Buddy, la face B de Compton
Être rappeur issu de Compton renvoie inexorablement à des images liées aux gangs, à la violence et à la drogue. Buddy appelle à un autre cliché, celui du Californien qui vit un idyllique rêve américain. Transporté par une éducation religieuse et artistique, il s’est écarté des poncifs du rap west coast. Entre rap et gospel, sa musique ressemble à un long fleuve tranquille. Repéré très jeune par Pharrell Williams, le mec idéal de Compton a dû pourtant gravir des collines pour parvenir à sortir son premier album en 2018.
Une éducation religieuse et artistique
Si Buddy incarne le gendre idéal aux yeux de la ménagère afro-américaine, c’est essentiellement dû à l’éducation religieuse dispensée par son père pasteur. Cet homme de bon sens a vite compris qu’il fallait éloigner son fils des faubourgs de Compton. Mr. Sims envoie donc son fils suivre ses études à Long Beach : sur les bords du Pacifique, Buddy trouve une ambiance plus studieuse et paisible. Pour occuper ses temps morts, ses parents l’inscrivent à un programme artistique de la NAACP, au conservatoire local. Il étudie le chant, le théâtre et la danse. Le dimanche, il pratique le gospel après le prêche de son père à l’église baptiste de Compton.
Aujourd’hui encore, il se souvient d’un enseignement rigoureux. Néanmoins, il persiste dans cette voie artistique. Il s’inscrit aux cours de théâtre à la Renaissance High School for The Arts de Los Angeles. Sûrement influencé par l’extérieur, il débute le rap à cette époque. A 15 ans, il enregistre sa première démo. Ses prestations vocales sont remarquées lors d’une de ses représentations de la comédie musicale The Wiz, par le producteur de télévision Scott Vener, qui découvre le matériel déjà enregistré par l’adolescent de Compton.
Il transmet alors la démo à son ami et collègue producteur Pharrell Williams, aussitôt séduit par ce talent précoce. Le leader des Neptunes décide de le prendre sous son aile et le signe sous son label multimédia, i am OTHER. Williams est sûrement fasciné par les multiples casquettes artistiques de Buddy, qui affirma à plusieurs reprises se considérer comme un homme de spectacles à part entière. Néanmoins, il choisira définitivement la musique dès sa signature chez i am OTHER.
L’apprentissage de la face B
Bénéficiant de l’aura incontournable du membre de N.E.R.D., l’ascension de Buddy paraît fulgurante. Dès ses débuts dans l’industrie, l’enfant prodige est gâté. Pour sa première mixtape Idle Time en 2014, il reçoit l’appui musical de Pharrell, bien sûr, mais aussi de Cardo et Boi-1da. La liste des convives est également du même acabit avec des stars pop comme Miley Cyrus et Robin Thicke, ou encore les rappeurs Freddie Gibbs et Kendrick Lamar. Le single « Staircases » avec Kung-Fu Kenny jouit d’un bon retour médiatique. Dans toutes les bouches, Buddy est l’artiste désigné pour assurer la relève de Lamar et compagnie.
L’engouement retombe quelques mois après. Ses apparitions solistes se font plus rares. Entre 2014 et 2017, il multiplie les featurings. Ses prestations aux côtés d’artistes tels Nipsey Hussle, Wiz Khalifa, BJ The Chicago Kid, A$AP Mob ou Warm Brew sont saluées par l’ensemble de ses compères. Mais la confirmation commence sérieusement à se faire attendre. Buddy est devenu une sorte de caution pour donner du relief aux morceaux sur lesquels il est invité. Les exemples les plus parlants restent le « Status Symbol » de Nipsey Hussle, repris en 2018, ou encore le remix du « Church » de BJ avec Chance The Rapper.
Il faut attendre la fin de l’année 2016 pour enfin réécouter Buddy seul. Ce single « Shine » rassure ceux qui croient encore a l’énorme potentiel du bon garçon de Compton. Les paroles de ce titre définissent bien son état d’esprit : il explique comment il appréhende le ghetto, afin que celui-ci n’affecte pas sa motivation et son envie de réussir. C’est sa recette du succès, en quelque sorte, car Buddy n’adopte jamais dans sa musique une posture de gangster, un fait assez notable pour être souligné.
