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Joey Bada$$ – B4.DA.$$

Le gamin de Brooklyn, ‘child of the city, son of the streets’, a bien grandi. En ce 20 janvier 2015, il fête son vingtième anniversaire en s’offrant la sortie mondiale de son premier album tant attendu, B4.DA.$$.

Jo-Vaughn Virginie Scott, aka. Joey Bada$$, est un petit prodige du rap né et élevé à Brooklyn, New York, par une mère caribéenne et un père jamaïcain. Membre du collectif Pro Era (formé en 2009 par Capital Steez décédé en 2012, CJ Fly, Powers Pleasant et Joey Bada$$), dont le logo orne depuis peu le tee-shirt d’une des deux filles du Président américain, Joey vient de franchir une marche importante de sa jeune ascension musicale, déjà jalonnée de deux succès, les mixtapes 1999 (2012), et Summer Knights (2013).

Bénéficiant d’une renommée à la hauteur de ses talents, le jeune rappeur vient de relever le défi du premier album avec un certain panache : la presse, la blogosphère, les réseaux sociaux et les fans allant jusqu’à pousser la comparaison avec le cultissime – et inégalable -, Illmatic de Nas. C’est dire si, déjà en ce mois de janvier, B4.DA.$$ est bien l’une des plus importantes sorties d’albums de cette année 2015 – et bien au-delà de la scène hip-hop. C’est l’annonce d’une relève, d’un passage de flambeau évident alors que le jeune rappeur a récemment été intronisé parmi les membres de la Zulu Nation, à 19 ans à peine…

Servi pour la production par des pointures du milieu (DJ Premier, Freddie Joachimvoir notre interview du producteur -, J Dilla & The Roots, Statik Selektah, Basquiat), Joey Bada$$ livre une oeuvre musicale mature, peu évidente à la première écoute – presque souterraine -, à l’identité profondément new-yorkaise, classique mais pas conservatrice, inspirée mais pas nostalgique, brute de coffre, géniale mais pas pour autant novatrice.

NEW YORK STATE OF MIND

Album au titre étrangement prémonitoire, B4.DA.$$, qu’il faut prononcer Before Da Money (avant que les poches soient bien remplies, s’entend), semble tout droit sorti de la destinée d’un ghetto kid à la croisée des chemins : juste entre candeur non feinte et star system assumé, entre débrouille de rue et show business. L’argent, leitmotiv du titre star produit par DJ Premier, ‘Paper Trail$’, est omniprésent, et Joey le reconnaît volontiers, aussi bien dans ses lyrics qu’en interview ( ‘je veux sortir ma mère du quartier‘) :

Before the money, there was love /

But before the money, it was tough.

Then came the money through a plug /

It’s a shame this ain’t enough, yo.

Sincère, cultivant une cool attitude toute personnelle (et jusque dans son style vestimentaire), sans ambiguïté dans ses propos, Joey a le verbe acide du gosse de quartier à qui on ne la fait pas. B4.DA.$$, chronique new-yorkaise d’un gamin noir élevé dans une Amérique de la réussite blanche, rappelle les textes engagés de Jeru the Damaja ou Inspectah Deck. Mêmes descriptions d’un environnement urbain marqué par le racisme, la débrouille, le matérialisme ambiant. Dressant des tableaux de vie sur son adolescence passée dans les rues de la Metropolis américaine, il dénonce du haut de ses 20 ans un système où les afro-américains sont traités comme des citoyens de seconde zone. Sans rancune ni désespoir, Joey balance dans les lyrics de ‘Piece of Mind‘ :

They make judgement to my kind /

Who the odds is against /

Put our backs on the fence, so we self-defence /

Followed by a series of unfortunate events /

Looking like white America got a brother again.

