Il y a encore quelques années de cela, le rappeur Wiki était en contemplation face à la grandeur de New-York. Il se sentait à la hauteur de tous ces buildings, prêt à construire sa propre « montagne » de trophées. Son art s’imposait et influençait toute une génération de jeunes errants à cloche-pied sur la chaussée. Si sa musique a su rendre ses « notes » de noblesses aux quartiers dépavés ainsi qu’aux habitants qui les composent, le rappeur délaissait ses repères en rentrant dans l’un des plus grands labels d’Angleterre, XL Recording.
Perdu dans les pâles couloirs de cette compagnie tentaculaire, il n’était plus qu’une fourmi guidée par une main de fer. Là-bas, il concoctera un album à la gloire de sa ville, No Mountains in Manhattan. Mais la fatigue, le stress et une nostalgie pour sa terre natale le saisissent et le poussent à fuir l’entreprise. Après cette décision radicale, il se décharge de toutes responsabilités pour ne plus compter que sur sa personne. Sous sa propre structure nommée Wikset Empire, il élabore sa direction artistique et s’accorde du temps pour aboutir à une œuvre qui le définit. Sous le slogan OOFIE, l’œuvre représente une nouvelle épopée pour Wiki.
Quant aux fans de Wiki, ils ne cessent de repenser avec nostalgie à Ratking, ce groupe qui aura débarqué en grande pompe au sein de la scène underground dès 2012. Un trio dont le rappeur aura fait partie aux côtés d’Hak et du producteur Sporting Life ; tirant leurs inspirations à la fois de la côte Est américaine mais également de l’Angleterre avec une empreinte UK garage. Entre boombap et grime, Ratking est une vague de fraicheur pour New York, unifiant tout un bataillon d’adolescents sans repère sous un étendard commun. Cependant, l’histoire restera en suspens après la dissolution du groupe au milieu de la décennie. Wiki, emblème du trio, sera celui attendu au tournant dans l’espoir d’un projet solo reprenant les mécanismes du crew. En gardant un pied dans le passé en collaborant parfois avec Sporting Life, il s’entourera d’un nouvel équipage et cherchera des producteurs aux quatre coins de la ville. Depuis, le rappeur trace sa propre route et dévoile progressivement ses multiples facettes.
Tout d’abord, ce sont ses origines que Wiki souhaite mettre en valeur. Après une longue période remplie de doutes, vagabondant entre les racines irlandaises de sa mère et portoricaines de son père, difficile pour lui d’endosser le rôle du new-yorkais modèle qu’on veut lui imposer. Pour s’affirmer, il arbore avec fierté un drapeau aux couleurs de ses 2 pays d’origine. Quartiers par quartiers, pistes après pistes, Wiki nous expose fièrement les reliefs irréguliers de Big Apple à travers OOFIE. Cette philosophie, il ne cesse de la crier haut et fort en affichant sa routine de marginal notamment dans « Way That I Am » au côté de Your Old Droog, un rappeur qui transpire l’esprit de Brooklyn. Ensemble, ils font un bond dans le temps pour cracher des mots brulants sur un sample de soul lancinant complété par des batteries résonnantes.
Heard some shit about my flag, lot of fucking talk
It’s simple, I’m mixed, don’t fit into a fucking box
Mais le personnage ne se résume pas à un simple vadrouilleur, trainant des pieds sur l’asphalte avec une cannette de bière à la main. Ici, notre rappeur n’hésite pas à plonger tête la première dans ses pensées encombrantes, en questionnant la vie dans ce qu’elle a de plus aliénante, et particulièrement la mort qui engendre chez lui une grande anxiété. La figure du Grim Reaper au capuchon noir et pointu promenant une longue robe sur le sol n’est plus qu’un simple mythe. Cette faux qui pend depuis sa main parait si réelle, guettant Wiki en permanence. Cette impression est partagée avec Denzel Curry et Lil Ugly Mane dans le titre « Grim » dans lequel les 3 rappeurs exposent leurs regrets et les conséquences de mauvaises décisions. Dans ce son, des alarmes hurlantes retranscrivent cette urgence d’extérioriser leurs démons tout en menant une course contre la montre avec la faucheuse.
Pour gagner du temps, Wiki expose sa crise existentielle en se livrant avec franchise. Il jette un œil attristé sur son curriculum, abimé par les épreuves, écumant le bitume à n’importe quelle saison. Lorsqu’il veut s’en dégager, le voilà pris au piège par les labels multinationaux qui le trainent sans libre arbitre de ville en ville. Alors, impossible pour lui de savoir où il se situe dans sa vie personnelle mais aussi dans son travail d’artiste. C’est sûrement l’une des raisons qui le pousse à expérimenter un large panel de sonorités sur toute la longueur de l’album. S’entourant de producteurs tels que Slauson Manson aux accords psychédéliques ou Jonti aux rythmes envoûtants, Wiki définit chaque piste comme une entité propre pouvant prendre vie en dehors de son contexte. Pour autant, la voix grinçante du rappeur nous rappelle que nous suivons bien l’histoire d’un protagoniste unique. Les parties de sa matière grise épousent de nouvelles émotions qu’il déploie dans son rap. Parfois pris par l’adrénaline comme dans « Pesto » où il est prêt à dépouiller ses assaillants ; ou bien fatigué par une journée qui, malgré les tournées autour du globe, sonne comme une « Routine », un morceau en bonne compagnie avec Princess Nokia, personnalité forte et ancienne amourette de Wiki.
Malgré ce nouveau départ, Wiki garde à ses côtés son acolyte favori, Alex Epton, celui qui l’avait rejoint pour son album précédent après une rencontre dans les locaux de XL Recordings. Un fragment d’une époque révolue qui se sera glissé dans l’engrenage pour offrir à Wiki un panel d’instrumentales variées. Alternant ses collaborations entre FKA Twigs et Skepta, le bagage musical de ce producteur a de quoi séduire. Une rencontre qui permet à Wiki de continuer à poser sur des productions déconstruites où s’insère une influence grime à la fois dans les batteries, placées de manière inattendues, mais également des samples vocaux presque robotiques. Cette superposition d’instruments si opposés au premier abord nous émerveille à chaque morceau. Le saxophone suraigu concluant le disque dans « Freaks » est le parfait exemple de ce fourmillement musicale. En s’entourant de producteurs aussi versatiles, Wiki prouve qu’il joue de sa curiosité pour découvrir de nouveaux mondes et que ses voyages sous son ancien label n’ont pas été qu’une déception amère de l’entertainment à grande échelle.
I did it for the freaks man, Did it for the city
Ce disque pourrait être vu comme un laisser aller de la part de Wiki. Pas celui qui déçoit, qui consterne, mais celui qui permet de détendre les cordes, de desserrer l’écrou. L’histoire de OOFIE est un fil décousu qui nous permet de vagabonder du début à la fin sans se poser de question. A travers ses pensées méditatives, on comprend que Wiki reste un exclu qui expose son mode de vie et celui de milliers d’autres jeunes de métropole. Car derrière lui, c’est une horde de nouveau rappeurs ayant digérée sa musique qui prendront le relais, montrant que Wiki n’est pas un outsider du rap mais bien un poids lourd de ce milieu underground qui se satisfait à lui-même.
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