Pete Rock. Pour qui aime le hip-hop, ce nom ne peut qu’être associé au boombap des années 90, à New York City, aux remixes, à des tracks d’anthologie et à tout un pan de l’histoire de ce mouvement. Pour notre plus grand plaisir, le Soul Brother #1 était à la Bellevilloise le 10 décembre dernier, d’ailleurs accompagné par Apollo Brown et Bluestaeb. Et comble du bonheur, il nous a accordé une interview où l’on en apprend plus sur comment il a commencé, qui l’a inspiré et il y a même quelques indiscrétions sur ses futurs projets…
TBPZ : On voulait te parler de tes remixes parce que tu es probablement considéré comme le meilleur remixeur de hip-hop. Qu’est-ce que ça représente pour toi ? Qu’est-ce que ça t’évoque ?
Pete Rock : Hmmm, vous savez quoi ? Avec les remixes, je ressens presque de la déception parce que j’aurais aimé faire les originaux, pour ensuite pouvoir les remixer à nouveau (il rit). J’ai pris ces morceaux en me disant, voyons ce que Pete Rock en aurait fait. Tu sais, dans le fond, les remixes ne comptent pas vraiment, tu n’es pas payé pour les faire. C’était juste pour se marrer, on remixait n’importe qui. En fait, c’était une situation agréable parce que j’ai eu l’opportunité de le faire et que mon cousin Heavy D m’a pris sous son aile. S’il ne m’avait pas aidé, je n’aurais jamais été là aujourd’hui à vous parler !
TBPZ : Tu es aussi l’un des rares producteurs qui a toujours accordé beaucoup d’importance à l’art du mix. De nos jours, la plupart des grands producteurs ne sont pas DJ, ce sont désormais deux catégories bien distinctes. Quelle est ton opinion là-dessus ?
PR : Moi, j’ai commencé par le DJing ! Et je n’avais que 7 ans. Mon cousin Floyd m’a appris à scratcher. La vérité c’est que quand il n’y avait personne chez lui, j’étais comme un cambrioleur de 7 ans qui cherchait à rentrer chez lui parce que le matériel était en bas, dans sa cave et que je me faufilais jusque-là. Un jour, alors que j’étais là depuis une bonne heure, il est rentré et il m’a dit : comment t’as fait pour renter ? Il a vu ce que je faisais et il m’a dit : « Tu veux savoir apprendre à mixer ? », j’ai dit « Oui, s’il te plait ! » et il m’a montré comment manier les disques et faire bouger les gens.
TBPZ : J’ai lu beaucoup de choses au sujet de ta passion pour le crate digging. Quelle est ta routine ? Qu’est ce qui te motive à aller sans cesse chiner des disques ?
PR : Ecoute, j’ai aussi eu la chance de rencontrer James Brown quand j’avais 7 ans. Ma mère nous avait emmené, mon jeune frère et moi, à un concert et on a réussi à rentrer en backstage pour le rencontrer. Quand j’ai serré sa main, quelque chose est passé à travers moi comme un élan, une énergie. C’était réel, j’ai senti quelque chose mec ! Il s’est passé quelque chose ce jour-là parce que depuis, je n’ai plus jamais été le même. C’était… Je ne sais même pas comment le définir mais j’étais vraiment surpris et vraiment sous le choc pour être honnête.
A partir de ce moment, je n’ai plus pensé qu’à une chose : devenir musicien et vivre de ma musique. Dès que j’ai pu et j’ai d’abord commencé à acheter des disques. Dès que j’avais un peu d’argent j’allais direct chez un disquaire. Vous savez, quand le hip hop est apparu en 1976 ou 1977, je voulais m’y impliquer de quelque manière que ce soit mais j’étais encore qu’un amateur de disques, en spectateur, et j’apprenais. Puis les années sont passées, j’ai continué à me perfectionner en tant que DJ puis en tant que producteur. Lorsque j’ai compris que tous ces disques que j’avais achetés pour le mix m’étaient également utile pour produire des instrus, c’est là que je suis vraiment devenu ce mec qui passe sa vie chez les disquaires.
TBPZ : Est-ce que, comme DJ Premier lorsque nous l’avons interviewé, tu dirais que James Brown est ta plus grosse influence musicale ?
