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Olivier Cachin : rencontre avec un B-Boy en costard

Lorsque nous avons lancé The BackPackerz en début d’année,  notre ambition, plus que de créer un énième blog ou autre web player, était de proposer un véritable webzine consacré à la culture Hip-Hop. A l’image d’un magazine, nous relayons bien sûr l’actualité rap via des news et chroniques mais aussi (et surtout) nous tentons d’analyser la culture Hip-Hop en profondeur par le biais de dossiers et d’interviews. Cet attachement au format magazine s’inscrit dans l’espoir de redonner une second souffle à une presse Hip-Hop française, autrefois florissante mais aujourd’hui à l’agonie…Curieux de découvrir les coulisses de cet âge d’or de la presse Hip-Hop en France, nous sommes partis à la rencontre de celui qui est sans conteste le journaliste le plus emblématique de cette période glorieuse: Olivier Cachin.

Un B-Boy en costard

Après un début de carrière en tant que pigiste au desk de l’AFP, Olivier Cachin fut l’un des tout premiers journalistes à traiter du sujet Hip-Hop en France de manière sérieuse avec le magazine L’Affiche, qu’il crée en 1988 avec Franck Fatalot. En sa qualité de rédacteur en chef, poste qu’il occupera durant douze ans (1988 à 2001), il réussira à imposer L’Affiche comme le premier magazine consacré au rap.

C’est également lui qui est à l’origine de l’émission TV Rap Line, qu’il anime sur M6 à partir de 1990 et qui ramène le rap à l’écran après la disparition d’H.I.P H.O.P de Sidney. Durant les trois années d’existence de l’emission, Olivier Cachin a contribué à l’émergence des plus grands succès du rap français des années 1990 en recevant et en produisant des clips pour IAM, le Suprême NTM, Assassin, MC Solaar et bien d’autres…

En plus d’avoir amené les gens de la presse et de la TV à reconnaitre le rap, il est également l’auteur de livres références sur la culture Hip-Hop. On pense notamment à des ouvrages tels que les 100 Albums Essentiels du Hip-Hop ou L’offensive Rap, qui réussissent le pari de livrer un panorama complet et presque objectif de l’Histoire du rap en France et aux Etat-Unis. Ces deux livres ont d’ailleurs joué un rôle primordial dans notre décision de créer ce site.

Aujourd’hui, il partage sa passion pour le Hip-Hop avec les auditeurs de la radio Le Mouv’ sur laquelle il anime l’émission La Collection Rap. Il tient également régulièrement des conférences durant lesquelles il transmet à des publics de tout âge la grande Histoire des 40 ans de Hip-Hop.

Vous l’aurez compris, en plus de s’inscrire parfaitement dans notre démarche de donner la parole aux plus grands activistes Hip-Hop (rappelez-vous Bobbito Garcia), cette interview a également pour objectif de recueillir l’avis de celui que nous considérons comme le plus grand journaliste Hip-Hop français sur nos sujets de prédilection: l’âge d’or des 90s, l’HipHopEd, l’avenir du rap et bien d’autres à découvrir ci-dessous.

Interview

Olivier, on sait que tu es un grand mélomane mais tu as tout de même une grosse spécialisation sur la Black Music: d’où te vient cet attrait ?

Ça vient des années 80, avec notamment l’émission Sex Machine de mon ami Philippe Manoeuvre, qui m’a permis de voir pour la première fois les clips d’artistes comme Rick James, Georges Clinton, Grandmaster Flash… Je me rappelle très bien qu’au début, je trouvais les clips du style “Give It To Me Baby” de Rick James d’une vulgarité sans nom, super cheap; mais en même temps, il y avait un truc qui était super fort. A la base, j’étais plutôt punk mais déjà, tous les trucs qui passaient en Angleterre et qui faisaient danser, je me disais “c’est de la daube mais c’est quand même bien !”. Et puis le Hip-Hop est aussi arrivé dans ces années-là, c’était l’époque de Sugar Hill Records avec Sugar Hill Gang, Grandmaster Flash & the Furious 5…Vraiment Old School ! Mon coup de chance, c’est que la plupart de ces artistes sont venus faire des concerts en France. J’ai ainsi pu voir Grandmaster Flash au Palace par exemple. Mais niveau son, c’était plus du Funk instrumental arrangé et pas encore de vrais breakbeats découpés par des DJs.

Donc le premier élément qui te frappe c’est direct le rap et non pas la danse ou le graffiti ?

