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Youri, le Tsar de la Trap se confie

C’est sous un soleil de plomb et une atmosphère étouffante que nous retrouvons Youri dans le cadre luxuriant du Jardin des Plantes, où il a ses habitudes. La tranquillité naturelle qu’affiche le rappeur « Russe comme Poutine, Grec comme Léonidas  » dénote immédiatement de l’irrévérence et de la fougue qui parcourent ses textes. Au-delà des apparences, Youri développe un regard lucide sur lui-même et le monde qui l’entoure sans oublier l’autodérision qu’il affectionne. Pour BACKPACKERZ, il revient sur le début de son parcours dans le rap jeu, entre abnégation et émancipation.

BACKPACKERZ : Depuis 2017, tu as déjà sorti quatre projets (2 EPs et 2 mixtapes) et là, tu sors la dernière partie de ta trilogie Tsar Trap : quel regard portes-tu sur ce que tu as accompli pendant ces deux années intensives ?

Youri : Dans un sens je suis fier de tout ce qu’on a accompli avec mes potes. On a fait pas mal de choses entre les mixtapes, les clips et les concerts. On a accompli pas mal de choses. Maintenant, je suis fier mais il y a un côté de moi qui a encore faim et qui trouve que ce n’est pas assez.

Qu’est-ce que représente la trilogie Tsar Trap pour toi ? Est-ce qu’il y’a une empreinte particulière sur ces projets-là ?

J’ai plus d’affection pour ces 3 projets en fait. C’est à travers ces mixtapes que j’ai réussi à bien créer mon identité, à développer des sons variés, changer un peu de style sur chaque morceau dans une même tape. Et franchement, dans le troisième volume je réussis à faire ça encore mieux.

Je me livre beaucoup plus et au final j’en suis fier.

C’était une vraie nécessité pour toi d’être aussi productif ? Un moyen pour qu’on sache que tu existes dans le paysage du rap français ?

Au moment où on a commencé à sortir les premiers clips, on savait de toute façon qu’il fallait réaliser les suivants pour avoir de la matière, être productif et pouvoir enchaîner rapidement, parce qu’aujourd’hui il y a tellement d’acteurs dans le rap. Et puis, dans mon équipe on a le goût pour la musique et pour la vidéo donc on avait cette faim de travailler des délires différents, passer à autre chose, revenir à ce délire pour le retravailler. On a sorti entre 20 et 30 clips en 2 ans, ça j’en suis bien fier. On a pu toucher des esthétiques différentes. Dernièrement, on a bossé avec TBMA, c’est la boîte qui produit les projets de Laylow et Wit. Ce sont de très gros réalisateurs et je suis très fier d’avoir travaillé avec eux.

Depuis le début de l’entretien, tu parles beaucoup de l’équipe qui t’accompagnes, est-ce que tu peux m’en dire plus sur Citizen Ken ? Comment est-ce que c’est né ? 

De base on est potes avant de travailler ensemble. On a toujours eu ce goût du son et de la vidéo. On avait une autre structure à l’ancienne quand on était ado, un truc un peu moins soigné avec d’autres potes. Au final, on a refait Citizen Ken après que la première structure ait éclatée avec les potes les plus solides. Voilà, on a enchaîné, ils grossissent petit à petit à côté de mes projets. Ils ont signé Zidi, ça devient une vraie boîte. À côté de ça ils réalisent beaucoup de clips pour tout le rap français (le clip de « Notting Hill » de DJ Elite et Doums, c’est eux, ndlr).

@ Raphael Muckensturm

En quoi Tsar Trap 3 est-il différent des deux premiers volumes selon toi ?  Quelle est l’évolution la plus notable ?

La première différence c’est qu’il est beaucoup plus personnel, je suis allé plus loin quand j’aborde des sujets un peu touchy, genre des sujets dont je peut avoir honte je suis allé plus loin, je me suis lâché. Je me livre beaucoup plus et au final j’en suis fier. Au début, tu ne sais pas trop si ton truc plait, je n’avais pas toujours la confiance donc inconsciemment tu te mets des barrières. Même si je suis dans le trash, dans les propos un peu cinglants, tu te mets quand même des barrières quand tu n’as pas la confiance. Et là petit à petit, je gagne en confiance, je me permets beaucoup plus de choses.

En décembre dernier tu as sorti Tsar Bomba avec DJ Weedim. Tu peux me raconter comment s’est faite cette collaboration et de quelle manière vous avez bossé ensemble ?

