Quand Médine sort un nouveau projet, que ça soit un EP, une mixtape ou un album, l’attente est toujours forte. La sortie de Prose Elite n’a pas échappé à la règle et le teasing habilement orchestré par Dinrecords a fonctionné à merveille, avec notamment la playlist et la cover dévoilées en affichage sauvage dans les rue de Paris. Les différents projets de l’Arabian Panther ont toujours fait du bruit, déclenchant pour certains de vives polémiques portées par une frange d' »intellectuels » loin d’être bienveillants ou encore objectifs. Nous nous penchons donc aujourd’hui sur le dernier album du Havrais, sorti il y a peu, et tenterons de comprendre l’évolution artistique et spirituelle du MC.
Médine avait dévoilé en 2015 un EP magistral du nom de Démineur et qui comprenait un certain nombre (si ce n’est peut-être l’intégralité ) de titre très fort comme « Gaza Soccer Beach », « Ali X » (hommage touchant à Kery James), « Speaker Corner » ou encore « Don’t Laïk ». L’attente fut donc longue avant l’arrivée de ce Prose Elite, sûrement le temps de laisser les projets solos de Brav puis Tiers Monde occuper le devant de la scène pour Dinrecords en 2016. Et le moindre que l’on puisse dire c’est que l’opération fut bonne, tant le label havrais a été présent l’année dernière (en témoignent nos 16 morceaux de rap français qui ont marqué notre année 2016, notre top 10 des meilleurs albums rap français 2016, ou encore l’interview croisée de Brav et Tiers Monde…). Car c’est l’une des vraies forces de ce label bien organisé : savoir faire repartir dans l’ombre l’un ou l’autre pour mieux mettre en lumière l’actualité du suivant. Le jour de la sortie d’un clip ou d’un nouveau titre, l’ensemble des membres relaient la sortie comme si c’était la sienne. Admirable d’unité et surtout extrêmement efficace.
Médine s’était donc fait discret en 2016, dévoilant un premier extrait de son futur album durant l’été avec « Rappeur De Force » presque sans communication, puis revint très fort en dévoilant le clip « Global« , morceau clôturant de la meilleure des façons l’album. Le titre mettant en scène Massoud, l’aîné des enfants de Médine dans un morceau des plus intimistes où le MC joue le jeu des 7 erreurs entre le Global qu’il incarnait à ses débuts dans le rap et le Médine qu’il est devenu. Titre vibrant d’honnêteté et d’autocritique.
L’album était alors annoncé et le public s’est donc mis en attente de la suite tant la première impression fut forte et excellente. Un nouveau clip sera dévoilé dans l’intervalle avec le titre éponyme « Pros Elite » pour un titre et un visuel au format plus classique mais à l’énergie toujours débordante.
Médine nous offrit alors peu avant la sortie de l’album, le titre « Nour », dernier né de la série des « Enfant Du Destin » qui, comme à chaque fois, met en lumière le talent inouï de Médine pour le storytelling. Cette fois-ci, nous suivons le destin tragique de Nour, jeune femme de la minorité Rohingya persécutée. Le clip fut tourné fin 2016 avec beaucoup de difficultés au sein même de villages et camps Rohingya de Birmanie. Le plus beau des hommages à ce peuple opprimé, pour un texte et un visuel laissant sans voix. Du grand art.
« Alger Roi » est un hommage de plus à l’Algérie et en particulier sa capital que le MC a déjà évoqué dans ses textes notamment avec le vibrant « Alger Pleure ». Un morceau fort et lourd de sens qui permet de re situer la ville dans son contexte historique des plus complexes.
