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Youssoupha en (parenthèse) acoustique

Quand on entre dans la vingtième année d’une formidable carrière musicale, qu’on a une maison de disques d’or et que tous les gens de ton public sont de ta famille, on se demande bien ce qu’il peut rester à accomplir ; si ce n’est collecter encore plus de disques d’or pour faire une extension de la-dite maison pour loger les nouveaux membres de la-dite famille, car n’est pas Midas qui veut.
Pourtant « le jour où il a arrêté le rap », Youssoupha a peut-être débuté autre chose. Car c’est dans une nouvelle aventure, somme toute inédite pour lui, que se lance le Prims Parolier : un concert tout acoustique avec un trio (voix/piano/violoncelle) qui sera joué sur deux dates : à Bourges le 19 avril, puis à Nantes le 20.  Cette (apparente) parenthèse acoustique pourrait bien lui ouvrir de flamboyants nouveaux horizons artistiques…

BACKPACKERZ : Peux-tu nous parler de la genèse du projet ? Il me semble qu’il a été initié par Stéréolux et La Soufflerie…

Youssoupha : Ça a commencé bien avant ça, ça remonte à mes précédentes tournées. L’envie de faire un set acoustique était là depuis longtemps mais je n’avais pas trouvé les conditions idéales pour le mettre en place. Je passe beaucoup de temps sur scène et à un moment, pour éviter d’avoir la tête dans le guidon, il faut savoir réinventer les choses. J’ai attendu d’avoir de vraies inspirations, des références, que cela soit des artistes rap, ou pas d’ailleurs.

Et puis, j’ai évoqué l’idée en montant la dernière tournée. En échangeant autour de discussions, on a commencé à y penser, et puis Bourges voulait que je figure sur leur programmation. J’avais déjà fait le festival, et cette fois on a voulu y apparaitre de manière originale. C’est là qu’on m’a proposé le format acoustique. J’avais un peu peur car je pensais ne pas être prêt, mais on m’a bien encadré, en me donnant les moyens logistiques pour pouvoir le faire. A partir de là, on m’a présenté un violoncelliste et j’ai repris le pianiste de ma tournée. L’initiative de Bourges m’a fait mettre le pied à l’étrier, et Nantes à suivi. Plusieurs dates vont suivre d’ailleurs.

J’utilise ce prétexte pour faire des reprises particulières que je n’aurais pas fait dans le format habituel de mes concerts.

Oui, car là tu commences par deux dates uniques…

Oui. A la base, c’était vraiment une parenthèse récréative ; l’idée c’était de faire ce projet dans le courant de la tournée. Là ça arrive juste après la grosse de date de Pleyel à Paris ; le lendemain c’est Bourges et le surlendemain c’est Stéréolux… En faisant la création avec mon tourneur, et plus globalement avec ceux qui gravitent autour de moi, on s’est dit qu’on ne pouvait pas le balancer comme ça. Je prends vraiment du plaisir avec cette créa’, et je me sens décomplexé. J’attends de voir le rendu sur scène avec le public mais en tout cas, ce que l’on a mis en place, ça a une couleur que j’aime beaucoup.

Tu me parlais juste avant d’artistes qui t’avaient inspiré pour te lancer dans ce type de projet, qui donc ?

Il y a quelques temps, j’ai vu un live d’Alicia Keys sur La Blogothèque. Elle est au clavier, accompagnée d’un violoncelliste. C’est là que je me suis rendu compte que le « plus » n’est pas forcément l’ami du « mieux ». C’était très minimaliste mais c’était stylé. En fait, j’avais une appréhension : le format intimiste me plaisait et je me disais que j’avais envie de faire un truc là-dessus, mais je ne voulais pas que ça soit chiant. Je voulais que ça soit ‘shine’ mais pas que ça soit chiant ! Ce live d’Alicia Keys m’a beaucoup plu car c’est lumineux, les gens bougent ; alors bon c’est pas Saturday Night Fever hein, mais c’est bonne ambiance.

J’ai construit cette création dans ce sens là. On passe par plusieurs niveaux émotionnels. Je prends ce prétexte pour faire des reprises particulières que je n’aurais pas fait, surement pas même, dans le format habituel de mes concerts. Il y a des moments où c’est posé, des moments où on fait des mash-ups complètement improbables, des moments où on fait des créations, des récréations, des conneries aussi, car j’en profite pour roder mon stand-up !

