AT.LONG.LAST.A$AP était la dernière trace sonore d’A$AP Rocky en solo. C’était il y a déjà trois ans, soit une éternité dans un hip-hop actuel où la productivité est de mise. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la sphère hip-hop attendait avec impatience le retour de Pretty Flacko Jody, plus présent sur affiches publicitaires que dans les bacs. Le 25 mai dernier, Testing appelle les amateurs de rap et médias du monde entier à se déchirer à propos de l’un des albums les plus controversé de l’année. Des débats qui, au sein même de la rédaction The BackPackerz, n’ont pas su donner lieu à un terrain d’entente. Retour sur ce disque à l’ambition assumée.
Create. Explore. Expand. Conquer.
Rakim Meyers aka A$AP Rocky a plus que fortement contribué à la remise en avant du rap de la côte Est grâce à la démocratisation d’une vibe : le cloud rap. Un genre que Lil B a été le premier à nommer, éclatant par la suite en nombreux sous-genres dans lesquels A$AP a rapidement su créer le sien : un rap qui se veut planant et éthéré. Avec comme fer de lance une image et une identité visuelle des plus soignées, l’artiste a rapidement étendu sa perpétuelle recherche d’esthétisme à travers d’autres univers, notamment en mettant un pied dans le monde de la mode. Quand Kanye design, lui se sape. Égérie Dior ou mannequin pour Calvin Klein, il a su créer un véritable personnage, sur de lui et compétitif, sorte de dandy du rap jeu. Et c’est bien dans ses pompes de luxe qu’il présente ce projet tant attendu en déclarant : « c’est un putain d’album. J’espère qu’il changera la vie des gens ».
Changer des vies, (un peu) présomptueux ? Une chose est sûre, si l’album ne provoque pas nécessairement de bouleversements existentiels, il fait figure de véritable OVNI dans les sorties de 2018. Après s’être longtemps illustré dans la fashion sphère, la volonté de Rocky était de revenir à ses premiers amours et d’asseoir une bonne fois pour toute sa position de MC en donnant une nouvelle dimension à sa musique.
Un désir qui le poussera à sortir le grand jeu : pour ce nouvel album, A$AP s’entoure de la crème de la crème pour réaliser les backs de chaque morceaux. Un casting 5 étoiles parmi lequel on compte Tyler, The Creator, Frank Ocean, Kid Cudi, Juicy J, Skepta ou encore French Montana. Côté production, Rocky supervise l’entièreté du projet, bien épaulé par différents producteurs de renom aux styles éclectique tels que Hector Delgado, Boi-1da, Mario Lovine (qui avait déjà composé pour SchoolBoy Q) Rico Love, DJ Khalil etc…
Une guest-list qui fait rêver et qui semble prédire un album efficace porté par des singles qui tourneront en boucle dans tous les clubs pour le restant de l’été. Sauf que. Loin de l’envie de réaliser une machine à tubes, A$AP se concentre ici sur l’expérimentation. Appelé Testing pour des raisons évidentes, le projet du rappeur de Harlem s’adonne à de nouvelles sonorités et sort – voir expulse – le public de sa zone de confort. Des intentions louables mais risquées. Impressions.
« I just wanted to be a rapper »
Dès le départ, A$AP secoue le monde du hip-hop avec une performance artistique appelée « Rat Lab ». Positionné en tant que sujet de laboratoire, il y subira diverses expériences avant de brandir fièrement la cover de son album sur fond de morceaux exclusifs. Procédé inhabituel dans le rap, l’action reste à son image : parfaitement maîtrisée. S’en suit le premier extrait, « A$AP Forever« , dont le clip qui l’accompagne présente une esthétique parfaitement léchée, Pretty Flacko Jody persiste et signe : Testing sera à son image. Beau, dérangeant et en quête d’innovation.
Musicalement parlant, les hostilités s’ouvrent sur un sample très connu de Moby, « Porcelain », qui vient ici sublimer le flow de Rocky dans un style où il excelle, style qui sera présent à différents moments de l’album. Comme « L$D » l’avait fait en 2015, « Kids Turned Out Fine » et « Changes » viennent réveiller nos sens et nous embarquent dans un voyage psychédélique, qui, il faut le dire, nous avait un peu manqué.
On retrouve cependant des morceaux dont l’énergie et la puissance viennent pimenter l’ensemble. « Praise The Lord (Da Shine) » avec Skepta frappe fort sur fond de flûte, à la manière d’un « Mask Off » de Future quand « Tony Tone » rappelle que Rocky s’adapte à tout type de beat et sait faire taire ses différents détracteurs. A ceux qui ne le pensait plus rappeur, il répond avec force sur « OG Beeper » en montrant que cette carrière était son but premier, le reste n’étant que détour.
« And I modeled Dior, but I’m still a rapperTook a little detour, but I’m still a rapperUsed to be a D-Boy but I’m still a rapper »
Mais Testing ne tente pas seulement de pousser l’expérimentation sonore, mais est également un terrain de jeu où Rocky pousse sa pratique de l’écriture. Quand dans ses bangers de l’album, la légèreté des paroles reste dans ce qu’A$AP a l’habitude de nous proposer, les morceaux les plus musicaux du projet lui permettent également d’aborder des sujets plus sérieux. Sur « Changes », l’homme le plus stylé du rap game casse son image de mec intouchable et se confie sur une rupture amoureuse récente qui l’a profondément touché. Il n’hésite pas à livrer des sujets très personnels, comme par exemple sur « Brotha Man » où il explique que le mari de sa mère est en prison à perpétuité et insiste dans « Fukk Sleep » sur l’influence positive de sa mère dans sa vie.
Épaulé de Frank Ocean et d’un sample de Lauryn Hill (« I gotta find peace of mind », enregistré lors d’un MTV Unplugged), il jette un coup d’œil dans le rétro sur « Purity » et expose avec conscience les difficultés qui accompagnent cette vie, et notamment sur son cercle amical et familial. Toujours d’un point de vue personnel, Testing marque un tournant dans la vie d’A$AP puisqu’il s’agit de son premier projet depuis la disparition de son ami d’enfance A$AP Yams, mentor sur ses précédentes réalisations.
Au-delà de ces très bons points, force est de constater que cette démesure de l’ambition et de l’expérimentation desservent malheureusement un peu l’oeuvre. Les différentes sonorités s’entrecroisent dans un grand écart disgracieux qui nous fait parfois perdre le fil conducteur de l’album, si tant est qu’il y en ait un. Si certaines idées sont loin d’être mauvaises (mention spéciale au feat avec Kodak Black sur lequel il pose via téléphone depuis sa cellule en prison), ce souci d’expérimentation nuit à l’homogénéité ainsi qu’à la musicalité du projet. On se perd dans le trop plein d’informations que nous propose A$AP et l’enchaînement de certains tracks manque de logique et de fluidité.
Il serait dans l’ensemble très difficile de dire que Testing est un mauvais album, comme il serait hypocrite de dire que tout est réussi. Mais, il faut quand même se l’avouer, la prise de risque intentée ici par Rocky est peut-être ce dont nous avions besoin. Un vrai album qui fait débat et divise. A l’heure où les plus grosses ventes Hip-Hop se retrouvent dans des schémas cadrés et formatés, majoritairement porté par l’ultra-popularisation de la trap, A$AP se place volontairement à contre-courant de ces valeurs sûres et délivre un projet pour le moins intéressant. A vos avis.