Quand j’ai fini d’enregistrer Tsar Trap vol.2, j’ai contacté Weedim via les réseaux pour des prods, parce que je considérais que j’avais encore jamais eu des prods turn up vraiment de qualité. J’adorais ce qu’il faisait, du coup je l’ai contacté, il a été très réceptif. Direct, il m’a invité à passer dans son studio pour faire un morceau. On a fait un morceau puis deux et on a décidé de faire un projet, c’est allé archi vite. On a fait le projet en 4 mois et ça s’est bien passé, je le kiffe ! En ce moment on ne fait pas trop de son ensemble, on s’est un peu écarté au niveau du business mais je suis très content de cette collaboration.

Pour revenir sur l’aspect turn up de ta musique, je trouve qu’une grande partie de tes morceaux sont taillés pour la scène, est-ce que c’est dans cette optique précise que tu les conçois ?

Dans un sens je ne suis pas d’accord avec toi parce qu’il y a des morceaux que je refuse de jouer en live, les morceaux un peu plus mélodieux en fait. « Enfant » par exemple. Du coup ça m’arrive de faire des remixes, de prendre une prod un peu plus turn up, prendre le texte et de faire le remix sur scène. Mais là, plus j’avance et plus je me dis qu’il faudrait que j’arrive à faire ces sons mélodieux sur scène pour obtenir un meilleur équilibre. Par contre « Partir » j’adore le faire, je fais la vraie version à chaque concert mais c’est le seul. Je trouve qu’il y a quelque chose de vraiment entraînant, tandis que les autres sont tellement cloud que j’ai peur d’endormir les gens et de m’endormir moi-même.

À quoi ressemble ton processus créatif  ?

Je suis complètement dépendant de la prod. J’écris bien si la prod me plait, si elle m’ambiance, si elle m’inspire en fait. C’est le mood de la prod qui va limite me donner le thème, s’il est triste ou joyeux ou même si j’ai envie de faire un contraste, c’est vraiment la prod qui m’influence de base. Sans la prod et de bons beatmakers, je suis un rappeur tout pété. Généralement, Asot.One et DaRealright (ses producteurs habituels, ndlr) me font écouter des prods dans leur espace de travail ou bien ils m’envoient des packs, et c’est la manière dont je préfère taffer.

© Raphael Muckensturm

Je reçois le pack chez moi à la maison et quand je me réveille le matin, j’ouvre la prod avec mon p’tit dej et je commence à écrire. Le matin, tu te réveilles un peu avec la tête en vrac, il y a des trucs qui sortent tout seul donc c’est plutôt le matin que je préfère écrire. Je ne suis pas un rappeur qui va au studio et qui écrit direct avant de passer en cabine, j’aime bien avoir ma tranquillité. J’écris généralement tout seul, je n’aime pas écrire à côté de quelqu’un d’autre. J’aime être tout seul, pouvoir répéter mon truc comme un abruti.

Il y a 100, 200 artistes qui ont dû m’inspirer tout au long de l’année

Niveau production, tes projets jusqu’à présent sont très ancrés dans une ambiance trap sombre et assez brutale, est-ce qu’à l’avenir tu as envie de t’essayer à d’autres styles, d’expérimenter ?

Ouai carrément ! Je trouve que sur ce projet, Tsar Trap vol.3, on a bien réussi à aller un peu plus loin sur certains morceaux. Des morceaux comme « Ta gueule », « Ça va finir » ou « Hymen » sont des morceaux qui s’éloignent de ce côté turn up et même des trucs mélodieux qu’on faisait avant, c’est un peu différent.

Quels sont les rappeurs, les artistes qui t’ont inspirés pour cette nouvelle mixtape ?

Tout ce que je regarde, tout ce que j’écoute m’inspire comme tout le monde. Mon cerveau est une éponge. Là je ne pourrais pas te dire… Il y a 5 ou 10 artistes qui m’ont inspirés pour faire cette tape. Et 100, 200 artistes ont dû m’inspirer tout au long de l’année. Tout ce que j’écoute, tous les cainris, certains français…

Justement, qu’est ce que tu écoutes en ce moment ?

Je suis revenu un peu sur Smokepurpp, j’écoute Trippie Redd, Gunna, toute la nouvelle scène d’Atlanta mais pas seulement. Je me suis pris la nouvelle tape de ScHoolboy Q, il y a quelques morceaux sur lesquels je me suis dit qu’il est resté jeune, ça fait plaisir. J’étais content de voir qu’il était encore là et qu’il restait actuel. Donc tu vois dès qu’il y a des trucs qui sortent et qui me plaisent, je les écoute.