C’est des choses que tu fais déjà sur tes concerts tu me diras…

Ouais, en concert j’aime bien faire ça c’est vrai, il suffit de voir « Niama Na Yo » ou « I like to Move it ». Mais dans la création acoustique, il y a des trucs plus barrés que ça encore, bien décalés ! On mélange des choses totalement improbables : des trucs de rap avec des éléments du répertoire classique. J’aime bien cette redistribution des rôles.

Cette idée de trio voix/piano/violoncelle ça vient donc d’Alicia Keys ?

Oui. C’est une chanteuse donc ce n’est pas vraiment la même approche mais elle m’a fait voir que cette formation pouvait être ‘lumineuse’. Après il y a eu d’autres inspirations, même si c’est loin de moi. Par exemple, les concerts de Marvin Gaye à Montreux, lorsqu’il part dans des registres plus minimalistes et qu’il donne le ton, il laisse vraiment le temps au jeu et aux musiciens de s’exprimer. Sur notre tournée traditionnelle, on envoie du bois, ça tape, mais je suis lié à la machine, même si il y a des musiciens, le tout reste une mécanique rodée. En acoustique, pendant plusieurs minutes, les gars sont dans l’instant et plus libres. Ils ne sont pas au métronome ; il y a une certaine liberté, ça accélère, ça ralentit, ça prend son temps, ça parle…

©lou.louve

J’étais allé voir Renaud en concert pour l’album Rouge Sang et il faisait une chose que j’aimais bien : il parlait de sa fille, et jouait toutes les chansons qu’il lui avait écrit dans l’ordre chronologique, de « Chanson pour Pierrot » où il l’imaginait, jusqu’à « En cloque », « Lola », « Morgane de toi », « Mistral Gagnant », « Elle a vu le loup » ou encore « Mon gendre ». Il le racontait à travers une histoire, tout ça en acoustique. Tu vois ce genre de choses, c’est difficile à mettre en place dans la configuration de mon show actuel.

Il y a une référence intéressante en acoustique, c’est le MTV Unplugged de Jay-Z…

Ah il est dingue ! Ah oui !

Est-ce qu’il t’as…

Si il m’a inspiré ? Oui, oui, OUI !

J’ai remarqué que les morceaux de ce MTV Unplugged sont des morceaux plus facilement adaptables au format acoustique, qu’en est-il des choix que tu as fait pour ta créa’ ?

C’est vrai que des morceaux comme « Polaroid Experience », et ce motif très Nina Simonien, s’y prêtent plus facilement. Mais il y a des choses comme « Niama Na Yo » qui sont totalement improbables… Je vais te le dire un peu en exclu’ mais on a travaillé sur un mash-up avec le Carmen de Bizet.

Ah oui, vous avez bien vrillé…

Complètement. On a fait beaucoup de mash-ups comme ça. On s’est demandé : « Qu’est ce qu’il y a de caillera dans le répertoire classique ? » Et tous mes morceaux délurés, à l’instrumentale synthétique, on les a pris et on a jeté l’instru’ ! Il y a deux-trois mash-ups dans ce style là.

Peux-tu me parler de tes deux comparses violoncelliste et pianiste avec toi sur ce projet ?

Emmanuel Sauvage est avec moi sur ma tournée traditionnelle depuis cinq-six ans, c’est mon keyboardist. C’est même un peu plus que ça c’est mon « programmateur », dans le sens du studio, celui qui programme les pistes et les transitions ou qui s’occupe de l’harmonie. Quand on est en live sur scène, le ‘tapis’ c’est lui qui l’a programmé, donc il est déjà un peu mon maestro !

Et Olivier Koundouno, je ne le connaissais pas du tout. À la base, je n’étais pas sûr de vouloir un violoncelliste, je pensais à un violon ou à une contrebasse, et en me renseignant, je me suis rendu compte que le violoncelle était le bon compromis. Je ne connaissais pas du tout son travail, je l’ai vu avec d’autres artistes pas du tout rap.

C’est un musicien de jazz ?

C’est un musicien de tout en fait ! Quand je l’ai débauché, il était sur un projet de musique latino. Il a fait des choses pour des pièces de théâtre, a bossé avec des slammeurs, il a aussi bossé avec des artistes comme Emily Loizeau. Il s’adapte très vite. Ce que je cherchais c’était quelqu’un capable de sortir de sa zone de confort, quelqu’un de souple ; pas souple dans le sens « à mon service », mais au service de notre création. Il a fait le conservatoire et a une formation classique.

