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Kendrick Lamar – DAMN.

Ils sont très nombreux à être pétris de talent et nombreux aussi à être suffisamment inspirés pour faire évoluer les règles du jeu. Mais arrêtez tout : Kendrick Lamar a rappé DAMN. Et il a encore frappé très fort. All hail the King.

​Au moment où les premières pistes pour la chronique sont jetées vite fait sur nos notes, l’incertitude règne encore quant à savoir si DAMN. sera suivi d’un second volet. A priori, pas dans l’immédiat mais on ne sait jamais avec TDE et sa communication disruptive. Cela dit, cette folie qui a contribué à faire du week-end pascal une longue attente en dit long sur la réception du nouvel opus de Kendrick Lamar : à peine sorti, les fans en redemandent. D’autant qu’on ne peut pas dire que King Kendrick soit discret : sans être omniprésent, chacune de ses apparitions en featuring, sur des morceaux de son crû, ou même ses opus surprises (i.e untitled, unmastered. par exemple) sont des petits biscuits dont se délectent les fans de hip-hop et font marcher la machine à rêve des rédacteurs du monde entier.

Amateur d’albums concept, le talent de KL sait emporter ses fans et s’exporte au delà du hip-hop. On le sait depuis longtemps mais sa constance à proposer des albums de qualité et à chaque fois différents est remarquable. D’autres ont su le faire avec succès (on pense à Kanye West du temps de sa splendeur et avant que l’overdose de flatteurs ne vienne finir de lui péter l’esprit) mais ce qui frappe avec Lamar, c’est qu’il semble garder la tête sur les épaules, construire son message et rappeler qu’en tant qu’artiste, il a un rôle social et politique qu’il assume. Quand dans DAMN., il évoque sa famille, sa foi, ses racines et règle ses comptes à ses contempteurs amateurs de Trump (dès le second morceau « DNA. »), il met la barre d’autant plus haut que sa technique « rappistique » est impeccable. Il avait d’ailleurs fait une piqûre de rappel quelques jours avant la sortie de cet album quand il annonçait dans « The Heart Part 4 » et la sortie de DAMN. (dont le titre n’était pas connu) et son aisance à caler son flow sur un beat naissant au détour d’une mesure. Techniquement extrêmement difficile, le coup est réalisé avec brio.

Kendrick Lamar – « The Heart Part 4 »

Mais concrètement, qu’est ce qui fait la sève de ce LP? Encore différent de To Pimp A Butterfly qui explorait les frontières du jazz et leur donnait de nouvelles notes de noblesse par leur popularité, les sonorités de DAMN. sont plus hip-hop, avec des productions impeccables et plus sombres aussi.

Il faut dire que la barre était haute mais que les pensionnaires de la House Of Pain de Compton ont du savoir-faire. Sounwave, les Digi+Phoniks, DJ Dahi et même Kaytranada ou James Blake sont crédités sur cet opus au rendu de grande qualité. Si la musicalité est plus sombre et parait moins riche (en termes d’influences), les audaces stylistiques sont là et la proportion de morceaux qui suggèrent des changements de rythme est impressionnante. Dans la lignée de ce que révélait « The Heart Part 4 » d’ailleurs, « Element », « XXX » et le génial « Duckworth » (pour ne citer qu’eux car la liste est plus longue) ne laissent pas tranquille les nuques des auditeurs. A tel point que ce choix artistique peut déstabiliser et parfois frustrer l’auditeur séduit par un beat et un flow dont la beauté aurait mérité davantage d’exposition (un morceau de 5  minutes avec le beat introductif de « Element » n’aurait pas été pour nous déplaire, avouons-le).

Kendrick Lamar – « ELEMENT. »

Si DAMN. s’impose comme une véritable oeuvre d’art, c’est que sa lecture peut (et doit!) se faire à plusieurs niveaux. L’auditeur heureux de King Kendrick doit souffrir de synesthésie s’il veut pleinement apprécier la prose de son champion. Pourquoi? Simplement parce que le spectre des influences et des messages diffusés par cet opus est plus large qu’il n’y parait. D’abord, au niveau pictural, où l’on se laisse porter, dès l’entame par « BLOOD. » dont la composition lente et symphonique pourrait illustrer une scène clé d’un film de Tarantino. Toujours en lien avec l’image, la beauté des clips et leur audace est saisissante et sert à merveille le propos des morceaux en question.