Oui c’est le rap. En fait, je n’ai jamais vécu le Hip-Hop comme un truc collectif, et c’est pour ça que je paraissais suspect quand j’ai commencé Rap Line. Je n’ai jamais été au terrain vague de la Chapelle, je n’ai jamais traîné en bande, jamais porté du sportswear, etc. Mon plaisir avec cette musique n’était pas collectif – contrairement à quasiment tous les gens de l’époque – mais plus intellectuel, dans le sens où il était lié aux paroles ou bien aux looks des artistes. J’avais déjà une démarche beaucoup plus journalistique et non pas de fan, en tout cas pas clanique, et c’est ce qui faisait ma différence je pense.

Le mouvement HipHopEd (pour Hip-Hop Education) est un sujet qui nous tient à coeur, tu n’as jamais pensé enseigner la culture Hip-Hop à l’université par exemple ?

Je le fais d’une certaine façon avec mes conférences. J’en fais régulièrement depuis plusieurs années à travers la France, dans des CE, des Conseils Régionaux, des centres de loisir, des maisons de la culture ou des mairies. C’est une forme d’éducation car parfois on s’adresse à des parents qui demandent “quelle est donc cette culture dont mes enfants me parlent toute la journée ?”. Il y a donc un côté éducatif, mais je l’ai jamais fait dans un cadre purement scolaire. J’aime bien le côté historique et la transmission de savoir, je trouve ça triste quand je vois qu’il y a des gamins qui ne savent pas ce qui existait avant Booba (et bientôt ils ne sauront même plus qui est Booba), mais en même temps, le côté naphtaline que peut donner l’officialisation d’un mouvement me refroidit…ça ennuie vite les gosses. C’est pourquoi lorsque je donne une conférence je n’ai pas de notes, c’est toujours spontané, une forme de freestyle, je fais au feeling et surtout pas avec ce côté professeur, il n’y a rien de pire qu’un sociologue qui commence à te sortir des graphiques pour t’expliquer le pourcentage de gens qui écoutaient les musiques urbaines à un temps T.

On ne peut pas parler de Hip-Hop comme on parle de Napoléon ou de la Première Guerre Mondiale, puisque ce mouvement vit encore aujourd’hui

C’est marrant que tu te défendes d’une approche sociologique alors que c’est justement ce côté qui nous a marqué dans tes bouquins ?

Oui car c’est la musique qui reste à la base de mon propos. Les sociologues, eux, n’écoutent pas. On ne peut pas parler de Hip-Hop comme on parle de Napoléon ou de la Première Guerre Mondiale, puisque ce mouvement vit encore aujourd’hui…mais bon j’ai malgré tout de très bons amis sociologues !

Lorsqu’on écrivait notre article sur l’immoralité du rap, on a eu l’impression que dans les années 80-90 il y avait une place pour le rap positif (Native Tongues) et qu’aujourd’hui il n’y a que le rap club et le rap hardcore qui ont leur place au niveau commercial. Qu’en penses-tu ?

Majoritairement oui mais en cherchant on trouvera toujours des artistes “positifs”. A partir du moment où on essaie d’avoir une vision morale de l’art c’est perdu d’avance. On retombe alors sur de vieux débats comme en littérature avec Céline: le gars a produit des écrits crapuleux mais c’est quand même le plus grand écrivain du 20ème siècle. En rap c’est pareil, même les pires gangsters ont des aspects positifs de par leur brillance et leur talent. Cependant, s’il suffisait d’avoir tué des gens ou d’être allé en prison pour être bon ça se saurait, mais il se trouve que parmi eux certains ont ce truc en plus. Et inversement, il y a des rappeurs qui sont ultra cools mais ennuyeux comme la pluie ! Tout le monde ne peut pas être A Tribe Called Quest. Pour en revenir à la question, c’est vrai qu’il y a peut-être plus de rap hardcore ou club aujourd’hui tout simplement parce que c’est le plus simple pour arriver à vendre et les rappeurs, surtout américains, sont quand même très portés sur l’efficacité, sur ce qui plaît. On trouvera toujours des mecs “positifs” mais ça reste une minorité, c’est comme quand j’entends “oui mais il y a aussi des filles dans le rap !”…OK mais bon il faut pas déconner, il n’y a pas la parité dans le rap, c’est pire qu’à l’Assemblée !

On est loin de la parité c’est sûr, mais il y tout de même une lueur d’espoir avec une nouvelle génération de rappeuses (Rapsody, Dynasty, Reverie) qui ont autre chose à proposer qu’une Lil Kim à l’époque ?