Dans le spectacle on reprend des choses du classique, ce qui n’est pas mon répertoire habituel, donc moi je sors du mien. Je n’attends pas de lui un jeu digne de l’opéra Garnier. C’est un autre état d’esprit. Je veux qu’il s’amuse aussi, qu’il se réinvente, qu’il se bouscule ! Dans la création, on se moque un peu de la formation classique, mais aussi des rappeurs. Je veux pas que ça soit un truc ultra-sérieux, gravé dans la roche. C’est quelque chose qui bouge, qui est vivant.

Ce projet m’a permis d’être au plus près de la création.

As-tu créé des morceaux spécialement pour ce live ?

Il doit y en avoir un ou deux oui ; des morceaux qui existaient, mais jamais sortis, qu’on a un peu recréés pour l’occasion. Et puis il y a des morceaux que je ne joue plus sur ma tournée normale, mais qui sont sur la tournée acoustique. Là, on est en plein dans la tournée normale, et je me suis rendu compte que ce n’était pas du tout un report en acoustique, c’est une autre chose. C’est vraiment un autre mood, je ne m’habille et ne me coiffe même pas de la même manière !

As-tu été confronté à des difficultés pour réorchestrer certains de tes morceaux studios ?

Au début oui, parce qu’on veut que tous les éléments soient là. On se dit : « Oui mais si on fait ça on perd ça. » Donc il faut faire des choix et s’y tenir. J’avais vraiment peur de m’emmerder en me disant : « Whoa, ça va être creux ! » Et petit à petit, tu apprends vraiment à réinventer les choses. Ce qui est amusant c’est de réinventer. Si jamais c’est du ton sur ton : reprendre le morceau comme tel et cracher son texte, ça n’a pas grand intérêt. C’est devenu intéressant à partir du moment où il y a eu un lâcher-prise, lorsque l’on se connaissait assez et que l’on savait ce que l’autre avait à offrir. Par exemple, Olivier sait bien utiliser le sampleur et le looper, et il crée des nappes très étranges, nébuleuses. On a re-mélangé ça avec une référence des Rolling Stones.

Le live acoustique ne t’est pas si étranger, car en 2017 tu avais fait le Hip-Hop Symphonique d’Issam Krimi et de Camille Pépin…

Oui, c’était beau mais trop court, j’ai pris un pied énorme, ça se voit sur les images d’ailleurs. Après c’est allé vachement vite, il y avait plusieurs artistes et ce n’était que deux morceaux. Là en l’occurence, on avait pas beaucoup de marge, tout était écrit, on avait pas la possibilité de fouiller ou de mettre des phases, ce que je comprends vu le temps imparti. Donc c’était une grande chance de le faire. Malgré tout un peu frustré, parce que c’était que deux morceaux et la préparation était courte. J’aime beaucoup la phase de création, je l’apprécie même particulièrement.

Par contre quand il a fallu basculer dans une formation trio, j’ai eu un peu peur. Je me suis dit : « La dernière fois que j’ai fait un truc acoustique, on était genre neuf cent ! J’ai peur que ça fasse cheap. » Et en fait ce qui est bien c’est que ce projet m’a permis d’être au plus près de la création de base là où ça avait été bien plus opaque avec un orchestre. Dans mon trio, je peux ajuster, revenir dessus, etc. Si jamais ce projet tourne bien, j’aimerais bien l’écrire pour un orchestre un peu plus grand. Ça me botterait bien ! Mais si ça se fait, j’aimerais être concerné par la création en amont.

La dernière fois que j’ai fait un truc acoustique, on était genre neuf cent !

Avant toi, il y a eu Oxmo, Kery entres autres… Ce fantasme de l’acoustique pour les rappeurs, d’où cela vient d’après toi ? D’une lassitude du format habituel ou d’un besoin de création ?

Je pense qu’il y a eu une génération qui a fait basculer les choses, un peu, peut-être, par complexe : « Mais t’as vu, ils ont juste des platines, ce sont juste des pousseurs de disques. »

Pour moi en fait, je ne sais pas si c’était un complexe, mais il y a six-sept ans je voulais vraiment monter d’un niveau, et je me suis rendu compte que je ne savais pas vraiment choisir mes musiciens. Au bout de quelques mois de travail avec eux, je me suis rendu compte qu’ils n’étaient pas bons, et je ne m’étais pas vraiment inquiété de ça. Ça ne rendait pas hommage à la musique. Il faut que le musicien soit au service du peu-ra, de mon peu-ra. Donc j’ai re-travaillé, j’ai mieux casté mes musiciens, et aujourd’hui je connais les gens avec qui je travaille. Je n’ai pas besoin qu’ils arrivent en baggy avec une casquette des Utah Jazz, hein ! Ils faut qu’ils aient de la sensibilité et qu’on parle avec les mêmes mots et les mêmes références.

