant, les compteurs YouTube explosent avec le funky « After The Storm », pendant que la chanteuse se prépare à accompagner Lana Del Rey sur sa tournée américaine. Vous pourrez découvrir le doux monde de Kali Uchis sur la scène de la Machine du Moulin Rouge le 2 mars prochain.
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