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Wiki : « Je couche mes souvenirs sur papier pour avancer dans la vie”

BACKPACKERZ : Tu as toujours été très attaché à ta ville, New York. Où en es-tu quant à ta relation avec cette ville ? A-t-elle changé au fil des années ?  

Wiki : Comme j’ai grandi dans cette ville, j’en ai toujours été fier. D’ailleurs, qu’importe d’où tu viens, tu te dois d’avoir une certaine fierté. Puis New-York dispose de cette fameuse réputation. Lorsque j’étais jeune, je me fichais pas mal des autres villes, seul New-York comptait. Mais lorsque tu as l’opportunité de voyager, que tu te rends compte de l’immensité du monde, de tous ces lieux, tu relativises. Cependant, elle restera celle qui m’a créée une identité. 

A l’époque où tu étais sous XL recordings, tu as pu participer au projet Everything is recorded de Richard Russell qui réunissait de nombreux membres du label. Malgré cela, tu ne te sentais pas toujours à ta place, pourquoi ?

J’ai toujours eu plaisir à passer du temps parmi toute l’équipe d’XL. Mais en travaillant avec ces artistes de façon très planifiée, cela perdait de sa spontanéité. Richard Russell pouvait avoir n’importe qui sur le disque, il y avait un certains procédé lors des sessions studios. Peut-être aussi que j’étais un peu plus timide. Puis je ne voulais pas devenir le rappeur qui posait sur chacun des morceaux des projets du label. J’ai tissé de très bon lien au sein du label mais après toutes ces années, il était temps pour moi de prendre une nouvelle direction. Finalement, je me plais plus dans un environnement plus « naturel ».

Maintenant que tu as créé ton propre label, Wikset Empire, comment penses-tu l’orienter dans l’avenir ?

Pour l’instant, je me concentre sur ce que le label peut m’apporter dans ma carrière personnel mais j’ai clairement envie de faire évoluer Wikset en travaillant avec de nouvelles personnes. Pour le moment, j’apprends déjà à me connaître pour ensuite produire d’autres artistes. Ensuite je devrais moi-même apprendre à connaître ces artistes. Je ne veux pas avoir de regret lorsque je signerai quelqu’un.

Est-il plus difficile de mettre en place des projets ou des événements maintenant que tu n’es plus accompagné par une grosse structure comme XL ?

Il y a des points plus difficiles qu’auparavant et d’autres qui sont devenus beaucoup plus simple. Avec XL, même s’il me laissait beaucoup de liberté sur le plan créatif, ils avaient une opinion sur quelle direction je devrais prendre. Puis ils m’aidaient pas mal sur plein de petits détails qu’un artiste doit gérer. C’est vrai que maintenant je dois faire plus attention à ne pas oublier certains paramètre. Cela me permet de mieux choisir la façon dont j’ai envie de diriger. Donc pour l’instant je me sens très bien en indépendant.

Ces dernières années, on t’a vu voyager dans le monde entier : au Japon, en Italie ou en Belgique. Dans la mixtape Lil Me, tu exploitais l’expérience que cela t’avait apporté. Est-ce que tu as continué à avoir cette démarche sur OOFIE ?  

Avec Lil Me, j’avais fait des sessions studios un peu partout, notamment à Londres. Alors que OOFIE, a lui été fait exclusivement à New-York, avec un cercle d’ami que je connaissais bien. Mais lors des tournées autour du monde, je m’imprègne en permanence de la culture locale, des rencontres ou même la nourriture. Pour les projets à venir, je pense que cet aspect international sera plus perceptible.

En 2017 tu as sorti No Mountain in Manhattan, qui présentait un concept autour de ta ville alors que OOFIE semble plus spontané. Qu’elle est la différence entre ces deux projets dans le processus de création ?

No Mountains in Manhattan est en effet un concept qui se déroule tout au long de l’album et se concentre sur moi et Manhattan. Pour OOFIE, je ne suis pas une ligne directrice du début à la fin. C’est un album plus personnel qui aborde une variété de sujets intimes. J’y pose un regard sur le passé, sur ces dix dernières années pour ensuite réfléchir à la manière d’aller de l’avant.

A propos du titre : OOFIE. Peux-tu nous expliquer d’où il vient ?

Tu ne trouveras pas la signification (rires). C’est un terme que j’emploie régulièrement. C’est une façon de dire « damn ». OOFIE traduit une réaction lorsqu’un événement se passe devant tes yeux. Il peut être aussi bien positif que négatif, que ce soit une personne qui tombe dans la rue ou bien que quelque chose de super cool vient d’arriver. D’ailleurs, de plus en plus de mes potes utilisent ce mot. 

D’une certaines façon, c’est cohérent avec l’album.

Exactement, je voulais que le titre soit mystérieux et que les auditeurs se demandent d’où est-ce qu’il provenait. Je suppose que cela à plutôt bien fonctionné.

Concernant la pochette, tu fais attention à toujours avoir quelque chose de travaillé et d’original. Pour OOFIE, il y a une sorte de personnage aux traits inexacts. Comment as-tu travaillé celle-ci ?