Tu as beaucoup écouté de rap étant plus jeune ou c’est quelque chose qui est plutôt venu sur le tard ?

Quand j’étais plus jeune, j’ai mangé un peu de rap mais j’ai écouté toute sorte de musique aussi, beaucoup de rock, beaucoup de techno, et après je suis revenu au rap. Vers l’adolescence, j’ai commencé à improviser bourré en soirée, on a commencé à aller en studio petit à petit pour enregistrer les premiers morceaux sur du boom-bap et après on s’est mis à travailler sur de la trap.

Sur ton dernier single « Drogue », tu débutes un couplet en disant : « J’prends la confiance je me sens tellement vivant » et tu le conclues par : « Papa, maman, pourquoi vous m’avez fait ? Elles sont bres-som mes idées l’soir », cette cohabitation entre egotrip et des phases beaucoup plus vulnérables voire carrément pessimistes, c’est quelque chose qui représente bien ta musique ?

En vrai, l’egotrip, même l’humour en général dans la vie, ça peut être une arme pour se défendre de ses souffrances et les cacher, donc je trouve que ça va bien ensemble. Tu sais, les gens qui font tout le temps des blagues sont des gens très tristes au fond, je pense. Je ris beaucoup de moi-même dans la vie, dans mon groupe de potes on a beaucoup d’autodérision. Depuis tout petit on s’est habitué à ça.

L’hiver dernier, tu as fait la première partie de Lomepal à l’Olympia avant de l’accompagner pour sa tournée au Québec, il t’a même invité pour son Planète Rap sur Skyrock. Comment as-tu vécu ces expériences et quelle est ta relation avec Lomepal ?

J’ai fait sensation au planète rap (rires). Lomepal, c’est avant tout un rappeur que je regardais quand j’étais ado dès qu’il a commencé à sortir des freestyles, j’aimais beaucoup, je l’ai beaucoup écouté. Dernièrement, je l’ai moins écouté, j’étais plus focus sur les cainris, la trap donc forcément je n’étais pas trop concentré sur lui. L’été dernier, il a partagé un de mes sons en story, ça m’a fait plaisir et puis après il m’a fait participé à son Olympia en première partie, ça m’a un peu foutu la pression. Faire un Olympia au bout d’un an de scène, on était super fier ! Il m’a donné beaucoup de force cette année, il m’a fait confiance parce c’était sur des grosses scènes, donc je respecte de ouf, je suis super content ! Après ce n’est pas un mec que je connais beaucoup, que je côtoie, je n’ai pas encore eu l’occasion de vraiment discuter, de me poser avec lui.

Pour finir, tu as annoncé dernièrement vouloir faire une pause après la sortie de Tsar Trap vol.3, tu sais déjà ce que tu nous réserves pour la suite ou tu vas d’abord prendre du temps pour toi et y réfléchir ? Un premier album peut-être ?

L’album, ce ne sera pas pour tout de suite mais une mixtape plus élaborée, encore plus complète, oui. Je sais qu’après Tsar Trap vol.3 ça va être chaud de faire ça, donc je vais prendre le temps de bien le faire, bien le réfléchir.

Selon toi, c’est quoi l’élément manquant pour te lancer dans la conception du premier album ?

Trouver l’équipe adéquate. Pour l’instant, avec Citizen Ken on est bien, on a une très bonne équipe mais je sais qu’on a besoin de force supplémentaire, et pour ça il faut trouver la team idéale. La boîte s’est montée il y a deux ans, c’est archi récent, tout le monde apprend sur le tas donc je pense que ce serait bien de faire une pause pour digérer tout ça. Même au niveau de l’inspiration, j’ai besoin de sortir de chez moi, je ne sors pas beaucoup pour travailler mes sons et j’essaie de m’écarter un peu de mes vices pour avoir la forme de faire les choses bien. Là, j’ai justement besoin de sortir, de voyager un peu pour me remettre les idées à jour. Je me mettrai à bosser sur l’album après le sixième projet je pense, j’ai envie d’être assez mature. Pour moi un album c’est un grand nom, non seulement j’ai envie d’être bien installé mais dans la tête j’ai envie d’avoir la maturité, d’avoir toutes mes capacités. Pour l’instant, je ne suis pas encore à 100%.

Youri – Tsar Trap, Vol. 3

Merci à Raphaël Muckensturm pour avoir organisé cet entretien et pour les portraits.

Simãozinho

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