Le plaisir des vacances, c’est de prendre son temps. Et comme on en a manqué pour parler de cet opus, il nous a fallu attendre le mois d’août pour analyser l’un des plus jolis albums de la première moitié de l’année. Il est l’œuvre de Smino, l’une des nouvelles étoiles de la constellation de talents qui composent la scène de Chi City. Son premier album, blkswn, est un bijou de groove et la biographie d’un artiste « expatrié » et sûr de son talent.
Associer Smino à la scène de Chicago est une réalité et en même temps un contresens : le rappeur vient de Saint-Louis, Missouri et le revendique. Pourtant maintenant que c’est dit, comment dissocier son œuvre de la Windy City ? Avec Monte Booker à la production de quasiment l’intégralité des 19 morceaux qui composent son premier LP et la sollicitation des artistes en vue ou en devenir de cette scène virevoltante sur son projet, il est impossible de lui accorder une autre origine géographique. Il est d’ailleurs le premier à le concéder lorsqu’il révèle avoir été impressionné par les moyens mis à disposition des jeunes artistes et avoir été convaincu qu’il devait quitter son Missouri natal pour conquérir Chicago (puis le monde?). Le résultat est un premier LP précédé de 2 EP. Si ses 2 premières releases (S!Ck S!Ck S!Ck puis blckjtr) avaient permis de positionner Smino parmi les trublions de la rime aux goûts musicaux raffinés, blkswn vient confirmer tous les espoirs placés en lui.
Smino – « Flea Flicka » feat. Bari
Soirées, alcool, sexe, amours, ambition, aspirations, peu de sujets de son âge échappent à la plume de Smino sur cet opus. En décrivant l’appropriation de son nouvel environnement avec la découverte de Chicago, ses premiers succès, les oscillations amoureuses liées à son âge (« Anita »), son ambition artistique et sa nostalgie envers sa ville natale et appuyée sur les productions élégantes et délicates de Monte Booker, Smino inscrit clairement cette release comme celle qui permettront de décrire la réussite et la fibre artistique qui ont rendu la scène de Chicago si visible et appréciée. D’ailleurs, puisqu’il en assure la production quasi exclusive, cet opus peut également être associé à la patte de Monte Booker.
Pas encore un chef-d’œuvre, puisqu’il est encore difficile d’en apprécier la portée, mais certainement un projet qui lui permet d’exprimer la palette de son talent et de sa culture musicale. Inspiré semble-t-il par le gospel, la soul, le funk, le jazz, Monte Booker synthétise une musique calibrée, facile à l’oreille et pourtant subtile qui allie instruments (piano, violons, guitares) à des volutes et des rythmiques apprêtées à l’ordinateur. Et on ne peut qu’être admiratifs devant une telle performance. D’un morceau à l’autre, ce sont les facultés de producteur, d’arrangeur et de lyriciste qui sont démontrées par les tauliers du label Zero Fatigue. Ce label, monté en l’espace de quelques accolades en studio pour vos serviteurs commence à faire graviter autour de lui des artistes prêts à bondir et à donner une résonance plus structurée à la fameuse scène Chicagoane que nous décrivons.
Si l’album ne révèle pas de messages caché ou ne recherche pas forcément la double lecture qui lui donnerait une profondeur supplémentaire, on ne peut nier que Smino ne s’est pas manqué et que le lecteur sagace aura compris que -oh surprise!- nous avons apprécié sa proposition. Son flow qui n’hésite pas à décrocher sur du chant donne de la consistance à son opus et élargit le champ des possibles pour un artiste en devenir qui fait de la musique une vocation davantage qu’un gagne-pain efficace mais cruellement décevant pour les mélomanes. Smino s’inscrit dans un style avec blkswn, pas de ceux qui lancent des soirées animées mais assurément de ceux qu’on est heureux de faire partager même aux profanes. Regrettons seulement qu’il n’emploie pas son flow sur des morceaux un peu plus énervés pour voir ce qu’il donnerait. Peut-être une prochaine fois. Mais si ce n’était pas le cas et qu’il débarquait avec une nouvelle pièce comme celle-ci, aucune raison de la bouder…