Vient sans doute le texte qui restera peut-être comme le plus beau et sans doute le plus dur et le plus bouleversant de l’album. La première écoute de « L’homme Qui Repart Les Femmes » laisse sans voix, un goût de sang, de cendres et de mort dans la bouche. Un récit effrayant de réalisme révélant une réalité abjecte telle que l’Homme dans toute son horreur est capable de commettre: les viols et sévices physiques dont sont victimes les femmes dans certains pays africains sur fond d’exploitation de diamants. Le morceau est donc à la fois un hommage à ces médecins (dont fait partie le Dr Mukwege) ayant la lourde et sainte tâche de littéralement réparer ces jeunes femmes des exactions dont elles sont victimes et de dénoncer les dommages collatéraux de la productions à marche forcée de nos diamants ou encore des batteries de nos si chers smartphones. Ce morceau à lui seul vaudrait à Médine une victoire de la musique, un prix Nobel de littérature ou bien même de la paix. Malheureusement, je doute que son message ne trouve l’écho souhaité auprès de nos élites.
Dans un registre plus léger (l’inverse serait compliqué !) le titre « Papamobile » est là aussi une réussite. Tout d’abord car Médine a su ouvrir son album à autre producteur non estampillé Dinrecords en la personne de 20syl, ex-MC du groupe Hocus Pocus mais surtout producteur de génie. La patte du Nantais, reconnaissable parmi tant d’autres, s’entend immédiatement sur un titre très musical au refrain qui se loge aisément dans un coin de notre tête pour la journée et évoquant avec beaucoup d’adresse les difficultés de la paternité.
« Avec les saintes écritures, on devait gommer les différences
Résultat des courses on a mis des frontières jusqu’au fond de l’océan. »« Porteur Saint »
Un dernier titre, « Porteur Saint », mérite qu’on s’y arrête un instant. On a connu Médine dans ses grandes heures, revendiquant un islam assumé et volontairement provocateur, appuyant là où les contradictions de dame laïcité étaient les plus fortes. Alors avec un titre comme celui-là nous pouvions nous attendre à un nouveau missile de la part du Havrais. Il n’en est rien. Dans ce morceau, Médine fait le constat amer de la perte de toute forme de spiritualité au sein de nos sociétés, mettant dans le même panier juifs, bouddhistes, chrétiens et musulmans, affichant leurs contradictions les plus grotesques et pleurant un monde à la dérive, sans base spirituelle solide pour nous guider. Déplorant les interprétations des textes par la bêtise humaine, fustigeant le comportement outranciers et va-t-en guerre des hommes, Médine adresse ainsi une prière à l’humanité pour qu’elle puisse se sauver tant qu’il en est encore temps. Les cordes de l’instru semble pleurer toutes les larmes de leur corps à l’énumération de tous ces travers. Un message de paix, d’ouverture mais aussi et surtout d’universalité.
Restent un certain nombre de titres qui selon moi sont en-deça face à ces énormes morceaux. Les amateurs de trap ne verront pas où je veux en venir – il est vrai que ces morceaux sont toujours puissants comme le titre « Grand Paris » réunissant Fianso, Lino, Youssoupha, Ninho, Seth Gueko, Lartiste et Alivor, rendant hommage à Paris et ses banlieues et à leurs richesses – mais la magie n’y est pas, nous sommes très loin des collaborations mémorable entre Médine et Orelsan dans « Courage Fuyons » ou encore celle avec Youssoupha sur « Blockkk Identitaire ». Reste que ce titre a rencontré un vif succès avec un million de vues en 48 heures pour le clip, là encore, on ne peut qu’être admiratif de la portée du message de Médine.
Un peu à l’image de la couverture qui fait apparaître deux visages (celui de Médine lié à celui de Victor Hugo), l’album est donc composé de deux blocs pour deux ambiances mais aussi malheureusement deux qualités. Une partie trap qui se prête moins à une plume comme celle de Médine, obligeant à un flow plus haché et donc brouillant la profondeur du message et une partie mieux maîtrisée qui comporte tous les titres évoqués plus haut. Evidemment, cet album plane d’ores et déjà au-dessus du lot et se place immédiatement dans les meilleurs albums du moment mais de la part d’un des plus grands MCs français, on ne peut qu’attendre le meilleur. Et le contrat est ici presque rempli.
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