La pochette de OOFIE, je l’ai faite moi-même lorsque j’étais encore au lycée. En faite, le personnage est quelque peu abstrait. C’est une sorte de héro qui est en pleine chute. Il remet en doute son statut. Cela reflète mes propos dans l’album. Tout le monde me demandait ce que le dessin représentait mais finalement c’est assez libre d’interprétation.

Depuis No Mountains in Manhattan, on retrouve Alex Epton à la production. Il est aussi présent dans OOFIE sur la plupart de la tracklist. Comment l’as-tu rencontré et quelle est votre relation ?

Alex Epton, je le connais depuis des années, quand je faisais encore de la musique avec mon groupe Ratking. Il m’a aussi beaucoup aidé pour la mixtape Lil Me et j’allais régulièrement à son studio. Puis comme il travaillait pour XL Recording, la connexion s’est renforcée pour les albums suivants. Comme il est ingénieur et producteur à la fois, il retouche toujours chacune des productions, même si ce n’était pas lui qui les avait faite à la base. Puis lorsque j’ai une idée, il m’aide pour qu’elle prenne forme musicalement parlant.

Sur le titre « The Act », la production est faite par Slauson Malon. Il a sorti un album l’année dernière qui était quelque peu expérimental, avec beaucoup de texture et une atmosphère psychédélique. Comment as-tu travaillé avec un producteur aussi « instable » dans ses sonorités ?

Slauson Malon est aussi un gars que je connais depuis un bon bout de temps. On a pris le temps de se voir en studio et de travailler le morceau ensemble. Il collabore déjà avec des mecs de New-York comme le collectif [sLUms]. donc tout c’est fait assez naturellement. Moi, je recherchais quelque chose d’assez expérimental et d’organique car lorsque « The Act » arrive au milieu du disque, c’est le dernier morceau qui conclut la partie plus « sombre » de OOFIE avant que cela devienne plus lumineux.

Dans « 4 Clove Club », tu dis « I got signed before graduate ». Est-ce quelque chose que tu regrettes, que le succès soit peut-être arrivé trop tôt avec Ratking ?

De nombreuses personnes me questionnent sur les regrets que je pourrais avoir. Mais il n’y en a pas vraiment, c’est la façon dont ma vie s’est déroulée. J’aurai aussi pu ne jamais être signé, jamais n’avoir de carrière qui décolle ou encore ne jamais pouvoir rencontrer la scène anglaise par exemple. Si je commence à regretter tout ça, je n’avancerai pas dans la vie. De plus, travailler avec Ratking m’a appris beaucoup de choses pour mieux aborder ma carrière solo. Donc il n’y a définitivement aucun regret.

Il est assez étonnant de retrouver Denzel Curry et Lil Ugly Mane sur le titre « Grim » qui ont des styles très différents de toi. Comment c’est fait cette collaboration ?

Que ce soit Denzel ou Lil Ugly Mane, je les connais depuis un moment notamment grâce aux concerts qu’on a pu faire ensemble. Concernant Denzel Curry, il a clairement explosé ces dernières années mais cela ne l’empêche pas de collaborer avec d’autres rappeurs peut-être moins connus. Le truc c’est qu’il est évidemment très occupé et c’est assez compliqué pour se rencontrer. Pour Ugly, il m’a appelé et m’a dit de venir en studio et ça c’est fait naturellement.

D’ailleurs, « Grim » est un morceau très personnel sur des thématiques comme la mort ou l’anxiété que cela peut entraîner. Est-ce qu’en exprimant ces pensées, cela t’a permis de relativiser ?

Carrément, c’est même un processus que j’effectue pour beaucoup de mes morceaux. Cela me permet d’exprimer tous ces sujets importants et délicats et de savoir comment je me sens vis-à-vis de cela. Puis, lorsque tu reviens dans le monde « réel », tu es plus positif. Tu ne dois pas intérioriser ces mauvaises pensées sinon un jour ça va exploser.

Tu declares “How should I act today ? What do I have to say ?” dans “The Act”.  Tu représentes cette jeunesse un peu folle de New-York. Personnellement, j’imagine un mode de vie semblable à celui dans le film Kids de Larry Clarke. Penses-tu avoir un poids sur tes épaules quant au message que tu véhicules à la jeunesse ?

Je n’ai jamais voulu me censurer dans mon art. Pour autant, quand tu es un artiste avec de la notoriété et que tu influences des jeunes qui parfois ne prennent pas de recul face à tes propos, il faut faire attention. Je suis conscient que des gens puissent interpréter mes paroles de la mauvaise façon lorsque je garde un argot assez brut. J’essaye de trouver un équilibre. Par exemple, je peux dire « bitches » dans un sens plus festif, pour autant j’aime explorer la facette opposée en mettant une fille sur un piédestal comme sur « Pandora Box ».

Tu as toujours revendiqué fièrement tes deux origines : irlandaise et portoricaine. Il y a quelques années de cela tu as même créé un drapeau réunissant les deux couleurs des pays. A l’heure actuelle, te sens-tu toujours aussi connecté entre ces deux cultures tout en ajoutant New-York à l’équation ?

