Après une prolifique année 2017 ponctuée de sorties surprises et de lives aux quatre coins de la France, le label hyperactif Bon Gamin a de nouveau (f)rappé. Les singles « I.C.H.O.N » et « 2017 » nous avaient tenus en attente : on les retrouve sur la nouvelle mixtape de Yann Ichon Il suffit de le faire, sortie le 24 novembre. Un projet plein de détermination pour le premier grand format d’un artiste singulier et plein d’audace, qui attise les curiosités.
On a connu Ichon poète dans Cyclique , EP sorti fin 2014. Il courait après le Blue, tel un Baudelaire ovni errant dans le paysage d’un rap français encore sclérosé. Puis en 2016, son EP FDP fut un coup donné dans la fourmilière et un accélérateur pour la carrière du rappeur originaire de Montreuil. Ce constat dépité et malin montrait que si le rap français était une recette, Ichon l’avait bien en main et qu’il ne s’arrêterait pas là. C’est donc avec Il Suffit De Le Faire qu’on le trouve grandi, subtil, derrière un flow parfois brut, sensuel, toujours honnête et sensible. C’est un projet qui s’écoute plusieurs fois pour en capter la texture nébuleuse, et sortir d’une lecture en dualité dans laquelle les va-et-vient entre cris et chuchotements peuvent nous installer. En somme, cette mixtape, c’est de l’amour et de la rage. Mais pas que.
Les amoureux de longue date pourront se sentir frustrés : où sont les vers et les métaphores ? Où est la nature, l’espace, les blessures à vif ? Qu’en est-il de cette mélancolie qu’il faisait résonner si fort en nous ? Rassurons-nous, elle n’est pas loin. Car si Yann a pansé ses blessures, on en trouve des traces dans « Je Ne Suis Qu’un Homme » ou « Dans Le Million », des aveux crus sur ce que c’est que d’être en quête de paix dans cette mascarade contemporaine. C’est le premier projet fini de Ichon. Le premier que le temps a permis de façonner et polir. On sent une certaine retenue artistique et la main efficace de l’équipe de Savoir Faire, pour fabriquer une entité inscrite dans son temps, qui fera du blé sans complètement se vendre. « Ils diront que j’suis un génie comme d’hab » scande-t-il dans « Go ». On fantasme ce que cela aurait pu être sans bride, mais il fallait certainement passer par là pour se le permettre plus tard. Dorénavant la place est faite, le rappeur n’a plus à prouver sa crédibilité. Les médias relayent enfin, ça clique, ça stream, ça vient aux lives. Ichon, qui « pissait » sur le système, montre maintenant qu’à défaut d’en être dégoûté il le malaxe et sait l’utiliser.
Le FDP rageur et à fleur de peau nous manque un peu, mais il n’est jamais très loin. Un « Interlude » hurleur et on le check avant de se plonger en « Backstage », un morceau qui présente le rappeur prêt à jouer avec les cartes de l’industrie. Dans ses textes, très proprement écrits, carrés et efficaces malgré des sujets qui ont tendance à être redondants (de l’alcool, des putes, son pénis, des voitures, le business), Ichon va jusqu’à oser l’égotrip outrancier. Mais derrière ces frasques, on entend les confessions d’un rappeur toujours écorché. Ce qui nous donne un album emprunt de paradoxes, notamment sur la pochette et le clip de « Maintenant », où le sourire du bon gars chic laisse transparaître une gêne et un malaise intérieur. Le « Champion » est sûr de lui mais il dort toujours mal la nuit, est-ce nous ou bien lui-même qu’il veut convaincre ?
Une des forces de Yann Ichon ce sont aussi ses compagnons de route, amis et featuring, producteurs et famille. Ils sont nombreux, on en a vu certains réunis sur « Le Code » qui nous avait ravis le coeur et les oreilles tout l’été. C’est l’année Grande Ville et Bon Gamin, « et qu’est ce que tu vas faire ?! ». Sur la Mixtape, les invités sont des frères de cœur : Ventchi nous abreuve de son flow saveur Ital dès la première piste, Jeune L.C. pose avec une désinvolture appréciée, et Loveni nous rappelle qu’il est l’acolyte des 400 coups. Le tout sur les prods plus que jamais efficaces d’un fer de lance de la scène Beat en France : Myth Syzer, au pic de sa productivité ingénieuse.
Au final on salue un projet généreux (18 pistes tout de même), avec de vrais couplets kickés et des refrains porteurs qui restent en mémoire et se chantent avec plaisir. On ne trouve pas un hymne qui se détache, mais la mixtape en est un en soi. Toujours pour la vitesse, on ne court plus après le Blue, « Maintenant », il suffit de le faire. Montez le son, Ichon ne s’écoute plus la tête entre les mains dans les jours difficiles comme un compagnon de spleen, mais quotidiennement, le menton bien haut, comme un concentré d’énergie. Ichon nous aime et nous déteste, et on pense pareil, mais il s’en fout. Il expérimente et triture les codes du rap français, faisant son chemin avec un grand sourire.
Cette chronique est une contribution libre de Valentine Touzet que nous avons choisi de publier sur The BackPackerz. Vous pouvez retrouver l’intégralité de ses travaux sur son Portfolio. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur The BackPackerz, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.
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