Dix ans après leur premier projet, que sont devenus les Doppelgangaz, duo loufoque et créatif ? Travail acharné, renouvellement, simplicité et qualité ont été les maître mots des deux amis d’Orange County (Etat de New York) d’années en années. Retour sur leur carrière, leur succès d’estime, et ce qui a fait leur force et leur particularité au fil des albums.
Matter ov Fact et EP sont des amis d’enfance originaires d’Orange County, un coin un peu perdu et isolé de l’état de New York. Ils décident de se lancer dans le rap au cours de leur adolescence au début des années 2000. Ils forment alors le groupe Fab Nickels avec des amis. Les deux futurs Doppelgangaz montrent déjà leurs talents au micro et leur propension à jouer avec les mots et les thèmes. Toutefois, l’aventure ne durera pas, et après deux albums Mark Our Words (2006) et The No Budget LP (2007), le groupe se sépare.
Pas décidés à s’arrêter là, MoF et EP décident de former un duo et sortent leur premier opus en 2008. The Ghastly Duo EP, un projet « introducteur » sorti gratuitement sur MySpace (eh oui, les moyens de l’époque). Ambiance plutôt boom bap, ils commencent à développer un son et une attitude qui deviendront leur marque de fabrique.
S’en suit une incroyable épopée de 10 ans au cours de laquelle les deux rappeurs loufoques vont sortir près d’un projet par an, qu’il s’agisse d’albums, d’EP ou même de projets instrumentaux. Les débuts seront un peu difficiles, et c’est à partir de l’album Lone Sharks (qui figure dans notre liste des 100 meilleurs albums des années 2000) que la mayonnaise commence à prendre. Les deux compères ont trouvé leur style, leur identité musicale, lyricale et visuelle. Une carrière très prolifique jusqu’ici et pourtant le succès demeure encore modeste, mais il semblerait que la situation convienne bien aux deux principaux concernés.
L’une des particularités des Doppelgangaz, c’est leur isolement dans le milieu du rap mais aussi leur grande polyvalence. Ils produisent eux-mêmes leurs albums et ne font jamais (ou presque) appel à des producteurs extérieurs, ce qui leur assure une certaine homogénéité dans leurs opus. Les productions sont variées et s’appuient sur des samples piochés dans le monde entier (petit cocorico, les deux larrons ont samplé Aznavour et Françoise Hardy).
La production étant d’ailleurs l’un des atouts du Doppel, ils n’ont pas hésité à sortir leur série de projets instrumentaux intitulée Beats for Brothels. Pas un seul featuring sur leurs projets, si ce n’est sur quelques refrains, et des lyrics toujours affûtés. Cela montre que les deux compères ne cherchent pas à s’appuyer sur les co-signs de quelques pairs plus célèbres pour gagner en popularité, au contraire, ils continuent de proposer un rap de qualité à chaque nouvel album. Enfin, le duo réalise également ses propres clips, et a réussi au fil des ans à se créer une patte, un rendu particulier qu’on retrouve dans chacune de leurs vidéos.
Le risque de tout faire soi-même, c’est de vite tourner en rond, or ce n’est pas le cas de Matter ov Fact et EP. Les deux lascars n’ont cessé de se renouveler au fil des projets sans pour autant suivre les tendances en place dans le rap. C’est aussi cette particularité qui fait d’eux un groupe à part et probablement aussi ce qui explique leur manque d’exposition dans les médias. Difficile de les mettre dans une case ou de leur attribuer un style, une étiquette. Si les premiers albums 2012 : A New Beginning et Lone Sharks montraient un style assez classique, orienté boom bap, on a senti à partir de Hark une volonté d’expérimenter de nouvelles sonorités, de nouveaux flows. Si les débuts étaient plutôt calmes, « lay-back », on voit apparaître à partir de ce troisième opus des titres aux allures de banger. Il y a cependant des éléments qui sont restés inchangés au fil des ans, notamment la structure des albums (généralement assez courts, parsemés d’interludes instrumentaux en fin de titres), ainsi que celle des morceaux (un couplet chacun et un refrain souvent « chanté »).
