Le nom de VM The Don ne vous évoque peut être rien. Vous auriez déjà pu le croiser au détour d’un lyric d’Alpha Wann ou d’Infinit’. Le beatmaker à la double majuscule a pourtant inscrit son nom aux crédits de deux albums majeurs de l’an passé: UMLA d’Alpha Wann et Jeannine de Lomepal. Une trajectoire qui n’a rien de surprenant pour ceux qui suivent sa carrière depuis « Flingtro », l’introduction d’Alph Lauren, certificat de naissance d’une alchimie plus que jamais productive. Affilié au label Don Dada Records, il distille sa musique à son cercle proche, empruntant autant à la french touch qu’à la production rap californienne.
C’est dans une cour intérieure du 10ème arrondissement qu’il nous donne rendez-vous. Difficile d’imaginer un studio dans cet espace de vie commun. Nos messages restent sans réponse une fois sur place et la vision d’une annulation de dernière minute nous donne quelques frissons… Une réponse, enfin. VM apparaît à la porte et nous invite à rentrer chez lui. Avec une explication simple et limpide : dans son home studio, il n’y a pas de réseau. Il est quasiment 20H, et c’est tout juste le début de journée pour le producteur. Le temps semble suspendu dans l’espace de vie, où le triple disque de platine de Cyborg trône fièrement sur un mur. Entretien avec un garçon nébuleux, qui garde sa bulle intacte pour mieux y puiser son inspiration.
BACKPACKERZ : Quel est ton état d’esprit actuellement, après une année très productive?
VM The Don : C’est bien de passer vite à autre chose. Je n’ai pas le temps de réaliser. Les gens avec qui je travaille ne cherchent plus des sons tout de suite mais je compose tous les jours. Je viens de me casser le bras, ça m’a un peu coupé… J’étais dans une période vraiment productive. C’est moins vif qu’avant, j’ai pris un petit coup de massue pendant quelques temps. Je déteste être freiné par un problème physique. J’ai pu faire des instrus main gauche, ça fait travailler une autre partie du cerveau. J’ai essayé d’en tirer des avantages.
J’ai cru comprendre que tu étais un noctambule…
Je me couche à 7, 8 heures du matin. C’est la nuit que les choses se passent. Je m’y sens plus à l’aise, il n’y a plus tout ce bordel de la vie de tous les jours. J’ai un studio insonorisé pour pouvoir justement y consacrer du temps. Je ne commence pas à taffer avant 20 heures en général. J’essaie de trouver un équilibre entre tout ça.
Quel est ton rythme de travail, à peu près ?
Une prod par jour, ou une tous les deux jours en gros. Le plus que j’ai fait, c’était sept en un jour. Tu t’épuises beaucoup plus vite. Avec Louis (Hologram Lo’, créateur du label Don Dada Records), on fait moins de prods, mais on recherche plutôt l’efficacité maintenant. Ça ne sert à rien d’en faire pour en faire. Il faut faire de la musique qui a du sens. Explorer sa patte. Il faut aussi s’influencer des choses récentes. J’aime bien composer, lâcher trente minutes, me poser, revenir, réécouter et voir tous les défauts. Si tu es content de toi tout le temps, c’est que tu as un problème. Ou que tu es un génie ! Je capte tout de suite les problèmes, avec une réécoute à froid. Il faut que ça reste dans l’impulsion. Ne reste pas trois heures bloqué sur une ligne… Va te coucher et reviens demain.
Est-ce compliqué de rester dans sa bulle et faire abstraction du reste ?
Il faut rentrer, en fait, dans des périodes où tu ne veux plus rien savoir. Prouver aux quelques personnes qui sont importantes pour toi dans le milieu que tu es là et que tu vas faire le boulot. Au début, quand tu veux commencer à faire des trucs, c’est compliqué, tu t’auto-gères. Tu dois imposer ta vision aux autres. J’ai eu la chance de rencontrer Alpha (Wann) tout de suite et ça a collé. On venait de la même école de rap, on est des 89 tous les deux. C’est une chance de tomber sur des gens qui comprennent ce que tu veux faire. Après il faut tenir la cadence que tu t’es imposée. Ne pas se reposer sur ses lauriers. Ça peut arriver, mais tu repars vite parce que ça te fout une boule au ventre. Stwo, c’est vraiment le mec qui m’a le plus impressionné quand il arrive à être dans sa bulle. Il est unique en son genre. Richie Beats aussi.
