Youssef Swatt’s, rappeur « sincère et véritable »

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Youssef Swatt’s, rappeur « sincère et véritable »

Depuis plusieurs mois déjà, le rap de nos voisins belges est en pleine effervescence. Très diversifiée, la scène belge regorge de jeunes talents. Parmi eux, Youssef Swatt’s se démarque par la maturité de sa plume. Remarqué dans l’hexagone lors d’apparitions scéniques, le MC tournaisien a profité de son passage parisien pour nous dévoiler la genèse de son premier album Vers l’infini et Au Delà prévu le 16 juin. 

The BackPackerz : Tu as commencé à rapper à l’âge de 13 ans. Avais-tu des prédispositions pour l’écriture plus jeune ?

Youssef Swatt’s : En fait, vers l’âge de 12 ans, j’ai eu un professeur de français, avec qui nous faisions des exercices d’écriture, qui m’a demandé pourquoi je n’écrivais pas à la maison. Le soir même, je me suis mis à écrire. J’ai commencé par des petits textes, puis des nouvelles. À cette période, j’ai même fini un roman de 120 pages. De fil en aiguille, l’écriture est devenue indispensable pour moi. Comme j’adorais le rap, je me suis mis à rapper.

Tu cites même Jacques Prévert dans un de tes morceaux…

Je ne lisais pas encore Prévert à cette époque là. Cela fait uniquement deux ans que je me suis mis à m’intéresser à son œuvre et son parcours. C’est un poète, qui me guide beaucoup par ses rimes. Mais il a aussi osé amener le langage de la rue dans ses poèmes. C’était surtout une époque où la poésie française prônait un langage soutenu. Prévert a ainsi ouvert des portes et je suis sûr que d’une manière ou d’une autre, le rap francophone en bénéficie aujourd’hui.

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Tu as réalisé ton premier mini album L’Amorce à 15 ans. Comment s’est passé l’enregistrement ?

Je l’ai enregistré chez des amis à Tournai, les BledyBoyz, qui rappaient en anglais. Ils avaient un petit studio d’enregistrement (dont il nous parlait notamment dans notre interview de Caballero et JeanJass, NDLR). Je t’avoue que ce disque a été enregistré en mode pirate. J’ai pris ce que j’avais écrit depuis un moment. J’ai essayé de transformer ce matériel écrit en chansons. J’ai invité deux rappeurs  de Tournai. Nous avons enregistré L’Amorce en quelques semaines sans vraiment mixer le tout. Nous avons surtout cherché à nous faire plaisir.

Tu as travaillé avec le rappeur/beatmaker JeanJass. Comment vous êtes vous rencontrés ? Qu’apprécies-tu dans son travail ?

JeanJass est vraiment un passionné de musique, quelqu’un de touche à tout. Il est beatmaker, rappeur. Il mixe également. Il possède son propre studio. Son quotidien est de se lever et de vivre pour la musique. C’est précisément cette passion que je recherche quand je collabore avec des artistes.

Notre première rencontre remonte à un concert à Tournai, au cours duquel nous avons vite envisagé de travailler sur quelques productions ensemble. Il a par la suite produit un titre pour mon second EP Petit Youssef intitulé « Pour les miens ». Pour l’album, il a produit « Lettre d’amour ». Il apporte quelque chose de très spécial tant au niveau musical qu’au niveau du texte. Pour ce titre, j’ai écris mon texte comme un hommage à la musique, à tout ce qu’elle m’apporte au quotidien.

Comment juges-tu ton évolution musicale par rapport à la sortie de cet album et tes deux précédents projets ?

Avec le recul, je pense que l’évolution est constante. Texte après texte, lettre après lettre, tu comprends de mieux en mieux la musique. Je commence à réellement apprécier la phase de création, de construction d’un morceau. Je sais comment m’adapter à une instru, où placer un refrain. Sur le plan musical, je ne suis pas quelqu’un de trop exigeant. Je préfère me laisser guider par mon ingénieur son pour mieux me concentrer sur la partie texte. Je ne peux pas vraiment parler d’évolution musicale. Car il existe des textes très aboutis comme « Moha », qui date de trois ans. Je suis quelqu’un de spontané. Donc, j’aime laisser le destin produire son effet entre moi et la musique.

Tu as réalisé plusieurs clips avant la sortie de l’album. Leur univers esthétique est particulièrement soigné. As-tu participé à la direction artistique de leur élaboration ?

J’ai toujours participé à l’élaboration artistique des clips. Mais cela ne veut pas dire que j’ai toujours eu les idées. Je travaille avec Frankee Franz, Alexinho d’Exchng Productions, Benoît Guilbert et le collectif Oeil de Bœuf, dont je fais partie. Ce qui ne veut pas dire que je ne laisse jamais la place à l’improvisation. Pour le dernier clip en date « L’introduction », j’étais posé chez le réalisateur Benoît Guilbert. Il avait une Blacklight. Nous avons pris de la peinture phosphorescente. Ainsi, le visuel fonctionne plutôt bien. Si nous avions travaillé un scénario, les différents clips n’auraient pas pris autant auprès du public. En tant que spectateur, j’attache une importance au visuel.

Dans un bonus track de la carte de téléchargement, tu as mis un extrait d’interview, où tu affirmes produire « un rap sincère et véritable » ? Quelle est ta définition de ce rap sincère et véritable ? 