Le rap des Doppelgangaz est marqué par ce « Black Cloak Lifestyle » qu’ils ne cessent de promouvoir. Ornés de leurs capes noires (qui servaient à cacher leurs vêtements cheap au départ selon les dires des deux acolytes), ils s’adonnent à toute sorte de frasques. L’humour joue un rôle important dans les textes des natifs d’Orange County, un humour qui transparaît aussi bien dans les textes à travers des jeux de mots, que dans leurs clips comme peu le montrer le titre « Schemes ».
Bons vivants et gastronomes accomplis, la nourriture est l’un des sujets de prédilection de nos deux rappeurs. Cabernet, fondue, fromages en tout genre, junk food, les références culinaires n’en finissent plus de bourgeonner dans les textes, au point d’y consacrer un morceau complet sur l’album de Marco Polo, « R U Gonna Eat That ». Autant de plats qui viennent garnir les publications du compte Instagram du duo.
L’autre « passe-temps » préféré de Matter Ov Fact & EP concerne la gent féminine. Presque tous les projets du duo contiennent leur petit ode à la femme sans discrimination aucune, des morceaux souvent très décalés, à l’image de « Like What Like Me », « Rox Wid Her », « Strong Ankles » qui font l’éloge des femmes de forte corpulence ou celles qui ont des maladies en tout genre.
See it don’t matter if a chick got hepatitis type B
Or gingivitis, scabies behind her right knee
Enfin, de nombreuses références culturelles viennent fleurir les textes des Doppelgangaz, qu’il s’agisse d’acteurs, de basketteurs, de vêtements, de jeux vidéos ou même de références historiques, Matt & EP utilisent tout cela au service de leur musique pour illustrer leurs propos et souvent créer des phases amusantes.
La dimension esthétique joue un rôle important dans la musique des Doppelgangaz. Cela s’observe tout d’abord dans leurs textes. Ils n’hésitent pas à tronquer les mots, jouer avec l’argot ou les terminaisons afin de faire rimer les mots de façon originale et toujours dans cette recherche de l’amusement. Un effort fourni sur chaque morceau qui semble pourtant relever du naturel puisque c’est le cas depuis leurs premiers morceaux.
L’esthétique transparaît principalement dans leurs clips. Réalisés par leur propres soins, souvent tournés dans des endroits isolés, les vidéos mettent l’accent sur des espaces naturels. Cela renforce l’idée que Matter Ov Fact et EP sont seuls dans leur catégorie et qu’ils se soucient peu de l’appui de leurs pairs. Les clips mettent régulièrement en scène des situations incongrues, forcément en lien avec les lyrics complètement décalés du morceau.
Cette esthétique, c’est aussi bien sûr celle des covers et packages d’albums. Si les photos restent parfois simplistes, elles s’inscrivent dans le même univers que leurs clips. Depuis plusieurs projets, les shootings sont réalisés par le photographe Alexander Richter qui parvient à capturer l’essence du duo et leur brin de folie pour retransmettre ceci en image.
Après dix années de présence dans le rap et une discographie plus que solide, les Doppelgangaz mènent toujours leur petit bonhomme de chemin en solitaire en se préoccupant uniquement de produire une musique de qualité. Ils ont réussi à fédérer une fanbase solide aux quatre coins du globe, la « Shark Nation » (suite à leur album Lone Sharks) avec qui ils échangent (sur le net ou lors de concerts) et dont ils prennent en compte les remarques. Le duo le plus comique du rap indé aura réussi à s’imposer comme gage de qualité en s’efforçant de proposer une musique qui évolue avec son temps.
Après Dopp Hopp en 2017, les Doppelgangaz ont fêté leur dix ans d’existence dans le rap avec un nouvel album intitulé AAAAGGGHH, toujours aussi qualitatif avec son lot de très bon titres (« Mootah Feekah », « Fajita Effect », « Surveillance »). Matter Ov Fact & EP ne comptent pas ralentir le rythme puisque le quatrième volet de la série Beats for Brothels est en préparation.
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