PR : Oui, sans l’ombre d’un doute ! Je pense que James Brown était agressif. Je veux dire, sa musique était agressive. Il avait les solos les plus agressifs que j’ai jamais entendu. La manière dont il chantait sur sa musique était inouïe, inédite et je voulais reproduire cela, mais dans une approche hip-hop. Je pense que Primo a vécu la même expérience avec la musique de James qui nous a influencés de manière particulière et nous inspiré notre manière de produire du hip-hop. Preemo et moi, on est un peu comme deux frères de deux mères différentes (rires).
TBPZ : Et en dehors de la musique, quelles sont tes inspirations ?
PR : (Il réfléchit). Des choses simples comme voyager, les vieux films de la Blaxploitation et particulièrement des années 70. Quoi d’autre ? Les comics, j’adorais les super héros quand j’étais gamin, et c’est d’ailleurs toujours le cas.
TBPZ : Dans une interview pour Bonafide Magazine, tu disais : « Je pense que personne ne le croit mais je suis le producteur qui possède le plus de beats… ».
PR : (Il coupe) Oui je le pense toujours ! Juste parce qu’à chaque fois que j’ai eu une nouvelle boite à rythme, je m’enfermais chez moi avec ce nouveau jouet et que je faisais des centaines de beats tous les jours jusqu’à la maîtriser. Et c’est comme ça depuis que j’ai commencé à composé au début des années 80 donc oui, je pense que j’ai le plus grand nombre de beats de toute l’industrie !
Laissez moi vous raconter comment ça a commencé. A la base, j’écoutais beaucoup des producteurs comme Marley Marl, Teddy Riley, Rick Rubin, Russell Simmons, Larry Smith, le mec qui a fait « Sucker MC’s » tous ces grands producteurs des années 80. J’ai commencé à me rapprocher de Marley grâce à mon cousin Heavy D qui lui vantait mon travail parce que Marley et moi, on venait un peu de la même école de DJing. Mon cousin a dit : « Hey man, voilà mon cousin, écoute ce qu’il fait ». A cette époque, Marley était déjà un DJ reconnu à la radio et il travaillait avec Heavy D. C’est comme ça que j’ai rencontré Marley. Quand j’ai commencé à passer à la radio avec Marley, j’étais le plus jeune DJ à la radio à cette époque. Et quand je les ai vu travaillé ensemble et la manière dont ca se passait, je me suis dit : « C’est ce que je veux faire ». Avec le temps, mon cousin a commencé à voir plus en moi qu’être un DJ à la radio. Alors, il a commencé à m’ouvrir des portes parce qu’il était déjà dans le business. Avec Heavy D and the Boyz, il commençait à être une star du hip hop. Alors il m’a emmené en tournée, il m’a montré cette vie et c’est là que j’ai su que je voulais en faire ma carrière.
TBPZ : Avoir un mentor semble être quelque chose de très important et de très répandu dans le hip hop mais on en parle finalement peu. Il y a quelques semaines, nous avons interviewé Oddisee qui nous a expliqué que tu l’avais mis en relation avec Jazzy Jeff pour sa première apparition grâce à Grap Luva. Ces connexions entre artistes, le public les connait peu finalement.
PR : Mec, pour moi, Jazzy Jeff est le meilleur DJ de Philly et quand j’ai entendu leur premier album (ndlr : avec The Fresh Prince) avec les transform, les scratchs et sa technique, je me suis dit : « Mec, comment tu fais ça ? » Finalement, quand je l’ai rencontré, il m’a montré comment il s’y prenait. Après ça, je me suis entrainé énormément, tous les jours et j’ai ensuite eu une belle opportunité de travailler avec Jazzy Jeff and The Fresh Prince.
TBPZ : Nous voulions aussi avoir ton avis sur les albums où un producteur invite plusieurs MC. Avec Marley Marl, vous étiez les premiers à lancer ce type de format qui a depuis fait légion. C’est quoi la genèse de cette idée ?
PR : En fait, au début, c’est Marley Marl qui a commencé à proposer ce format avec la compilation Marley in Control. Ça m’a vraiment inspiré et je me suis dit que j’avais vraiment envie d’en faire autant mais à ma façon. J’avais déjà ma propre idée de ce que je voulais. Je ne voulais pas le copier. Lui témoigner du respect, oui mais je voulais le faire à ma manière. Alors je me suis lancé avec Soul Survivor (1998).