Je n’y crois pas trop…le rap et ce qui va avec (tenir ses couilles et dire “je suis le meilleur”, “regardez moi”) c’est principalement un truc de mecs. Certes, il y a de plus en plus de filles dans le public des concerts, mais parce que la fascination, l’égo-érotisme intense du bad boy musclé avec des tatouages fait toujours effet. Récemment, j’étais avec Akhenaton en studio pour écouter son nouvel album, et il me parlait de Rapsody, il me disait que c’était une super nana dont on ne parlait pas beaucoup, et lui c’est un fondu de cette fille, il écoute tout. (il prend alors l’accent marseillais pour imiter AKH) “Franchement elle fait des trucs très bien, Lil Kim c’était une autre époque, maintenant il y en a plein de nouvelles nanas, même Nicki Minaj elle a fait des trucs corrects”. Oui, Il y en aura toujours, il y en a toujours eu mais honnêtement, le discours qui affirme que les femmes ont autant leur place que les mecs, je n’y crois pas, on est pas près d’arriver à la parité. Mais c’est pareil en rock par exemple, tu n’as pas beaucoup plus de filles qu’en Hip-Hop ! La preuve, dès qu’il y a un groupe de filles qui marche comme The Runaways ça devient un phénomène. Tout ça pour dire que cela reste globalement des cultures macho. Les filles ont peut-être moins ce besoin de rassurer leur égo, mais attention aux explications trop sociologiques !

Est-ce que le rap va mourir ?

Non, sinon ce serait arrivé depuis longtemps, même s’il est mort pour les gens qui pensent que le rap d’aujourd’hui n’est plus du rap. Le rap c’est un virus, en perpétuelle mutation, ce qu’on appelle rap aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’avant. Si tu prends le déroulement depuis les premières block parties des années 70 et des cassettes jusqu’à JAY Z et Beyoncé au Stade de France, ça n’a plus rien à voir, ni en impact, ni au niveau de la façon de faire de la musique, ni de la façon de présenter ça au public…pourtant c’est toujours du rap, donc bien sûr que ça continuera…Simplement aujourd’hui les rappeurs chantent, ce qui était inimaginable il y a quelques années, ou ont des musiciens sur scène alors que les mêmes mecs il y a 20 ans auraient dit “pas question ! Nous c’est one mic, 2 turntables” ! Il peut y avoir d’autres genres musicaux qui viennent remplacer ou se superposer sur le rap, mais je crois que l’idée de s’exprimer sur des beats a déjà recouvert tout ce qui existait jusque là.

Est-ce que le risque n’est pas que le rap ne devienne plus qu’une technique et non plus un courant musical ?

Ça l’est déjà dans le sens où il y a plein d’artistes qui se sont emparés des codes du rap mais qui ne se considèrent pas vraiment comme des rappeurs, qui sont sur l’extrême bord de cette musique-là. Parler en rythme sur de la musique, c’est quasiment devenu la norme, même en variétés.

Comme si un artiste commercial était mauvais et un artiste underground était bon. Le rap te montre tous les jours que c’est un faux préjugé: il y a plein d’artistes underground qui sont mauvais.

En tout cas, on se rend compte que les vraies pop-stars d’aujourd’hui sont des rappeurs (JAY Z, Kanye West…). C’est un progrès pour le Hip-Hop selon toi ?

C’est grâce à eux que le rap continue, sinon ce serait devenu une musique de niche. Quand tu n’as pas de superstars ou de super-héros qui représentent le genre musical, cela devient un genre pour quelques milliers de geeks dans leur coin et cela perd son impact. Le Death Metal, par exemple, ça existe mais ce n’est pas un genre qui va influencer la société ou le show-business. Tant que tu n’as pas Metallica pour représenter le Hard Rock ou un JAY Z pour le rap, ce n’est pas la peine d’espérer quoi que ce soit. Ça n’empêche pas pour autant d’avoir des artistes plus spécialisés qui vont permettre aux gens de dire que JAY Z est devenu trop commercial. C’est un discours qui me fait toujours marrer, comme si un artiste commercial était mauvais et un artiste underground était bon. Le rap te montre tous les jours que c’est un faux préjugé: il y a plein d’artistes underground qui sont mauvais. JAY Z était super underground aussi, mais il a ensuite eu la volonté et le talent pour aller toucher un public plus large, mais ce côté “moi je ferai jamais la Star Ac” ou “moi je n’irai jamais vendre mon cul” ça me fait rire…si on te propose de l’acheter ton cul on verra si tu ne veux pas le vendre ! C’est un peu plus compliqué que ça.

C’est intéressant de voir que tu assumes autant le côté hyper pointu qu’ultra commercial dans tes critiques. Comment vois-tu cela ?