En faisant ce drapeau, l’idée était de réunir ces deux origines car je ne suis ni totalement portoricain ni totalement irlandais. Du coup, je reste connecté à ces deux cultures tout en montrant que je viens de New-York. D’ailleurs, New-York est un endroit idéal où ces deux ethnies se rencontrent et cohabitent. Du coup, ce drapeau traduit à la fois à quel point je suis connecté et déconnecté de ces lieux. Puis il y a aussi de la fierté dans ce drapeau, maintenant c’est devenu un symbole pour moi.

Dans ta musique, que ce soit avec Ratking ou en solo, tu as toujours mis un point d’honneur sur le placement des batteries souvent inattendues dans tes morceaux. C’est la même chose pour leurs sonorités. L’exemple de « Pesto » le montre bien. Comment travailles-tu cet aspect de ta musique ?

Sur le plan de la production, je fais attention de bien choisir les instrumentales. J’aime mélanger deux genres sur une même production pour que ça sonne inhabituel. Par exemple, mixer des batteries de Boombap avec de la Trap, ce genre de chose. Je veux que les auditeurs trouvent cela unique, qu’ils ne l’aient pas entendu ailleurs. Pour « Pesto », beaucoup de personne était étonnée du travail qu’avait fourni mon producteur Tony Seltzer.

Dans le titre « Back then », tu exprimes le sentiment de la nostalgie, sur ce temps où l’on était jeune et que rien n’avait d’importance. Pour beaucoup de personne, il est difficile de s’extirper de ces souvenirs. Comment est-ce que toi tu le vis ?

Il est inévitable de penser et repenser à cette époque où j’étais adolescent et insouciant. Mais OOFIE est en quelque sorte un album qui m’a permis de m’extirper de ce passé : de coucher ces souvenirs sur papier pour continuer d’avancer dans la vie et être plus positif vis-à-vis à de l’avenir. Mais c’était aussi une époque où l’on avait pleins de rêves et maintenant ils se sont réalisés. J’ai aussi acquis des connaissances, compris les fautes que j’ai pu commettre auparavant. A présent, la question est de savoir comment devenir une meilleure personne à travers tout ça.

Tu as toujours beaucoup collaboré avec la scène UK avec des artistes comme King Krule sur « So Sick Stories » ou sur le remix de « That’s Not Me » de Skepta. De plus, Sporting Life, le producteur de ton groupe Ratking, était influencé par cette scène. Penses-tu continuer à te connecter avec des artistes du pays ?

Evidemment, j’ai toujours eu de bonne connexion là-bas et tout ce faisait naturellement. J’ai même eu la chance de faire un concert à Londres la semaine dernière et voir quelques potes. En ce moment, il y a des chances que je travaille avec Lord Apex notamment. Et puis j’ai toujours voulu être en studio avec le producteur Faze Miyake. J’ai encore tellement de chose à faire en Angleterre, c’est un peu ma seconde maison.

Durant une interview avec le magazine Fader, tu parles de l’auteur Patrick Radden Keefe et son livre « Say Nothing » qui raconte l’histoire des « Troubles » en Irlande. Tu dois être assez concerné par les problématiques frontalières de la République Irlandaise et l’Irlande du Nord. Comment abordes-tu la question du Brexit ?

C’est un super livre qui aborde différentes perspectives sur cette femme qui a été enlevé par l’IRA. Cela permet de garder une certains subjectivité sur les événements. Concernant le Brexit, je pense que le Royaume-Uni va garder de bonne relation avec les Etats-Unis. Bien sûr, je ne vois pas cette séparation de l’Europe comme une bonne chose. On perdra un peu de cette essence où tout le monde pouvait voyager librement, rencontrer de nouvelles personnes, s’enrichir de nouvelles expériences. Ces frontières ne sont pas juste géographiques, elles sont aussi mentales. Evidemment, tout n’est pas  noir ou blanc, il y a tellement d’éléments qui entrent en jeu concernant la décision du Brexit.

A l’avenir, quels sont tes plans concernant ta carrière musicale ?

Premièrement, je finis la promotion pour OOFIE. Puis je vais prendre du recul musicalement parlant. Après avoir sorti trois projets, je dois réfléchir à la façon de me réinventer : comment aller plus loin, me donner des défis créatifs. Je sais que j’ai de super producteurs autour de moi, mais je dois savoir où je vais pour ne pas me répéter artistiquement.

Pour conclure, j’aurai voulu connaitre ta définition de « Freak » ?

Pour moi, un « Freak » est un marginal, mais pas dans le mauvais sens du terme. Ce sont des personnes différentes, qui ne restent pas bloquées dans leurs idéologies, ceux qui sont uniques et qui ont des choses à dire, qui veulent faire les choses différemment.


A voir également Wiki – OOFIE
Axel Bodin

Adepte de métaphores farfelues, j’aime exposer les artistes tels des entités répondant à nos questions existentielles. Toujours à la recherche du bon et du mauvais goût, je suis ici pour vous fournir la deuxième lecture insoupçonnée du Hip-Hop.

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