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Niro (2Bal 2Neg) : itinéraire d’un producteur de Villejuif à Los Angeles

20 ans après la sortie de 3x plus efficace, le tandem 2Bal 2neg est revenu sur scène pour célébrer ce qui reste un des succès les plus marquants en rap français de l’année 1996. Cyril Mahé alias Niro, une des têtes d’affiche de l’entité 2Neg, revient sur cette aventure et celle plus personnelle de producteur et vidéaste aux Etats Unis. De New York à Cali…

Très jeune, Cyril Mahé est happé par la passion du Hip Hop. Son frère ainé, Kiklo ‘(ndr : aujourd’hui photographe à La Réunion) et lui débutent par le graffiti. À Villejuif, les frères Mahé sont nourris par les faits d’armes de leurs voisins vitriots tels EJM, Timide et Sans Complexe ou encore Les Little. Pourtant Villejuif possède ses propres artistes, notamment un certain Eben, habitué aux joutes des freestyles sur Radio Nova. Pourtant la rencontre s’effectue sur place, dans la cité du 9.4. « A la base, on connaissait déjà Eben. Il faisait partie des types de la ville, qui rappaient. Un type de notre cité, Mamar, qui taggait et rappait, nous a présenté. Nous on rappait dans notre coin, dans un groupe Les Gentlemen Mcs. Nous étions beaucoup plus jeunes. Au début, nous avions une relation de petits à grand frère avec Eben. Puis, on s’est associé pour fonder Les 2Neg. La distance due à l’âge s’est peu à peu effacée pour des liens très proches. »

L’aventure 2Neg est donc enclenchée. Elle coïncide avec l’arrivée d’une nouvelle vague de rappeurs, dont la technique se rapproche de plus en plus de leurs homologues américains. Une époque bénie pour le rap français, que Niro aborde avec un brin de nostalgie. » Il y a toujours eu un décalage entre l’underground et ce qui passait dans les médias. A cette époque, il y avait des lieux de rassemblement comme le magasin Tikaret (lire notre sélection des 10 lieux cultes du Hip-Hop parisien des années 80), où se déroulaient des freestyles anthologiques au fond du local. Pour l’anecdote, je me souviens surtout d’un freestyle entre Dany Dan et Les 2Neg. Sur Paris, on tombait toujours sur les mêmes groupes. On se côtoyait tous. Aujourd’hui, cela parait plus difficile, même si je suis moins ce qui se passe en France. »

Dans cette éclosion de nouveaux talents, on peut citer des groupes marquants comme La Cliqua, Afro Jazz, Rootsneg ou encore les 2Bal, qui s’associent vite avec les 2Neg. » On retrouvait toujours les 2Bal dans les concerts. Les 2Bal étaient un des rares groupes de cette génération à posséder leurs propres musiques originales. Ils travaillaient avec Masta et Tefa. Mais les deux producteurs étaient très occupés. Les 2Bal nous ont donc mis en contact avec Spirit. Finalement, on a été amené à produire nos propres sons. Ensuite, on s’est retrouvé chez Kilomaitre et White Spirit avec les 2bal. De là est parti l’aventure 2Bal2Neg. »

Les deux groupes réunis enregistrent dès lors un album commun, qui deviendra par la suite un classique écoulé à 100.000 exemplaires à sa sortie en 1996. L’album comprend des morceaux de maître comme « La Magie du Tiroir », « Que Faire » ou encore « Labyrinthe ». Un succès à l’ampleur surprenante pour le grand public, mais prévisible pour Niro. « Pour moi, ce n’était pas une surprise. Pendant l’enregistrement, on savait que l’on préparait une musique en décalage de ce qui se faisait. Les réactions de notre entourage allait dans ce sens. A la sortie, j’avais la conviction d’avoir réalisé quelque chose d’exceptionnel. »

Mais le succès en musique engendre souvent des séparations. Chacun choisissant de développer son propre chemin musical.  » Après le succès de 3x plus efficace, nous avons su garder uniquement la formation sur scène. Chacun voulait se concentrer sur son groupe. On a commencé l’enregistrement d’un album des 2Neg. Mais on a fini par perdre cette dynamique de groupe. Notre force résidait dans le fait de rester ensemble. On avait tous notre entourage respectif. Iron Sy ou Basic, avec qui j’ai travaillé par la suite, faisaient déjà partie de mes proches. J’ai donc mis le rap de côté pour me concentrer sur la production. J’ai appris la technique sur les machines avec Masta. J’ai produit alors une compilation Niroshima, des titres pour Busta Flex, Sniper, ou des morceaux plus commerciaux pour Julie Zenatti ou Clara Morgane. »

Si ces productions paraissent rentables, Niro avoue perdre la fibre artistique de ses débuts. Il décide alors de séjourner quelques temps à New York. » La vie est très différente aux Etats Unis. Là bas, j’ai débuté par la production des albums d’Assasssin avec des pointures comme KRS-One ou Ol’ Dirty Bastard. J’ai acquis beaucoup d’expérience studio, en enregistrant notamment du RnB pour MelGroove ou du Ragga pour Lord Kossity. Côté vie privée, j’ai rencontré ma future femme. J’effectuais beaucoup d’allers-retours entre Paris et New York. Au fil du temps, il est devenu difficile d’entretenir une relation à distance. je me suis donc installé définitivement à New York. »