C’est en grande partie dû à ma longévité. Ça fait 30 ans que j’ai découvert cette culture, je l’ai donc écoutée et assimilée pendant toutes ces années, ce qui me permet d’avoir une vision beaucoup plus large que celle d’un gamin qui arrive seulement maintenant. Et puis être critique musical, pour moi c’est avant tout être curieux. Parfois j’écoute des sons et je me dis “bon OK ce n’est pas fameux mais ça m’intéresse”. On peux être fasciné sans pour autant apprécier musicalement. Par exemple, comment un mec comme Jul, avec ses pantacourts et son style kitch au possible, arrive à vendre quasi 100 000 disques ? Sa musique ne me plaît pas, je trouve abominable des rimes comme “Te déshabille pas j’vais t’violer”, mais dans un sens, ça me fascine parce que je me demande comment un mec que personne n’avait vu venir arrive à faire Planète Rap, et aller au-délà de sa fanbase marseillaise et à séduire plein de gamins. On en apprend pas mal sur son époque aussi.

Tu parles de Planète Rap, est-ce que justement Skyrock joue son rôle selon toi ?

Skyrock, c’est le punching-ball commode bien sûr. Les gens qui n’aiment pas Skyrock doivent comprendre qu’une radio qui pourrait correspondre à l’idée de ce que serait une “bonne radio” ne pourrait pas exister. Si Générations faisait plus d’audience que Skyrock, cela se saurait. Mais de toute façon, aujourd’hui, un gamin de 15 ans avec un laptop, ce n’est pas sur Skyrock qu’il va aller chercher de la musique. C’est déjà bien qu’il y ait une radio commerciale qui soit dans cet univers-là. Est-ce de la faute de la radio ou bien de la qualité de la scène française ? Je n’ai jamais su répondre à cette question de l’oeuf ou de la poule…

Pour rester sur les média, on a cru comprendre que tu n’étais pas un grand fan de la presse web…Pourquoi ?

Ce n’est pas que je n’aime pas ça, quand je lis des commentaires sur Haterz ou des articles sur Le Blavog, ça me fait rire, mais c’est juste que ma culture à moi c’est la presse écrite. Cependant, je comprends que pour un gamin qui a grandi avec Booska-P, les webzines soient l’équivalent de ce que j’ai connu avec la presse papier. Mais cette poussée d’adrénaline quand tu choisis la couverture, l’impact de celle-ci sur les ventes…Ça reste quand même différent.

On est quand même passé d’une époque où il y a avait une quinzaine de titres sur les musiques urbaines à un titre et demi à peine.

Tu regrettes cette mort de la presse papier Hip-Hop ?

Je le regrette comme je regrette de ne plus avoir 20 ans, mais en même temps je suis très content d’avoir l’âge que j’ai. La presse Hip-Hop n’existe plus ou alors c’est de la micro-niche. On est quand même passé d’une époque où il y a avait une quinzaine de titres sur les musiques urbaines à un titre et demi à peine…Ils ne peuvent plus exister puisqu’avec Internet on est toujours dans l’actualité chaude et le papier ne permet pas une réactivité suffisante.

Mais certains sites comme l’ABCDR du son ont quand même une approche plus magazine avec des choix de sujets, une vraie direction éditoriale. Ça ne compte pas ?

Certes, mais ce ne sera jamais pareil. Je ne pense pas que l’ABCDR ait autant d’impact que pouvait l’avoir à l’époque Radikal, l’Affiche ou Groove. Aujourd’hui, c’est plus dilué…

Oui, cette dilution dont tu parles, c’est un sujet qui nous intéresse. Dans les 90s, les gens avaient leurs disques de rap de référence, avec des choix communs. Aujourd’hui on a le sentiment que chacun écoute ses artistes dans son coin…

Ça va avec la disparition du tube de l’été, du concert où tout le monde se rend… C’est vrai que c’est plus fractionné mais tu as quand même des artistes qui fédèrent plus que d’autres, des Youssoupha, des Orelsan ou pour être plus grand public, la Sexion d’Assaut tu vois. On aime ou on n’aime pas, mais il n’y en a pas beaucoup qui remplissent Bercy comme eux. Il y a Kerry James mais ça date un peu, il y a Booba, mais ça va bientôt faire 20 ans qu’il est là. Et puis Sexion d’Assaut, ça peut aussi être une porte d’accès, comme Alliance Ethnik à notre époque, qui étaient aussi très décriés. Quand ils ont sorti “Simple et Funky” ils étaient traités de traîtres, de vendus, c’était du Michel Sardou pour les fans !

L’album, c’est seulement l’expression de ce qui, à une époque donnée, est techniquement possible

Et la disparition du format album, tu trouves ça dommageable ?

