Il faut se rendre à l’évidence. Awaken, My Love!, troisième album de Childish Gambino est en dehors des clous. L’ancien diplômé en écriture dramatique ne rappe pas sur cet opus. On vous prévient dès le départ, ça vous évite de chercher les beats et les rimes. Chronique.
Pas de hip-hop dans ce nouvel album. Mais beaucoup de soul spirit, de chœurs, d’effets de voix et de claquements de mains. Un expérience sensorielle qui vous accroche ou vous laisse sur le carreau. Les avis seront partagés, les critiques des différents magazines US le sont aussi. Rolling Stone encense. Complex déteste. Nous on aime. OK ce n’est pas frais, c’est même très retro, très régressif. Mais qu’est-ce c’est bon à écouter…
Le rappeur de 33 ans, également connu comme acteur sous son vrai nom Donald Glover– il joue actuellement dans la série télé qu’il a lui-même scénarisée, Atlanta – marque cette fin d’année 2016 avec un album qui relance une pure neo soul nineties aux sonorités de guitare funk et de synthés 70s. Il y a du Funkadelic, du Al Green, du Sly & The Family Stone dans ces morceaux où Gambino se plaît à dénuder une voix sensuelle, montant dans des aigus qui pointaient déjà leur nez sur certains tracks de son précédent opus, because the internet. Le rappeur devenu pleinement chanteur se prête au jeu d’un groove entêtant, sexuel (« Redbone », « Have Some Love »). Il convoque les jam sessions à la George Clinton (« Boogieman ») autant que les refrains intimistes avec ses choristes (« Zombies »), il invoque Prince en s’écorchant la voix (« Me and Your Mama »), marche dans les traces sucrées et cuivrées de D’Angelo (« Baby Boy »).
Tout cela fait beaucoup de références musicales au sommet convoquées au même moment, dans une sorte de communion extatique. Beaucoup de name-dropping. Exercice de style, exercice de ton. « Exercise in just feeling and tone », explique-t-il à Billboard le 17 novembre dernier. Parti pris pleinement assumé par Glover sur ce nouveau projet. Awaken, My Love ! est un hommage très personnel aux héros de son enfance, aux disques écoutés avec son père, à son histoire musicale intime autant qu’à la grande musique noire. Glover ne redéfinit pas les contours et les couleurs de la black music, il les assimile. On peut s’en agacer, trouver la démarche naïve. Elle l’est assurément. Mais c’est justement cette candeur qui fait la force d’Awaken, My Love ! Ce manque total de condescendance. Une vraie lisibilité. Dans sa conception et son expression, un plaisir pleinement assumé. Tous les morceaux vibrent d’une énergie cosmique, qu’ils soient portés par une voix passée au vocodeur comme sur « Stand Tall » – track qui n’est pas sans rappeler le travail de Casey Benjamin sur Black Radio, le projet expérimental de Robert Glasper –, par des accords d’orgue subliminaux ou par l’explosion jouissive d’une guitare électrique.
Childish Gambino – « Me and Your Mama »
Ce qui pêche un peu dans cette nouvelle proposition, c’est que si l’écoute est agréable, le propos l’est moins. A l’image des lyrics qui ne font qu’habiller joliment la composition musicale, l’accent n’est pas mis sur le sens. La platitude des paroles nous empêche d’adhérer totalement au sujet.
On est loin des textes accrocheurs d’Ike & Tina, du romantisme de Sam Cooke. Et c’est dommage, on aurait aimé fredonner sur certaines mélodies. Or, c’est par moments à peine intelligible tellement la voix est inégale, passant du murmure à l’onomatopée, au cri, aux soupirs. Pas d’acrobaties verbales ni d’effets de rimes auxquels nous avait pourtant habitués le rappeur. Glover a ici tout misé sur l’instrumentation et la production, servie merveilleusement par son collaborateur de longue date, Ludwig Göransson.
Dans une tentative de reconstitution musicale d’un âge d’or de la black music qu’il n’a pas pu connaître, Childish Gambino, rappeur, chanteur, acteur, scénariste, producteur, touche-à-tout difficile à épingler, ajoute un nouvel angle d’attaque à son identité artistique déjà suffisamment complexe. Awaken, My Love! est un bel objet musical dévoilé par un artiste qui possède indéniablement une capacité intrinsèque à sortir des rangs. C’est l’ADN de Glover : refuser qu’on le définisse. ”Black male in short shorts, I’m double suspect”, rappait-il en 2011 sur le morceau « Backpackers ». Au-delà du genre, au-delà du miroir. Awaken, My Love! est sûrement l’album qui se rapproche le plus de ce qu’il semble vouloir être. Artiste inclassable, musicien étonnant, père d’un petit garçon depuis peu à qui il rend hommage sur « Baby Boy », héritier noir, image composite…
Prenez le temps d’écouter tous les petits détails de composition qui forment Awaken, My Love ! Prenez le temps de reconstituer le tableau musical d’une époque que propose Childish Gambino. C’est un album qui ne s’écoute pas dans l’urgence, il faut aller au bout de chacun des morceaux, au bout des six minutes de ses trois plus beaux titres, savourer au casque le track instrumental « The Night Me and Your Mama Met ». Si vous êtes mélomanes, vous ne devriez pas le regretter, c’est subtil, touchant, vraiment bien fait.
Childish Gambino – « The Night Me and Your Mama Met »
En ressuscitant tous les grands de la black music, Childish Gambino gagne en émotion et renoue avec l’expressivité musicale qui lui faisait défaut sur ses précédentes sorties. C’est une démarche à laquelle nous ne pouvons qu’adhérer.
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