Si l’adaptation à la société américaine s’effectue rapidement, Niro a du mal à marquer son empreinte de producteur dans le monde impitoyable du rap américain. « Les Etats Unis sont une terre d’immigration. Tout le monde a un accent, car une multitude de personnes vient de pays différents. C’est ainsi que c’est finalement construit ce pays. Certains m’ont pris pour un latino, car j’évoluais aux côtés de personnalités comme Tony Touch ou le groupe de son jeune frère Dzilla. J’ai travaillé avec Suzanne Mates, qui manage le studio de Wyclef. Elle essayait de placer mes sons. Un jour, elle m’a invité à une session du G-Unit. J’ai apporté beaucoup de sons. Aucun n’a été pris. Car il s’attendaient à un son nouveau, qui sonnait français. Mes sons étaient tellement similaires à ce qu’ils produisaient. A ce moment, j’ai traversé une crise d’identité musicale. »

Niro constate également les différences notables sur la manière des américains d’aborder la culture Hip Hop. » Cette culture demeure innée pour les américains. J’ai constaté d’énormes différences dans le rôle de l’ingénieur du son, qui est une star aux Etats Unis. Il apporte beaucoup plus sa contribution lors des enregistrements. Il existe également une certaine démesure au niveau des studios. »

Lors de son départ de France, Cyril savait déjà qu’il lui serait difficile d’exister en tant que producteur à part entière. Il décide alors de combiner image et son pour les besoins de la mixtape True Story avec le rappeur Napoleon da Legend. « Je n’avais jamais réalisé de vidéo auparavant. J’ai donc bossé avec un guadeloupéen rencontré à New York, Jean Baptiste. En le regardant travailler, j’ai su que la réalisation était à ma portée. Par rapport à lui, j’avais un sens du rythme, qui lui manquait. Car il venait du cinéma traditionnel. Il a fallu que j’assimile la technique. Je lui ai donc acheté son matériel. Pour m’exercer, je filmais des gens dans les rues, des chanteurs dans le métro… J’ai ensuite rencontré des soeurs jumelles canadiennes, qui avaient créé une marque de vêtements : Sachika. La marque a explosé du jour au lendemain. Elles habillaient des personnalités comme Latoya Jackson ou Nicki Minaj. Je suis devenu le réalisateur de leur Fashion Week à Miami ou Los Angeles, sans même connaitre le monde de la mode. De retour à New York, j’ai commencé à réaliser les clips des artistes pour qui je produisais des sons. En évoluant, j’ai été amené à filmer le show radio de Tony Touch, en filmant des idoles de mon adolescence comme Dj Premier, Das Efx ou Raekwon. »

Bien loin de Villejuif, Niro réalise ses rêves d’adolescent fan de Hip Hop. Aujourd’hui, il n’oublie pas le point de départ de cette aventure Outre Atlantique, à savoir sa formation de base Les 2Neg. Il avoue être agréablement surpris de l’engouement encore suscité par la célébration de l’anniversaire de 3x plus efficace. « On a fait un album assez incroyable, pour que vingt ans après des gens puissent acheter un billet pour le célébrer. On a donc réalisé un disque assez marquant pour une génération. Ça me fait plaisir de rentrer en France pour vivre de tels moments. Je vais aussi revoir des gens, que je n’ai pas revu depuis longtemps. Avec l’organisation du concert, je me suis remis à parler avec Eben, avec qui j’avais perdu le contact. Aujourd’hui, la personne avec qui je parle le plus au sein des 2Bal2Neg est D.O.C, car c’est lui qui s’est démené pour organiser cette soirée et réunir tout le monde. Il a un rôle de gestionnaire, qui m’amène à avoir le plus de contact avec lui dans le cadre de l’organisation.J’espère que la communion avec le public sera bonne. J’espère aussi que les gens vont vivre un moment d’anthologie. J’attends d’immortaliser une réussite réalisée avec très peu de moyens. Ce concert permettra peut être de rappeler aux nouveaux, qui on était. »

Aujourd’hui installé à Los Angeles, Niro n’exclue pas de revenir en France pour concrétiser certaines idées. Car le succès de cette soirée commémorative organisée dans le cadre du Paris Hip Hop Festival devrait amener d’autres projets en commun entre les deux groupes, qui ont marqué le renouveau du rap français dans le milieu des années 90. Un beau parcours de Villejuif à Los Angeles…

Cet article est une contribution libre de Rémi Chervier auteur du blog Un oeil sur mon quartier, qui a gentiment proposé de publier cette interview sur The BackPackerz. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur The BackPackerz, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.

En bonus, découvrez les photos du concert des « 20 ans de 3x Plus Efficace » sur la page Facebook du Paris Hip-Hop.

Sébastien Laurent

Voue un culte à MF DOOM. S'intéresse au rap des bas-fonds, celui dont on ne parle pas assez. Un soupçon de technique dans l'écriture et un beat sombre font son bonheur.

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