J’avais peur de l’interprétation, la vraie, celle où on lâche les émotions, (…) peut être que c’était un manque de sincérité, parce que finalement beaucoup de mes textes s’y prêtaient.

A quand le projet acoustique avec tes gars de La Ligue d’ailleurs ?

Ah ! J’aimerais beaucoup. Kery James est un habitué de l’exercice. Je suis déjà venu en guest sur ses spectacles, c’était très bien, mais c’est un registre plus grave. Il a une gravité naturelle que moi je n’arrive pas à tenir plus de cinq minutes ! Le morceau d’après, il faut que je fasse une connerie. J’ai beaucoup évolué et je sais que c’est beaucoup mieux maintenant, mais pour moi Kery ça reste encore un palier au dessus.

Avant, j’avais peur de l’interprétation, la vraie, celle où on lâche les émotions, où on accepte le trop-plein de ses émotions. J’avais cette sorte de pudeur, de fausse timidité assez mal placée… Non, en fait ce n’était pas de la pudeur, peut être que c’était un manque de sincérité, parce que finalement beaucoup de mes textes s’y prêtaient. Quelqu’un comme Kery, qui ne parle pas beaucoup dans la vraie vie, quand je le vois sur scène et sur certains morceaux, je partage le poids de l’émotion avec lui. Je trouve ça grand. Et ça, il me l’a inspiré : d’abord pour ma tournée traditionnelle, mais aussi en acoustique où j’accepte plus cette part émotionnelle forte.

Et pour Médine, il est un peu à la ramasse lui. C’est le roi de la trap, donc faut que je le forme ! (rires) Il est devenu plus congolais que moi !

Est-ce que ce projet te donne envie d’injecter plus d’acoustique dans tes concerts ?

Ouais. C’est marrant parce que Olivier, lui ce qui lui a donné envie de faire de la musique classique, c’est qu’il accompagnait sa grand-mère férue de classique à la salle Pleyel pour aller voir des concerts. Mais il n’y a jamais joué. Et pour la date à Pleyel là, je l’ai invité. En tout cas, je trouve ça hyper classe quand je fais mon gros show, avec mes basses traps et mon gros peu-ra, de venir poser tout ça avec un violoncelle.

Tu sors à l’instant d’un show au Festival Chorus. Comment vis-tu la différence entre concert en salle et concert en festival ?

Cette question tombe bien, car elle est d’actualité. On est en plein milieu de la tournée et on a un set de deux heures qui est bien rodé. Aujourd’hui c’était notre premier festival. Ça s’est bien passé, mais on avait une appréhension car on a une certaine mécanique de show bien huilée et là on avait qu’une heure. Donc aujourd’hui c’était un peu le grand bluff, on a fait des transitions qui n’existaient pas ; on a fait une heure pile, et les gens ont kiffé ! Une heure ! Si tu savais le nombre de morceaux qu’on a jeté, genre vingt minutes avant de monter sur scène…

Live @ Chorus Festival 2019 | lou.louve

Comment choisis-tu dans ce cas ?

La star c’est toujours le show en général. Après c’est aussi avoir un morceau qui va dans la direction que l’on veut donner au show. Si je fais « A Cause de Moi », je ne vais pas faire « Les Disques de mon Père », si je fais « Niama Na Yo », je vais pas faire « Mannschaft » tu vois. J’essaie de faire des morceaux du dernier album, car il y a des gens qui viennent aussi pour ça. L’important c’est de savoir par où tu commences, où tu sors et par quoi tu passes.

Des noms de guests à balancer en exclu pour ce projet ou c’est total surprise ?

Si je te le disais, je serais obligé de te tuer juste après, ça marche comme ça (rires). Non mais je réserve ma petite surprise…


Entretien réalisé avec Benjamin Boyer à l’occasion du Festival Chorus. Article réalisé grâce au soutien de Stéréolux.

Le Youssoupha Acoustique Experience sera présenté à Stéréolux à Nantes le 20 Avril et au Printemps de Bourges le 19 Avril. Et le vendredi 10 mai en version full band !

Antonin Lacoste

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