Kendrick Lamar – « HUMBLE. »

L’artwork aussi, dont l’esthétique est discutable, mais qui fait écho au côté christique prêché par Kendrick Lamar dans cet opus. C’est d’ailleurs un aspect central de cet album. Sorti un Vendredi Saint et entraînant les rumeurs les plus folles quant à la sortie potentielle d’un second volet le jour de Pâques, les paraboles avec les Évangiles sont très présentes. La femme aveugle rencontrée par Kendrick dans « BLOOD. » qui lui annonce sa propre mort, le fait que l’opus commence et se termine par la même phrase (parabole de l’Alpha et l’Omega), les noms des morceaux qui sollicitent de nombreuses idées bibliques et bien sûr les mises en scènes explicites du clip de « HUMBLE. ».

Si « Kung fu Kenny » n’a jamais caché être pieux, cette profession de foi donne une signature artistique au projet et porte un message qui pourrait tendre à dépasser le verbe musical. Depuis TPAB et l’hymne des manifestations de la communauté afro-américaine qu’il contient (« Alright »), le MC de Compton semble avoir pris la mesure de la portée de sa parole – d’abord au sein de sa communauté (puis au-delà)- et assume son statut d’artiste comme celui d’un porte-parole. Pour pousser la comparaison et l’image jusqu’au bout, il n’hésite pas à se comparer au Messie.

I was born like this, since one like this
Immaculate conception
I transform like this, perform like this
Was Yeshua’s new weapon
I don’t contemplate, I meditate, […]

« DNA »

Toute proportion gardée, il s’agit bien sûr d’une posture artistique, mais disons que Kendrick vient de poser là, tout au long d’un album de 14 morceaux, le principe d’un « egotrip divin ». Le message porte sur l’amour, la rédemption, la résilience mais aussi la combativité. Des sentiments nobles et profondément humains. S’il ne se place au dessus de personne, nul doute que sa musique continuera à toucher un large public.

Après l’acclamation critique de TPAB, tout le monde était curieux de savoir comment la prochain projet commis par Kendrick Lamar serait accueilli. Sans donner un avis trop subjectif qui entraînerait des débats sans vainqueur, disons qu’il a encore réussi à bluffer son monde. Résolument différent thématiquement et musicalement, on ne peut qualifier DAMN. que de réussite. Kendrick Lamar sait faire preuve d’audace et sait accompagner son public sur ce chemin. C’est déjà une performance. L’autre performance, c’est que le talent appelle le talent et quand on voit la qualité des contributeurs de ce projet, leur fierté d’en faire partie et même les featurings aux noms presque clinquants mais parfaitement assimilés au projet (Rihanna, U2), on se dit que cet artiste tient une place à part. Avec un peu d’audace, osons rapprocher son aura sur le hip-hop de celle qu’avait Michael Jackson sur la pop. La marche est encore haute et les époques et les sujets différents mais ses prestations artistiques remarquables sont de haute volée et nous avons la chance de voir un artiste évoluer ainsi.

Face à tant de compliments, il faut admettre que DAMN., si on lui reconnait peu de faiblesses, parait tout de même moins marquant que son prédécesseur. Déjà parce qu’on est moins surpris par l’excellence à laquelle s’astreint King Kendrick, ensuite parce que les choix de productions, moins flamboyants, marqueront peut être moins les esprits. Quoique, la frustration générée par ces morceaux où se concurrencent plusieurs beats est peut être encore une feinte concoctée par l’étoile de TDE.

Une chose est sûre : Kendrick Lamar a encore pris une nouvelle dimension et vient de faire une nouvelle démonstration de sa préséance dans le jeu. Entre annonces surprises, excellent album et clips monstrueux, nul doute que la bonne nouvelle a été annoncée : le Roi, le voilà.

Ecoutez DAMN. de Kendrick Lamar

Clément Nadjo

Le hip-hop comme oxygène. La patience du digger, le pardon de l'amoureux. Amateur de bons mots, de belles rimes et de beats calibrés. Humour à qualité variable.

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