Parlons des albums qui ont marqué ton année. UMLA sonne comme un aboutissement pour le label Don Dada. Tu as toujours senti Alpha convaincu d’une carrière solo ?
Don Dada, c’était quelque chose à Alpha et Hologram. On allait faire les choses ensemble, Alpha avait déjà les idées claires sur ce qu’il voulait faire comme musique. L’arrêt du groupe (1995) n’était pas particulièrement prévu, mais tout le monde a commencé à faire ses trucs en solo de son côté. Il n’y a rien de prémédité. Au final, on fait un bon score pour UMLA. Tout le monde parlait d’une petite première semaine mais on est plutôt très bien aujourd’hui. Pour l’instant c’est la tournée, mais ensuite on va revenir avec quelque chose de différent. Il fait les choses en temps et en heure mais il en a gardé sous le pied. Il m’a bloqué des prods depuis quatre ans pour son album, comme « Olive et Tom »! Mais ça c’est terminé maintenant, c’est un nouveau cycle qui commence. On va tous se mettre dans une nouvelle direction, en gardant l’esprit Don Dada.
As-tu retravaillé ces anciennes productions pour l’album ? Un an dans le rap, c’est énorme en terme de changement de sonorités.
On a grave rebossé des trucs. On change des petites choses, pour être dans l’esprit actuel, changer un snare (caisse claire) ou un hats (charley) ici et là. Le mix évolue aussi, on perfectionne au fur et à mesure. Mais le mix c’est pas trop mon truc. Je n’ai pas beaucoup de VST (Virtual Studio Technology, des plugins), ce qui fait que ça gronde très fort en volume mais j’aime laisser un grain, ce qui est plus ou moins ma patte. Il y a des mecs qui bossent super bien leur mix, comme Eazy Dew ou Stwo. Je n’aime pas les mixes trop propres et ça chez Don Dada, ça nous tient à cœur. Louis (Hologram Lo’) est le premier à se battre sur ça. On aime pas le son propre et carré. On aime le groove, que ce soit un peu sale et authentique. Mais il faut quand même que je me dirige vers de plus gros mixes.
Sur UMLA, tu étais en terrain connu. Ce qui n’a pas été le cas pour Jeannine, composé collectivement à Rome.
On était à Rome, tous ensemble pour créer quelque chose d’homogène. Lomepal voulait bosser avec tous les gens qu’il aimait : Stwo, Pierrick Devin, Superpoze, Vladimir Cauchemar… C’était l’équipe de Flip, plus tous les gars qu’il a rencontré entre temps. Chacun place un son qu’un autre finit. Il y avait une vraie liberté à se compléter selon les aptitudes de chacun. C’était la première fois pour moi. Par exemple, sur « Ma Cousin », j’avais composé en samplant un truc et Stwo a retapé la batterie que j’avais faite. C’est le seul sample de l’album d’ailleurs. J’ai fini par placer sept morceaux sur le projet, alors que j’avais juste « Yeux Disent » sur le précèdent. Avec Superpoze (co-producteur de « Yeux Disent »), on a trouvé un vrai lien de production. C’est fluide, il y a une vraie alchimie. Jeannine m’a permis de faire d’autres choses. Ça me plait de montrer plusieurs facettes.
Comment perçois-tu ce travail de co-production ? Tu produis notamment beaucoup avec Hologram Lo’, comme sur le très puissant « Ça Va Ensemble » sur UMLA.
J’aime beaucoup les co-prods parce que tu as plusieurs visions. Là où tu peux buter sur une finition, quelqu’un peut venir avec un regard frais, une autre énergie. Ça peut débloquer des situations compliquées. Avec Hologram on partage la même vision, on vient de la même école de rap: The Alchemist… Sur les prods qu’on fait ensemble, on se complète, on s’envoie des parties à finir. C’est de la co-production à part entière. Il n’y a pas de calcul sur les parts SACEM, il faut y aller au feeling! Quand tu bosses seul tu as envie de tout faire. En groupe, il faut savoir l’exprimer autrement. Tu peux te comparer, observer différentes façons de faire et prendre du recul sur ton propre taff. Mais passer le cap de la co-production est une étape importante pour moi. Je veux avoir des prods seul sur les gros albums. Ça va être le cas cette année sur les projets à venir. Je pense que c’est un signe de maturité pour un producteur.
