Deux ans depuis le succès tant mérité de son troisième album Dragon Rash qui a révélé au grand jour le talent mais aussi la générosité de Demi Portion. Deux ans que Rachid écume les salles hexagonales, suisses ou encore belges, voguant de festivals en salles de concert confidentielles, en passant par des prestations dans des prisons, le tout entrecoupé d’ateliers d’écriture pour enseigner l’art de la rime. Deux ans que le sétois nous préparait dans la plus grande intimité son nouvel album. Un album enregistré directement à son domicile, de ce même endroit où le MC a pris l’habitude de nous envoyer de petits freestyles vidéos. Deux ans que les amateurs de rap français authentique et sincère attendaient cela. Depuis vendredi dernier, 2 Chez Moi appartient dorénavant à son public.
Difficile de rédiger une chronique un tant soit peu objective quand on a une personnalité telle que celle de Demi Portion en face de soi, tant l’homme est entier, touchant et d’une gentillesse sans limite. Alors mieux vaut partir du principe que cette chronique n’a rien d’objective, qu’elle reflète l’avis d’un auditeur conquis au travail de militant de cet artiste complet. Vous êtes prévenus.
Commençons par la pochette, pleine de poésie, où le super guerrier de l’album précédent a laissé place au petit Rachid sur son nuage magique. N’oubliez pas que pour chevaucher ce fameux nuage, il faut avoir le cœur pur. Ce n’est pas donné à tout le monde.
L’album ouvre sur une boucle magnifique de Snowb et d’office Rachid prouve qu’il n’a rien perdu de sa technique en attaquant la prod avec un flow rapide et précis sur « Souvenir ». De quoi immédiatement ôter le doute sur la qualité musicale et le niveau de ce nouveau projet. S’en suivent les morceaux « 2 Chez Moi » et « Demi Pablo » dévoilés avant la sortie de l’album.
Arrive alors le premier featuring de l’album et pas des moindres puisque Kery James vient évoquer la force du pardon avec Rachid sur « Pardonner », dans un texte émouvant et aux allures de confession. « Mon Dico IV » sur une prod de Kartoon, dévoile des paroles assez dures pour cet épisode qui se veut le dernier de la série. « Un long voyage » qui nous donne de la force et de l’optimisme nous amène au titre « Magnifique » en featuring avec Oxmo Puccino. Ce dernier titre est un peu la suite d' »Une Chaise Pour Deux » dans l’esprit, Oxmo démontrant une fois de plus son immense talent dans un son résolument optimiste, où Rachid nous incite à chanter la vie et à être meilleur pour améliorer nos relations humaines. Une bouffée d’air.
« Ici La Terre » nous permet de retrouver un des producteurs de prédilection de Demi Portion en la personne d’El Gaouli. Ce dernier, réputé pour ses productions très orientales dans les sonorités, signe ici un son beaucoup plus rock qui pourra surprendre à la première écoute, mais l’efficacité est une nouvelle fois au rendez-vous. Inévitablement. L’occasion dans ce son pour Rachid de dédicacer les groupes ou MCs qui comptent pour lui comme Rocca, Assassin ou encore La Rumeur. Un MC qui cite d’autre MCs pour leur rendre hommage et non pas pour les dénigrer, là encore, Rachid ne fait rien comme les autres et c’est tant mieux.
Après une « Interlutte » qui sent bon les sonorités tant chéries par Rachid, « Besoin d’Air » permet à son complice Sprinter du groupe Les Grandes Gueules ainsi que son acolyte sur scène Monotof de venir s’exprimer sur un morceau un peu plus sombre, où le sétois confesse ressentir par moment l’envie d’être violent sous la colère. « La Vie De Rêve », produit par son ami et DJ Rolxx, affirme haut et fort que l’humilité est et sera toujours le créneau du rappeur. Place ensuite à des sonorités acoustiques sur « Un Jour Viendra » pour un duo avec Furax Barbarossa puis sur « Autopsie » avec un refrain monumental et des couplets qui prennent aux tripes.
Vient alors peut-être le morceau majeur de l’album : « Planète Rash ». Ouvert par Rachid, il laisse ensuite la place à 10 MCs avec par ordre d’apparition : Scylla, Davodka, Youssef Swatt’s, Sprinter, Jeff Le Nerf, Swift Guad, JP Manova, Hexaler, Monotof, Dooz Kawa. Le tout sur un magnifique sample avec Beep Beep à la production (autrement dit Demi Portion, Beep Beep étant son blase de beatmaker). Sur ce track, Rachid ose se placer en leader, lui qui déteste tant les devants de la scène et les flatteries faciles, devant un parterre de MCs des plus talentueux la mission est accomplie. Haut la main.
Puis Rachid se prête une nouvelle fois à un exercice qu’il maîtrise comme personne. Après avoir fait le tour des émissions de télé sur « Ma Chaîne Mosaïque » dans son premier album Artisan Du Bic, notre MC revient ici avec un texte composé presque uniquement avec titres de films dans « Danse Avec Les Loups ». Une prouesse d’écriture.
Le « Fonky Freestyle » sur une instru de la Fonky Family est un texte hommage au groupe marseillais et à son DJ Pone, et avait été dévoilé sur YouTube il y a quelques mois. « Au Coin De Ma Rue » est encore une occasion pour le MC de rendre hommage à toutes les personnes qui ont influencé son parcours avec une fois n’est pas coutume de nombreuses références à la Scred Connexion et à Fabe (« Au fond de nos cœur, c’est comme un ghetto. Dès qu’il sent l’approche extérieure, il se resserre comme un étau »). L’album se ferme sur « Une Fin Heureuse » et n’est autre qu’une prière à Dieu, en faisant le triste constat que le monde va mal, très mal. Pour autant, Rachid ne s’avoue pas défait en affirmant que la musique constitue son moteur dans la vie pour tenter d’améliorer le monde à son échelle.
Si l’on doit chercher la petite bête, nous pourrions reprocher à cet album d’être trop court. 18 tracks pour 55 minutes c’est peu, trop peu. D’autant que la qualité des productions est vraiment au rendez-vous, donnant envie de demander à Demi Portion de laisser tourner les intrus quelques mesures de plus. « Planète Rash » est l’exemple parfait de cette frustration : ce morceau aurait très bien pu faire 10 minutes et non pas 4 minutes et 37 secondes pour laisser à chaque MC le temps de vraiment s’exprimer leur plume.
A part ce goût de trop peu, Demi Portion nous livre donc ici un album d’une sincérité bouleversante, doublée d’une maîtrise épatante pour un album produit à 100% en indépendant. Les grandes majors de l’industrie musicale qui pensent nous dicter leur vision de ce que doit être le rap d’aujourd’hui risquent de déchanter en voyant l’engouement déclenché par des artistes authentiques comme Rachid qui confirme ici ce que beaucoup savent déjà, à savoir qu’il est devenu une figure majeure de la scène hexagonale. Et ce n’est pas près de changer.