Le déclic Kaytranada
Une rencontre en 2017 va transformer la carrière de Buddy. Celle avec le producteur montréalais Kaytranada, tout juste auréolé du succès de son album 99,9%. Le rappeur affirme que cette rencontre à Los Angeles est due à un hasard, même si leur collaboration n’a rien d’hasardeuse tant les deux protagonistes possèdent artistiquement des points communs.
Le premier fruit de leur collaboration donne le single « Find Me« . La voix limpide de Buddy s’harmonise parfaitement à la musique cristalline concoctée par Kaytra. L’union des deux artistes accouche d’un cinq titres particulièrement réussi, Ocean and Montana. Il intitule ainsi ce projet en évoquant l’endroit où il vit dorénavant, entre l’océan et Montana, son adresse à Santa Monica.
A l’image de ce titre, Buddy ne cherche pas à se donner l’image d’Épinal des gars de Compton. Il représente le Californien détendu, qui profite des bienfaits de son Soleil et de ses plages. Il se démarque ainsi, et s’affranchit également de son étiquette de protégé de Pharrell.
Quelques mois après, Buddy s’émancipe du label de Williams en sortant un autre cinq titres, Magnolia. Pour l’occasion, il renoue avec les producteurs Mike & Keys, qui avaient signé l’instrumental de « Shine ». La rencontre est également le fruit d’un hasard : à la recherche d’un sachet de weed, Buddy se retrouve finalement dans le studio de Mike & Keys à rapper avec Domo Genesis.
Magnolia n’a pas la même résonance que Ocean & Montana, mais ce mini-album n’en est pas pour autant de moins bonne qualité. Il y retrouve son ami d’enfance Boogie sur le superbe « 4 The Record » et se laisse aller à quelques envolées lyriques en compagnie de Wiz Khalifa. Il s’affirme ainsi comme un artiste a part entière et n’est définitivement plus ce second couteau dans l’ombre de Pharrell Williams.
L’autre version du Good Kid Maad City
Buddy commence l’année 2018 avec le single minimaliste « Black », sur lequel figure A$AP Ferg. Ce titre contraste avec le reste de sa discographie : tout d’abord par sa musique très dépouillée et âpre, mais aussi par un rap d’une violence inhabituelle, très éloigné de son débit nonchalant. Le propos diffère aussi des sujets abordés la plupart du temps : rempli de métaphores, le texte aborde sa fierté d’être noir, en citant notamment la Million Man March. Le public y découvre alors une facette méconnue du good kid de Compton.
Dans de nombreuses interviews, Buddy clame qu’il ne regrette pas l’exposition offerte par Pharrell, mais il considère qu’il est temps de voler de ses propres ailes. Il a acquis suffisamment de crédibilité et d’expérience pour entamer l’enregistrement de son premier album, et décide de donner les commandes musicales aux producteurs Mike & Keys, avec qui il collabore régulièrement. Une centaine de morceaux seront enregistrés.
Pour nommer le précieux sésame, Buddy choisit de reprendre le concept d’Ocean & Montana. Ce sera Harlan & Alondra, le croisement des deux rues qui l’ont vu grandir à Compton. C’est un album qui ressemble à son auteur, recentré sur la famille (qu’il expose d’ailleurs sur la pochette), dans lequel il donne son point de vue sur la vie difficile de son quartier d’origine. Tout en nuances dans « Trouble On Central », il ne juge pas, ni glorifie le quotidien de cette cité tumultueuse.
Son LP ressemble à un jour dans ce quartier, parfois joyeux, souvent mélancolique. Une sorte de balade entre rap et chant dans une Impala, qui montre toutes les facettes de son talent. Buddy donne ainsi une autre version du Good Kid Maad City avec Harlan & Alondra, le tout accompagné par Snoop Dogg, Ty Dolla $ign ou encore Khalid
Buddy – Harlan & Alondra
Photo cover : Daniel Regan