Ce passage vient d’une interview avec L’Hexaler avant un concert à Haudincourt. La journaliste nous avait posé une question pour savoir si nous faisions du rap conscient. L’Hexaler et moi, nous nous sommes retrouvés sur ce terrain commun de ne pas être en accord avec ce terme de rap conscient. Comme il l’a si bien expliqué ce jour là, tous les rappeurs font du rap conscient. Dans le sens, où tout rappeur est conscient, lorsqu’il enregistre un morceau, quel que soit le style qu’il adopte. Nous ne nous retrouvons pas dans une catégorie bien définie de rap. Nous produisons du rap à notre image. En globalité, nous faisons dans cette optique du rap sincère et véritable car nous n’attendons rien en retour. Nous nous plions à aucun schéma.

Dans un morceau de l’album titré « Vieux Rêveur », tu dis avoir commencé sur scène lors d’un concert de La Scred Connexion à Tournai. Tu as participé à la seconde édition du Scred Festival. Demi Portion, qui est proche de la Scred grâce à ses débuts aux côtés de Fabe, est invité sur ton album. Quelles sont les natures de tes rapports avec la Scred ?

L’aventure a commencé lors d’un open mic, où la Scred Connexion était tête d’affiche. J’étais vraiment content de les voir passer dans ma ville. J’étais fan de la Scred, car mon frère écoutait leurs sons. Lorsque je suis monté sur scène, Morad est venu me féliciter. Quelques années plus tard, je suis vraiment rentré en contact avec eux lors de leur deuxième passage à Tournai. Koma est venu me voir pour me proposer de relayer mes projets, notamment via des freestyles à la Scred Boutique. Dès le départ, ils m’ont soutenu et ont cru en moi. Ils suivent les projets de près.

L’album contient un morceau « Moha », qui met en scène un enfant en proie à l’Islamisme radical, les attentats, la faim…Comment est venu l’idée de ce morceau particulièrement réussi ? Le morceau se finit par un phrase forte « Le prix d’un an de ma vie équivaut le prix de ton téléphone« . Qu’as-tu voulu transmettre à travers ce morceau?

Un jour, j’ai vu le témoignage d’un enfant palestinien de 7 ans à la télévision. Il se demandait si les enfants de l’autre côté du mur vivaient les mêmes événements que lui. S’ils voyaient autre chose que des bombes et des morts. J’étais déjà très informé et sensible à ces conflits géopolitiques. Ce témoignage m’a profondément touché. Donc, j’ai décidé d’écrire en me mettant dans la peau de ces réfugiés et de leurs enfants. De cette manière, je voulais vraiment appeler à un réveil communautaire. J’avais l’envie d’apporter ma pierre à l’édifice à mon humble niveau. Même si un morceau de cinq minutes ne va pas changer la face du Monde. Mais je crois en l’effet papillon.

Je ne prends pas position pour Israël ou la Palestine. Dans ce conflit, il existe deux camps : ceux qui veulent continuer la guerre et ceux qui sont fatigués de perdre des proches. J’ai voulu exprimer cette émotion par les yeux d’un enfant. Car il n’existe rien de plus vrai que les yeux d’un enfant.

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Tu commences l’album par des morceaux très mélancoliques comme « J’ai la mémoire qui pleure » pour finir sur une note plus optimiste incarnée par un titre comme « Quart d’heure d’espoir ». As-tu une vision pessimiste de l’avenir ?

Effectivement, l’album contient un message cru. Ma démarche ne comporte aucune démagogie. Mais le disque est conçu pour parler au public, je voulais poser ce constat un peu triste. Car si tu pèses le bien et mal, la balance est assez déséquilibrée. Il me semble important de porter la voix de ceux qui pensent tout bas. À la fin, je pense essentiel de porter un message positif. Si je me contente de dire uniquement que tout va mal, cette parole est réductrice. Je me devais de finir sur une note positive. Si nous attendons que l’espoir vienne du haut, nous pouvons l’oublier.

Dans l’album, beaucoup de morceaux comportent des notes de piano. Est ce volontaire ou une simple coïncidence ?

Non ce n’était pas calculé, mais ce n’est pas du tout une coïncidence. Lorsque j’écoute une bonne production avec des notes de piano, je la valide sans hésitation. Le piano reste mon instrument préféré. J’ai énormément écouté de concertos de piano car j’aime la musique classique. J’ai toujours voulu apprendre le piano depuis tout petit et récemment j’ai acheté un clavier pour m’y mettre. Pour moi, le piano est fascinant. Ce sont les raisons pour lesquelles j’ai voulu en inclure autant dans l’album.

Sur ton projet, tu as invité quelques artistes belges. Peux tu nous parler de tes affinités avec cette scène belge ?

Sur l’album, Beni Luzio et P-pito apparaissent, car nous avons débuté ensemble. J’ai aussi invité des rappeurs belges confirmés comme L’Hexaler ou Seyté de La Smala, qui sont mes plumes préférées en Belgique. Le rap belge se porte bien mais cela depuis déjà 30 ans.  C’est une scène présente dans tous les domaines, du rap engagé à la Trap. Même des artistes, qui me parlent moins comme Damso ou Shay, nous ouvrent des portes. Cette scène demeure une grande famille, car le pays n’est pas très étendu. En une heure de train, tu peux retrouver un artiste, qui est à l’autre bout du pays.

Youssef Swatt’s défendra son album Vers l’Infini et Au Delà lors d’un Show Case à La Scred Boutique, samedi 17 juin 2017 à partir de 15h00.

Crédits photos: Alexinho, Frankee Franz et Cebos PicsandLove