Chaque mois, l’Europe déverse son flot d’artistes hybrides, ses talents transfrontaliers et migrateurs, à l’heure où le Vieux-Continent est parcouru d’un frisson identitaire. Focus sur Di-Meh, l’étoile montante de la scène helvète qui revient avec l’EP Focus, vol. 2 sorti le 10 mai (évidemment !) sur le label Colors.
Droit de préemption sur la scène Rap
De l’énergie à revendre, un style plutôt « dawa », Di-Meh incarne tout, sauf la demi-mesure, aussi bien dans ses textes dans lesquels il montre les crocs qu’en concert où le jeune lionceau est réputé être une vraie bête de scène. Exit donc la sacro-sainte neutralité helvétique et le politiquement correct, Di-Meh déboulonne le game avec son franc-parler et ses phases de clash nerveuses dans Focus, vol. 2. Cette suite de bon augure vient parachever une série, après Focus, vol.1 sorti en 2017 et sur laquelle se retrouvait une partie des membres du collectif romand SuperWak Clique qui compte notamment des it-talents devenus incontournables comme Makala, Slimka, et Pink Flamingo. Pour le volume 2, Di-Meh réalise des featurings avec quelques rappeurs belges talentueux, à commencer par Roméo Elvis sur le titre « Ride » ou encore Rowjay et Krisy sur « Brille ».
Une connexion Bruxelles-Genève validée avec quelques collaborations discrètes qui remportent les suffrages. Aussi, sur le titre « Brille » entouré de Krisy (Le Jeune Club) et de Rowjay AKA Jason Malin Rosauri, rappeur québecois et membre du collectif (COB 65), Di-Meh ne manque pas de dérouler le tapis rouge aux talents hors Hexagone :
« Brille, brille, Canada, Suisse et la Belgique, le destin de la France est tragique, on s’impose de manière stratégique, brille, brille C.O.B, LeJeune Club, SuperWak, fume un back dans le bas du Mayback«
pour ainsi faire un joli pied de nez à la France et à sa prétendue main basse sur les talents dans les pays d’Europe.
À l’image de ses frères d’armes, Slimka ou Makala, Di-Meh creuse son sillon et semble progressivement se dégager de la tutelle du collectif. Dans Focus, vol. 2 , il alterne entre boom bap et trap, et va jusqu’à user des anglicismes les plus loufoques, en injectant toujours plus de néologismes et de jeux de mots dans ses textes, quitte à en faire une langue à part entière. Mais pour autant ce grand chambardement textuel n’en devient jamais risible.
Un style décomplexé
Parmi les pépites de l’album, les contrastes sont légion et les univers multiples. Sur le titre « Kangol Jetski » (feat.Pink Flamingo AKA Varnish la piscine) les notes de piano cohabitent avec un fond sonore groovy entrecoupé d’un tintement électronique discret façon bonus « Mario Kart ». De l’ambiance ouatée de fin de soirée sur un yacht à la « Kangol Jetski » à des morceaux où le ton est dur et revanchard comme « Western Union » (feat. Laylow) Di-Meh ne craint pas de faire le grand écart. Là où certains rappeurs se vautrent en beauté parce qu’ils ont été maladroits dans le mélange des genres, Di-Meh arrive à doser et livre malgré tout des titres assez barrés. Preuve en est, le clip du titre phare « Kobeaf » (contraction de Kobe Bryant et biff) réalisé par Léon Santana, assez suffisant pour témoigner de son univers perché et déroutant.
Comme dans son Focus, Vol.1 Di-Meh prouve une nouvelle fois sa capacité à jouer avec des ambiances et des flows différents. Capable de passer d’une ambiance chill comme sur « Kangol Jetski » à des univers trap à l’instar de « Kobeaf », Di-Meh est friand de l’éclectisme.
Au-délà d’une énergie débordante et d’une spontanéité franche, Di-Meh est aussi le genre d’artiste encore dans son jus, symbole du RAF et dont l’image n’est pas encore léchée. Regard vif, casquette vissée sur la tête et lunettes fumées comme dans un clip de Sisqo, notre homme pourrait très bien caster pour un remake de la « Haine ». Mais pour l’heure Di-Meh reste (pour le moment) préservé de la tentation pubarde et marketing dans laquelle certains rappeurs ont sombré la tête la première pour se concentrer avec passion et ardeur dans son projet musical.
Avec cet album anniversaire, Di-Meh semble prendre la bretelle de sortie en distanciant ses pairs, Makala et Slimka, avec brio et déchaînement. Il se produira le 26 juin prochain à la Boule Noire, à Paris.