Produit grâce à une campagne de financement participatif, Vers l’infini et au-delà de Youssef Swatt’s, 19 ans, débarque dans les bacs ce 16 juin 2017. Aboutissement de quatre ans de travail, il vient mettre en valeur un jeune pousse du rap belge à la plume acérée et à la conscience affûtée.
En ce moment, on peut légitimement se demander si le rap français n’est pas mieux représenté par les MC venus du plat pays que par leurs homologues de l’Hexagone. Dans le sillage de Damso, Roméo Elvis, Isha, Caballero et JeanJass, voici que débarque (déjà !) une deuxième génération de rappeurs belges, dignement représentée par Youssef Swatt’s, jeune MC originaire de Tournai qui n’en n’est pas à ses premières armes malgré ses seulement 19 printemps. Déjà, en 2014, il lançait l’EP L’Amorce dans lequel pointaient déjà ce qui fait aujourd’hui sa patte : des textes engagés, une vision lucide sur la société et le monde, une atmosphère sombre. Autant de directions qui guideront également ses projets futurs comme son deuxième EP Petit Youssef. Tout cela n’avait finalement qu’un seul but, arriver à la difficile étape du premier album en ayant fourbi ses armes et en étant prêt à affronter l’adversité afin de partir avec enthousiasme à la conquête du public.
Rien d’un dessin animé
C’est désormais le cas avec Vers l’infini et au-delà, un titre qui s’il est issu d’un film pour enfants traduit plutôt toute l’ambition du jeune Belge. Même s’il est parti de rien, il n’envisage pas l’échec et sait que sa réussite ne sera due qu’à force de travail et de sacrifice. L’introduction même de ce disque n’est qu’un résumé de cette pensée tournée vers l’avant qui transpire déjà l’intelligence et prouve en quelques lyrics la qualité de la plume de Youssef dont il peut être fier comme il l’explique dans le titre « Nostra Culpa » où l’on sent bien qu’il se sert de l’écriture et du micro comme d’un exutoire, qu’il a besoin d’exposer ses difficultés, de parler de ses souffrances et de tout ce qu’il a vécu. C’est à la fois un moyen personnel de se sentir mieux mais aussi une sorte de mission, celle de partager ses expériences avec ses auditeurs pour leur donner des clés pour faire de meilleurs choix. N’ayez aucun doute là-dessus, le rap de Youssef est conscient et plein de messages qu’il a envie de faire passer. C’est un « Vieux rêveur » de 19 ans qui tente de garder le sourire par le biais de l’écriture et de son amour immodéré de la musique qu’il met en mots dans « Lettre d’amour », un titre dans lequel il se demande ce que serait sa vie sans la musique qu’il personnifie et à qui il parle comme à une femme, la seule qui est toujours là quel que soit son état, la seule qui lui fait vraiment du bien. C’est une relation « Passion née », si la réussite est au bout du chemin, ce sera tant mieux, sinon cela ne changera pas l’étroite connexion qu’entretient Youssef avec le rap. Il restera droit dans ses bottes jusqu’au bout faisant ce qu’il aime sans jamais décevoir son public dans une démarche vraie et sans calcul.
Noir c’est noir, mais il y a de l’espoir
Surtout, il refuse de fermer les yeux sur une vie qui s’effiloche. Observateur fin et avisé, il décrit un « Cauchemar éveillé » en mettant le doigt sur tout ce qui ne marche pas dans notre société et conclut, lucide, « votre monde m’a effrayé », pointant un à un les maux qui le rongent : l’individualisme, les guerres, la politique etc. Le plus effrayant, c’est qu’il n’invente rien, il se contente juste de dresser une liste de tout ce que l’on voit tous les jours aux infos… Pour Youssef, la résistance passe donc par La plus dangereuse des armes, la musique qui ne changera certainement pas le monde mais qui va nous aider à le supporter, ce qui ne serait déjà pas si mal… Elle a en tout cas changé celle de Youssef pour qui elle est un véritable soutien qui lui permet de vivre mieux. C’est pourquoi il essaie de nous donner un peu de cette chance là. Une sorte de « Quart d’heure d’espoir » nous permettant de garder en tête buts et objectifs mais aussi d’oublier nos maux pour tenter de vivre mieux. Car tout n’est pas noir chez Youssef, il y a aussi de l’optimisme et de l’envie comme dans le morceau « Maintenant ou jamais » où, en s’appuyant sur des valeurs vraies et simples comme prendre du plaisir quand il est là, ne pas attendre avant de kiffer et profiter de la vie, là maintenant, tout de suite.
Difficile rapport au temps
Car il y a aussi une notion qui revient souvent chez Youssef, c’est celle du temps qui passe et qui, paradoxalement, créé chez ce jeune homme de 19 ans une vraie nostalgie comme dans le titre « La mémoire qui pleure », où il revient sur son enfance et surtout sur ses rêves brisés. Pas de doute, il a fallu déchanter rapidement et passer de l’innocence d’une vie d’enfant à celle plus violente d’une vie d’adulte et, même bien entouré, ce n’est pas toujours simple (Entre nous). Mais Youssef est conscient que Le temps passe et qu’il ne pourra revenir en arrière, qu’il lui faut affronter le monde tel qu’il est et non plus protégé par un environnement plus favorable. On sent que chez ce jeune homme, c’est quelque chose qui peut parfois être difficile. Alors pour avancer plus aisément, il s’entoure, avec des featurings intéressants (Demi Portion, LaCraps, Seyté de La Smala) et des beatmakers compétents (JeanJass, Mani Deïz, Vimash) afin que ses textes soient particulièrement mis en valeur. Du boom bap classique qui offre un écrin soyeux au rap de Youssef qui s’il peut être qualifié de conscient, n’empêche pas la technique (« Avalanche ») ou le storytelling (« Moha »). La relève est peut-être belge, mais elle est bel et bien prête.