Fier de porter une tradition new-yorkaise dans la composition de ses textes (paroles conscientes, tendance à l’introspection, ancrage urbain de la narration, usage massif des associations d’idées et des métaphores), mais n’ayant pas (encore) le talent narratif d’un Nas, ou la maturité d’un storyteller confirmé, Joey renverse la vapeur en misant sur son sens indéniable du rythme. Jamaïcain dans l’âme, Joey mélange les passages chantés ou scandés aux interjections qui permettent aux rappeurs de se poser sur le beat et de s’installer dans la mesure, notamment en début de morceau, et dont il use de manière quasi-sensuelle. La voix traînante et entraînante du rappeur joue avec les allitérations, qu’il va même parfois mélanger aux assonances avec une belle maîtrise technique, comme sur le titre ‘Belly of The Beast‘, à la belle chaleur ragga :

Cash straight /

The fake kill jake /

The snakes too late /

My eyes dilate /

And I could tell them how he strafe.

UN CLASSICISME ASSUMÉ, UNE RELÈVE ASSURÉE ?

Bondissant sur un séquenceur boom-bap d’une efficacité redoutable, le flow de Joey Bada$$ est fougueux, mais toujours parfaitement contrôlé. Et c’est ce qui fait l’incroyable richesse de ce premier album. Joey nous plaque au sol dès le premier track, tant sa maîtrise reflète une parfaite assimilation d’une culture vieille de presque le double de son âge.

Album presque minimal tant il assimile respectueusement le pur style old school, et structuré tout du long sur des ruptures de style empreintes au jazz, B4.DA.$$ enchaîne les titres à la beauté brute, au ras du bitume, et à la rage au coeur. De l’ambiance smooth de ‘Save The Children‘ à la suavité vintage de ‘OCB‘, en passant par le brumeux ‘Big Dusty‘ ou l’étonnant ‘Escape 120‘ qui flirte avec le trip-hop, le premier album de Joey Bada$$ montre un travail de production impeccable, comme fait sur mesure pour le jeune emcee. L’union parfaite survient en milieu d’album avec l’apothéose qu’est le titre ‘Like Me‘ issu d’une magnifique production de J Dilla. La composition du défunt producteur, offerte parmi une quarantaine de beats à Bada$$ par la J Dilla Foundation en remerciements d’un don du rappeur à son ancien lycée, saupoudre ce premier opus d’une pincée de son magique.

Le kid nous décroche même un vrai coup de coeur sur la fin de l’album, avec le track ‘OCB‘, où il pose un regard introspectif d’une honnêteté troublante pour son âge. Aux paroles teintées d’humour et de tendresse presque enfantine, se déroule une instru composée de cordes rétro, de samples cuivrés et de piano groovy, parsemés ici et là d’extraits de concerts qui donnent à l’écoute la saveur d’un vieux vinyle.

And I remember sittin’ in my room all alone /

Starring at my ceiling fan, getting in my zone /

Mama was never home /

Woke up one morning, Papa was gone /

Young and lost so I ease my mind to popular songs /

And of course I sold my mind to music.

Témoins de ce rite de passage d’un des emcees les plus talentueux de la nouvelle génération, nous autres contemporains de ce Hip-Hop des années 2010 sommes chanceux d’assister à l’éclosion d’une jeune star du rap aussi prometteuse : les rues de New York étaient encore loin d’être toutes arpentées, good news, non ?

Sans nostalgie aucune pour une époque musicale qu’il n’a pas connue, Joey Bada$$ n’en arrive pas moins à construire un univers très personnel sur le succès des anciens, en déconstruisant et réinterprétant les mythes, en faisant bien attention à ne pas tomber dans les écueils du culte vintage, si facilement synonyme de succès commercial aujourd’hui. B4.DA.$$ est un choix identitaire presque clanique, c’est le son de reconnaissance d’une tribu, dans la droite lignée des grands crews qui ont marqué cette culture. Bada$$, c’est du rap postmoderne, et ça, il fallait le faire. Chapeau.

Anaïs Le Brun

Tel JuL, elle a pris le large. Sa plume manque à l'équipe comme Juvie à Lil'Wayne. ? #IMissMyDawgz

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