Confortablement assis au fond d’une salle de cinéma, où monsieur Kanye West a donné rendez-vous à ses fans et aux curieux du phénomène en ce 11 février, on attend sagement la grand messe Yeezy Season 3. Le concept est à la fois simple et complexe : l’artiste doit présenter en avant-première son nouvel album The Life of Pablo, dont le nom a déjà changé un nombre incalculable de fois au cours des derniers jours, ainsi que la dernière collection de sa ligne de vêtements, le tout lors d’une immense soirée organisée au Madison Square Garden, et retransmise en direct sur la plateforme Tidal et dans les cinémas du monde entier.
Tous scotchés devant le grand écran, personne ne sait réellement à quoi s’attendre. Une seule chose est sûre, avec Kanye, il va forcément y avoir du spectacle. Mais en fait…non ! C’est littéralement à un non-spectacle que l’on assiste bouche-bée. Kanye entre sur scène par les backstages, sweat à manches longues floqué « I Feel Like Pablo » et casquette normcore vissée sur la tête, uniquement pour dire quelques mots au micro. Il salue d’abord le public et ses vrais amis –how many of these?–, puis branche grossièrement un PC époque Windows Vista pour diffuser les premières chansons de son nouvel opus The Life Of Pablo. Suspense, l’immense bâche de soie qui recouvre la scène se lève, et laisse apparaître une flopée de mannequins, tous vêtus de Season 3 et entassés pèle-mêle comme les figurants du clip « Borders » de M.I.A. sur leur bateau.
Au fil des chansons, les mannequins se lèvent, s’asseyent, prennent la pause, et vont jusqu’à esquisser un poing levé ou un doigt d’honneur insignifiants. Entre chaque morceau, Yeezy interrompt la musique pour reprendre le micro, embrasse ses potes zicos –Travis $cott, Pusha T ou encore Vic Mensa– à qui il laisse même brancher leurs téléphones pour passer du son, et rend hommage à son épouse pot-de-peinture, dont l’accoutrement imite ce soir le style de Cruela Denfer. Les chansons sont coupées brutalement, entre horribles larsens et différences de volume intolérables. Un DJ set cauchemardesque, qui évoque peu ou prou une pendaison de crémaillère bien arrosée, dans laquelle tes pires potes mélomanes en herbe se battraient pour passer leur tube du moment.
50 Cent (en bas à gauche) s’est bien fait chier
Comment qualifier cette soirée ? Grotesque et risible, évidemment. Décevante, certainement. Pitoyable, peut-être. Mais quelque part, intéressante. Pas une performance, une expérience. Un spectacle non identifié, qui laisse pour le moins perplexe. À l’image de cet extrait de séquence cinématique d’un jeu vidéo intitulé Only One, où la mère de Kanye déploie ses ailes d’ange et vole à travers les cieux rejoindre la lumière divine. Apparemment, les studios de San Francisco n’en ont pas voulu… Pauvre Kanye : après Nike et la mode, Ubisoft et les jeux vidéo. Notre héros à décidément de quoi se plaindre !
Face à ce simulacre, nos émotions sont partagées. S’il est vrai que l’on est sortis de la salle avant la fin, on ne regrette pas non plus d’être venus. Mis à part le fait que faire payer son public dix-sept euros pour un show d’une telle pauvreté de contenu reste un joli foutage de gueule… Dans le métro, on entame le classique débat sur la beauté dans l’art et le rôle de l’artiste, on salue le musicien pour son génie passé sans pouvoir s’empêcher de craindre pour sa santé mentale, on se demande s’il est encore capable de repousser les limites de son art, et surtout si ce pied-de-nez n’est pas tout simplement un aveu de faiblesse.
Au fond, la soirée à laquelle on vient d’assister n’est ni un ciné, ni un concert de rap, ni même un défilé de mode. C’est un mélange de tout ça, un show fait de bric et de broc qui entrechoque maladroitement les différentes aspirations de l’artiste. Un événement que le pseudo-journaliste intello que je suis peut facilement interpréter comme un reflet poignant de notre époque, disruptive et incohérente, où la musique est si souvent malmenée. Quoi qu’on en dise, l’important, c’est qu’on en parle. Car si la folie kanyesienne a peut-être fini par atteindre son hémisphère le plus créatif, l’homme reste plus que jamais un as du marketing. S’il y a une discipline qu’il maîtrise aujourd’hui, c’est bien celle de faire parler de lui, peu importe le fond. Et ce n’est pas sa belle qui contredira l’importance qu’occupe l’omniprésence médiatique dans le succès populaire des idoles d’aujourd’hui.
À l’opposé d’un Kendrick Lamar, qui pousse son art à l’extrême pour le sublimer, Kanye West fait ici le choix –où plutôt le non-choix, mais est-ce encore un choix ? I’m fucking with you now– de ne pas performer. Devant un tel constat, peut-on encore parler de performance artistique, et quelle valeur doit-on lui attribuer ? Yeezus soit loué, l’interminable débat est loin d’être clos, et chez les B-boys comme chez les tweetos, la masturbation intellectuelle peut continuer encore longtemps. Finalement, bon buzz ou mauvais buzz, qu’importe pour la star, dont le terrain de jeu dépasse désormais largement la sphère musicale. L’objectif premier, à savoir la promotion son l’oeuvre et de sa ligne de textile au travers de la « marque » Kanye West, est rempli.
[Update] Vous pouvez désormais écouter le nouvel album de Kanye West en streaming sur Tidal.
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"Suspense, l’immense bâche de soie qui recouvre la scène se lève, et laisse apparaître une flopée de mannequins, tous vêtus de Season 3 et entassés pèle-mêle comme les figurants du clip « Borders » de M.I.A. sur leur bateau"
Renseignez-vous un minimum avant de publier de tels articles... La mise en scène est un hommage au génocide Rwandais...
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