Si les années 90 ont fourni leur lot d’albums classiques, n’oublions pas que la décennie 2000-2010 a aussi vu l’émergence d’artistes prometteurs. Certains sont tombés dans l’oubli après quelques albums tandis que d’autres ont laissé une empreinte indélébile dans le hip-hop avec des projets solides. Petite goutte de pluie tombée en 2007 dans la marre des albums sortis au cours de cette décennie, Below the Heavens de Blu & Exile demeure, 10 après sa sortie, une merveille incontournable.
Blu & Exile ? En 2007, aucun d’entre eux n’est vraiment connu. Alors que le premier est un jeune rappeur qui n’a encore rien sorti de très probant, le deuxième se fait connaître au sein du duo Emanon, qu’il forme avec Aloe Blacc. C’est ce dernier qui fera le lien entre Blu et Exile, en les présentant l’un à l’autre. Ils se lient d’amitié très rapidement et décident de travailler ensemble. Blu ironise même leur relation sur le morceau « Show Me The Good Life » : « I don’t like Exile, I like his beats. His beats like me but he doesn’t like me, so that’s our relationship ».
Un rappeur, un beatmaker. L’un sera l’unique MC (ou presque) sur l’album et l’autre l’unique producteur. Une répartition des tâches contraire à la tendance de l’époque (l’âge d’or des mixtapes qui ont donné naissance aux albums « compilations »), qui voudrait que l’opus soit produit par huit producteurs différents et comporte une dizaine de featurings. Blu & Exile s’inscrivent plutôt dans la tradition des grands duos des 80’s et 90’s (Eric B & Rakim, Pete Rock & CL Smooth, Kool G Rap & DJ Polo…), un pied de nez à l’industrie musicale qui n’est pas sans rappeler la démarche de Madvillainy, sorti trois ans plus tôt.
Bien que leur amitié soit récente, l’alchimie opère puisqu’ils enregistreront pas moins de 75 morceaux pour Below the Heavens. Une productivité incroyable qui a certainement demandé une rude sélection, sachant qu’il n’a fallu garder que quinze titres pour le projet final.
Below the Heavens est une immersion dans le monde de Blu ; le monde d’un jeune adulte de 23 ans qui essaie de joindre les deux bouts. On y retrouve ainsi une certaine innocence dans les propos, mais également une grande part d’introspection. Blu y aborde les thèmes qui rythment son quotidien : la vie de rappeur qui espère se faire un nom, le stress, les difficultés financières et bien sûr, les relations sentimentales. Les titres tels que « Dancing in the Rain » ou « Blu Collar Worker » rassemblent ces trois problématiques :
« But see I’m underground, so now I gotta find cheese
Just to take her out to dinner, just to eat and get a kiss up on the cheek
But for me it’s even harder, ’cause I ain’t got a car to pick them up in »
Sur le morceau « Show Me The Good Life », il explore une autre réalité sociale en se glissant dans la peau d’un garçon de 22 ans qui se prépare à devenir père. S’en suit un questionnement sur la paternité et l’éducation. Les textes de Blu sont empreints d’une telle sincérité que la frontière qui sépare la mise en scène de l’ouverture aux auditeurs semble poreuse. Le jeune rappeur nous fait part à plusieurs reprises de ses craintes et ses angoisses les plus profondes. Below The Heavens apparaît alors comme une sorte de thérapie où chaque mot, chaque rime, est un moyen d’extérioriser le stress et la douleur.
« It’s hard to make music when this depression exists
They say « Use it as inspiration; the best of them did. »
Well, that’s them, see, I can’t handle this pressure for shit
And if you ask me, stress is a bitch
My girl needs more attention
And my record label’s desperate for hits »
Cet opus a aussi été l’occasion pour Blu de faire la démonstration de ses talents d’écriture grâce à ses textes très explicites où les rimes s’entremêlent de façon naturelle, sur un flow calme et maîtrisé. L’exposition de ses qualités de rappeur passe aussi par un exercice d’egotrip, auquel Blu s’adonne sur « So(ul) Amazin’ « .
Below The Heavens nous dévoile un rappeur qui excelle dans son domaine, mais cela n’en est pas moins vrai pour l’homme qui est aux manettes, Exile. Très inspirés des grands producteurs soulful tels que Pete Rock, J Dilla ou 9th Wonder, les beats d’Exile magnifient les textes de Blu. Les samples vocaux ajoutent une touche mélodieuse qui vient équilibrer la dimension triste des lyrics. La vibe plus joyeuse des instrumentaux prend le pas sur la dépression de Blu, donnant ainsi l’impression d’un album chaleureux qui impulse un sentiment de bonheur.
Dans la continuité de cette thérapie musicale, les beats d’Exile viennent accompagner Blu, l’aider à extérioriser. Il y a donc une véritable ambivalence entre l’atmosphère qui se dégage de l’album par ses instrumentaux, et ce qui est dit en profondeur dans les textes. Les refrains chantés, qu’ils soient faits par Blu ou les invités présents sur l’album, participent aussi à ce sentiment d’épanouissement. Les productions sont très cohérentes et plutôt homogènes, les drums percutants portent en grande partie l’énergie de l’album.
La grande force des instrumentaux, au-delà de la vibe soulful parfaitement maîtrisée, c’est leur côté intemporel. Impossible de dater ces beats qui ne suivent aucune tendance d’époque. Rares sont les albums qui, 10 ans après leur sortie, n’ont pas pris une ride sur le plan beatmaking.
Below the Heavens : In Hell with Your New Imaginary Friend, voici le titre complet de l’album qui résume bien ce qu’il a à offrir. La vie infernale d’un jeune adulte qui se voit confronté à tout un tas de responsabilités et d’obstacles qu’il parvient à surmonter tant bien que mal. Mais derrière ce paysage sombre, Blu & Exile nous guident lors d’un voyage céleste dans leur univers musical idyllique. « En enfer », « sous les cieux », ils nous remettent tout simplement à notre place : entre ces deux mondes imaginaires, les pieds sur terre. Rêves et cauchemars, joies et chagrins, le morceau « The World Is…(Below the Heavens) » illustre cette dualité qui porte tout le projet, nous rappelant que tout ceci n’est qu’une question de point de vue et que l’important est de savoir où se situe notre « paradis ».
« Just think about it every man has his own heaven
But shit, you gotta go through hell to be a man first
And understand first hell is what you choose to call the present
That’s why you’re going through it, I just choose to call it stressin
To tell you fools the truth
I don’t feel that’s what I’m destined
So you can call it hell but brah…
I can say I’m below the heavens »
Déjà 10 ans depuis la sortie de Below the Heavens. Qui aurait pu croire qu’un projet indépendant, réalisé par deux « inconnus » (à l’époque), marquerait autant une décennie ? L’album a depuis connu un certain succès, et on peut sans nul doute dire qu’il fait partie des 100 meilleurs albums de rap US des années 2000.
Peu après Below the Heavens, Blu & Exile ont remis le couvert avec Give Me My Flowers While I Can Still Smell Them, un album de la même trempe, tout aussi réussi. Afin de célébrer les 10 ans de leur premier opus comme il se doit, ils viennent de sortir In The Beginning : Before The Heavens, une compilation de titres qui n’avaient pas été retenus pour l’album, parmi les 75 qui avaient été produits. Enfin, les deux compères ont aussi laissé entendre qu’ils travaillaient sur un nouveau projet pour 2018…
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