La rentrée Hip Hop est très intense cette année, annonçant un cru 2016 de haute volée. Phaseology mêle introspection et instrus de qualité. Entre nostalgie et exploration, c’est un album bien dans son époque.
La sortie de Phaseology s’est faite sans grand bruit le 29 juillet dernier sur le SoundCloud du label Ill Adrenaline. Les fans du label et autres curieux ont alors pu découvrir en streaming les 14 pistes qui constituent l’album. Il fallait donc pousser au delà du dernier Schoolboy Q (très bon album par ailleurs), laisser de côté Anderson .Paak que rien ne semble pouvoir arrêter et oublier le comeback de De La si on voulait se laisser un peu de temps pour MindsOne et DJ Iron. Ce n’était pas chose simple mais chez TBPZ on ne recule devant rien.
Si on résume, MindsOne c’est les deux emcees KON Sci et Tronic, accompagnés de DJ Slim Deluxe et DJ Nomenon. DJ Iron est donc le troisième « DJ » de l’équipe présente sur Phaseology. « DJ » entre guillemets car Iron est avant tout le producteur qui se cache derrière les instrus très soignées du projet. Slim Deluxe et Nomenon, eux, se sont chargés des scratches lors de l’enregistrement. Difficile de ne pas imaginer un peu de compétition entre tous ces protagonistes. Mais après tout c’est peut-être ce qui a poussé chaque élément de ce « supergroupe » à donner le meilleur de lui-même.
À la production le niveau est élevé, chaque instru est un écrin pour le flow de Kon Sci et Tronic. Les motifs de basse sont mis en avant un peu comme chez Pete Rock, le kick est lourd comme chez Preemo. Les comparaisons s’arrêtent là, DJ Iron ne s’est pas cantonné à imiter ses prédécesseurs. Son style se rapproche du boom bap, mais repose beaucoup moins sur les samples pompés sur de vieilles galettes. Il est assez difficile de reconnaître les disques utilisés tellement les samples sont courts et bien imbriqués dans les beats. En cela, il se distingue de la grande majorité des producteurs des années 90 ou même de certains contemporains comme Apollo Brown. Sur Phaseology les samples sont davantage utilisés pour citer d’autres rappeurs illustres : Mobb Deep, Common, AZ ou encore Rakim. L’esthétique des beats est assez douce, beaucoup de filtres et d’effets sont appliqués aux pianos et synthés pour en arrondir la sonorité. Les voix de KON Sci et Tronic semblent presque en lévitation, nimbées dans un cocon léger et aéré. Pas de dissonance, pas d’oppression, tout est fait pour soulager l’ouïe et le mental.
MindsOne & DJ Iron – « Follow The Light »
Le projet de MindsOne est explicite dès « Phase In », l’intro de l’album. C’est une citation de Large Pro qui nous éclaire : « Stages and phases that we go through ». « Phaseology » est un néologisme qui semble désigner le découpage en différentes phases de l’existence. La vie et la mort, le jour et la nuit, l’enfance et l’âge adulte… Les deux emcees à l’oeuvre sur Phaseology poussent même l’idée jusqu’à déconstruire le processus de création artistique. Ça peut paraître un peu prétentieux, un peu « déconnecté de la réalité », mais le résultat reste plaisant. KON Sci et Tronic sont très doués dans l’art de raconter les histoires. En anglais on dit « to paint a word picture », et c’est exactement ce qu’ils font. Le premier couplet de « A Day In The Life » en est un parfait exemple.
Welcome to the abyss, My eyes clouded / Shrouded in the mist, standing on the precipice / Long list held in a skeleton fist / Grim Reaper, began praying to my soul’s keeper / He started speaking, sounded like James Earl Jones a little deeper / « It was never your life I intended to take, must’ve got the wrong address, honest mistake » / So we kicked back, had a laugh or two, cracked a brew, threw back a few / When he left, promised « I’ll be back for you ». (Tronic, « A Day In The Life »)
Leur inspiration, Tronic et KON Sci ne la trouvent pas dans la rue et le quotidien. Ils font appel à un imaginaire très personnel, bien plus abstrait et spirituel que réaliste et militant. L’album Phaseology regorge de figures de style bien senties et de rimes acérées. On n’a pas grand chose à reprocher à Tronic et son associé. Le flow est plutôt technique, mais un peu répétitif à la longue. N’est pas Biggie qui veut. D’autant que les featurings sont rares sur l’album. Il n’y en a qu’un seul, en fait. Il s’agit de John Robinson, qui apporte sa pierre à l’édifice sur le morceau « Horizons ». Ce rappeur n’a jamais rayonné au delà du milieu très restreint du rap underground. Il faisait partie du groupe Scienz Of Life sur le label Fondle ‘Em dans les années 90. Pas exactement un rappeur à la mode, ce qui prouve quelque part que MindsOne n’a nul besoin de faire-valoir pour exister.
Phaseology est donc un album très accessible d’un point de vue musical, mais il faut dire que le contenu des textes est lui plutôt ambitieux. Le flow saccadé de Tronic ne fait rien pour simplifier la compréhension des paroles, même si il est très agréable à écouter. L’album est à conseiller aux amateurs de rap underground, mais pourra aussi plaire aux néophytes grâce à la douceur des instrus. On est très loin du rap hardcore. Les versions CD et vinyle sont sorties à la fin de l’été à des prix plutôt raisonnable, pas de raison de se priver !