Ah oui ! De plus en plus on se dirige vers une autre époque où, finalement, c’est cent ans d’existence discographique de l’objet qui seront mis entre parenthèses, puisque la musique existait déjà avant. Au début elle était juste jouée, puis s’est retrouvée sur partitions, puis sur disque, etc. L’album, c’est seulement l’expression de ce qui, à une époque donnée, est techniquement possible. Et quand aujourd’hui on peut mettre 20Go de musique sur une clé USB, le format album n’a logiquement plus de sens. De même, les habitudes d’écoute évoluent aussi en fonction de cela, et c’est pourquoi à présent les jeunes n’en ont effectivement rien à faire d’écouter un album, on est clairement sur un marché de singles. Mais j’ai aussi l’impression qu’il y a moins de “chapelles” qu’avant. Moi, dans mon lycée, il y avait le hard rockeur, le punk, l’urbain…mais quand je vois ma fille aînée par exemple, même si elle a une préférence pour le Hip-Hop US, elle peut régulièrement écouter un morceau rock, folk, de variété, acoustique sans faire de réelle différence. Les jeunes sont beaucoup moins braqués sur un seul genre musical: quand ils aiment un morceau, ils l’aiment, peu importe le genre.

On a l’impression qu’autour de nous il y en a pas mal qui ont, à un moment, décroché du rap français. Pourquoi selon toi ?

Il suffit d’écouter. J’ai l’impression que le rap français est un genre qui t’oblige à vieillir, dans le sens où quand tu apprécies le rap, quel qu’il soit à une époque donnée, et que tu avances d’un ou deux ans, tu te dis “oh non ce n’est plus pareil, c’est moins bien”. Combien de fois je me suis mordu les lèvres pour ne pas dire “quand même, c’était mieux avant” même si tu ne veux pas passer pour le vieux con de service. C’est vrai qu’il y a un moment – et ça m’est réellement arrivé – où tu entends un morceau et tu te dis “OK, moi, je m’arrête là. Moi je suis là, lui il est là, très bien ». Je peux comprendre, j’analyse, je vois ce qui fait que ça marche mais je ne peux pas écouter cela au même degré que ce que je pouvais écouter et apprécier à mon époque”. C’est une question d’âge et d’époque, je ne suis pas plus intelligent qu’un mec de quinze ans qui va me dire que ce truc là est mortel. Bien sûr, il m’arrive d’écouter certains trucs qui sortent aujourd’hui et heureusement d’ailleurs, mais pas autant qu’avant où il y avait chaque semaine un album classic qui sortait, comme c’était le cas dans les années 95-96 par exemple. Quand tu regardes ce qui est sorti ces années-là, tu es obligé d’admettre qu’il y avait quand même un sacré niveau. Mais ce n’est pas pour autant que je dirais à un ado de 15 piges que ce qu’il écoute est mauvais et qu’il devrait plutôt écouter ce qui est sorti l’année de sa naissance.

Les jeunes qui écoutent du rap aujourd’hui sont-ils moins curieux par rapport à l’Histoire de ce genre ?

J’ai une anecdote à ce sujet : j’ai un pote qui tournait récemment le clip de Vald “Shoot un Ministre”, et au détour d’une conversation il lui parle de Public Enemy, et le mec lui répond “hein ? Public qui ?” Mon pote m’a dit qu’il avait eu des cheveux blancs qui lui ont poussés d’un coup, qu’il avait l’impression d’avoir 200 ans. En plus, Public Enemy c’est quand même pas underground. Mais même pas le nom ! On ne demande pas au mec de connaître un couplet entier mais juste pouvoir dire “ah oui Public Enemy, Chuck D”. Juste ça: le nom et peut-être l’un des membres voire le nom d’un album. Mais non…Alors que dans le Rock, dans l’ensemble, personne ne te dira “les Rolling quoi ?” C’est vrai que tu as une transmission historique qui est, je pense, beaucoup plus présente dans le Rock que dans le Rap.

En bonus, pour les plus courageux d’entre-vous qui auront lu cette interview jusqu’à la fin, voici une vidéo d’archive de M6: la fameuse 100ème rapline spéciale rap français avec IAM, NTM, DeeNasty et plein d’autres…

Antoine Bosque

Receleur de discographies sur Emule dans les 2000's. Illmatic addict, mais adepte du rap c’était mieux maintenant. Digging in the cloud pour le meilleur et parfois pour le pire.

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  • Ce gars c'est vraiment un truc de fou la longévité et malgré tout la lucidité, le recul qu'il prend sur ce sujet qu'il maîtrise tellement bien :-o Beaucoup lui donnerait les clés du camion les yeux fermés !!

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