J’ai travaillé dur sur les beats. Je voulais que chaque beat soit génial, tu vois ce que je veux dire ? Les gens ont des opinions différentes sur les morceaux qui composent cet album, certaines sont plus appréciées que d’autres mais elles sont toutes bonnes d’après moi. Toute ces collaborations (ndlr : Raekwon, Ghostface Killah, Method Man, Black Thought, Prodigy, Common, Big Pun et tant d’autres…), c’était vraiment beaucoup de boulot mais c’était très sympa. Surtout parce que je l’ai fait à ma manière et que personne ne l’avait jamais fait comme ça auparavant. Je dis toujours que si tu veux être original, tu dois travailler dur. C’est ce que j’avais l’impression de faire avec cet album et je crois que ça a payé.
TBPZ : Quels sont les rappeurs de la nouvelle génération que tu apprécies ?
PR : J’adore Kendrick Lamar. J’adore Kanye West aussi mais sur ses premiers albums, au tout début de sa carrière. Plus récemment, il s’est un peu éloigné de tout ça, son discours est devenu moins cohérent mais il a toujours du talent pour moi. Qui d’autre ? Je dirais Joey Badass, Action Bronson. En fait, tous ces mecs qui font du rap qui sonne bien musique et qui parlent des vrais problèmes.
TBPZ : Tu as sorti ton dernier album sur Mello Music Group , y’a-t-il un artiste dans leur roster avec lequel tu serais particulièrement intéressé de travailler ?
PR : Oh oui, j’aime beaucoup tous les artistes qui sont signés sur ce label. Mais je pense aussi à Dr Dre que j’ai toujours admiré en tant que producteur. J’ai toujours trouvé son travail très propre. Il y a aussi Q Tip avec qui j’aimerais beaucoup travailler. Et même toute la nouvelle génération en fait. Mais pour être honnête avec vous, je n’aime pas la trap parce que je ne ressens pas cette impression qu’on puisse apprendre grand-chose de cette musique. Je suis le père de 2 enfants qui en écoutent et, bien sûr, je dois les laisser faire leur chemin par eux-mêmes, mais quand je leur demande ce qu’ils y apprennent, ils sont incapables de me répondre parce qu’il n’y a pas de discours profond derrière.
Pete Rock – « Heaven & Earth »
TBPZ : Tu penses que le hip hop doit apprendre quelque chose ?
PR : Oui, bien sûr. En fait, c’est un devoir d’enseigner par notre musique en tant qu’artiste hip-hop.
TBPZ : Tu es plutôt dans cette dynamique de passer le flambeau à la génération future ?
PR : Bien sûr ! C’est l’une des choses les plus importantes et ça me réjouit d’aider quelqu’un à trouver sa voie et de l’y pousser. Même quelqu’un qui n’a jamais fait ça et qui commencerait et à qui je pourrais montrer le chemin ou qui voudrait suivre le chemin de Pete Rock. J’adore transmettre cela aux gens.
TBPZ : On peut s’attendre à voir une Masterclass Pete Rock bientôt alors comme 9th Wonder ?
PR : Et ouais, pourquoi pas… Cela dit, je veux vraiment faire les choses bien, comme l’a fait 9th Wonder, à Harvard ou même dans les lycées. Enseigner aux jeunes qui veulent vraiment faire de la musique et leur raconter mon expérience, ma carrière, ma vie, … J’ai toujours pensé que c’était important pour les jeunes de savoir comment on a vraiment commencé sa carrière. Ça ne s’est pas fait en une nuit, il y a eu de nombreuses étapes.
TBPZ : Enfin, peux-tu nous parler de tes prochains projets ?
PR : Bien sûr, je travaille avec Smoke Dza, un jeune gars qui respecte la culture Hip Hop. Je travaille également sur Soul Survivor III. Je travaille aussi avec Dr Dre en ce moment et je laisse les choses suivre leur cours. Je produis aussi un autre album. Tu sais, j’ai tellement de beats en stock que je peux me permettre de bosser sur plusieurs projets à la fois (rires).
Cover photo : ©Gustavimages – www.gustavimages.com
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