Il y a une vraie génération Alchemist en France.
A l’époque j’étais très Tupac et Snoop (Dogg), très influencé West Coast, j’écoutais pas mal de petits groupes et puis Alchemist est arrivé et ça a changé ma vie. J’ai chopé la version instrumentale de 1st Infantry (premier album d’Alchemist, sorti en 2004) et ça m’a mis une claque. J’écoutais énormément « Pimp Squad » pendant une période. C’est mon Dieu, vraiment. J’ai des fréros qui étaient en studio avec lui certaines fois et je leur en ai un peu voulu de ne pas m’avoir invité… Chemical Warfare (son deuxième album sorti en 2009) m’a aussi traumatisé à un moment de ma vie où c’était un peu compliqué pour moi, vers mes 19, 20 ans, quand je vivais à L.A. C’est un album assez sombre. Je voulais déjà faire de la musique mais je ne faisais pas grand chose. Je traînais dans la ville en faisant un son tous les deux mois, espérant vivre et travailler là-bas mais j’ai dû rentrer en France pour des raisons personnelles. Je vois ça comme une sorte de destin.
Avec quel matériel travailles-tu ?
Au départ j’ai mis de coté pour m’acheter un ASR-X (sampleur de la marque Ensoniq). Pour faire comme Alchemist et Evidence. Ils bossaient là-dessus et dans ma tête, ça m’a donné le droit de le faire aussi. Je me suis rendu compte après coup que j’avais fait une grosse connerie financière. Aujourd’hui je compose sur Logic (logiciel d’Apple) et Maschine (groovebox de la marque Native Instruments). Je sample et fait mes batteries sur Maschine et je sors sur Logic, toujours sur les deux trucs. Je n’ai utilisé que des instruments virtuels jusqu’à maintenant. Je n’ai pas trop de place dans mon studio pour des synthés. Je suis en mode chinoiserie: avec rien on fait tout.
Te sens-tu connecté à la nouvelle génération de producteurs qui a d’autres références aujourd’hui, notamment Metro Boomin plutôt qu’Alchemist ?
J’aurais pu te dire comme d’autres : « Ouais il n’y a que Metro Boomin qui m’inspire » mais ce n’est pas le cas. Et pourtant j’aurais adoré être né un peu plus tard pour ces nouveaux logiciels. A mon époque, on était au début de Cubase (logiciel de création développé par Steinberg) et c’était une interface horrible, ça ne donnait pas envie. Maintenant, les beatmakers naissent dans Fruity Loops directement. J’ai essayé, comme tout le monde je pense, sur Mac, mais je n’ai pas réussi à m’y faire. Mais chacun a sa patte aujourd’hui et c’est intéressant.
Qui t’inspire aujourd’hui ?
J’écoute beaucoup les américains, et très peu de rap français finalement. Aujourd’hui dans ceux qui m’inspirent, je dirais OZ, le suisse qui bosse là bas. Il n’a pas fait trop de trucs encore. Sinon les Pi’erre Bourne, forcément, ces mecs qui viennent d’arriver, ou les Cardo, un peu plus ancien. Drake aussi, même si j’aime moins musicalement les derniers albums. Je suis resté bloqué sur If You’re Reading This It’s Too Late (sorti en 2015). Ça m’a vraiment marqué. Ou « Codeine Crazy » de Future. Ce sont les sons que j’aime écouter. Je vais peut-être commencer à travailler avec des mecs aux États-Unis. Je discute un peu par Instagram, c’est peut-être éphémère mais j’essaie de mettre ça en place: envoyer des boucles, qu’ils la finissent ou vice-versa, pour ensuite les proposer à des Migos ou des Gunna. Après le milieu américain, c’est très compliqué, j’ai pas mal d’amis qui ont tenté et ce n’est pas toujours rose. Il faut faire le bon truc, celui qui marche. Ce sont les chiffres qui te mettent officiellement sur la carte.
Apple a sorti un spot publicitaire cet été autour d’un morceau de Lomepal que tu as produit. As-tu composé spécialement sur demande ? Est-ce une expérience que tu aimerais poursuivre à l’avenir ?
J’ai composé le morceau, et Pierrick (Devin) l’a mixé en ajoutant quelques touches. C’était une création sur commande pour Apple. On m’a juste donné des indications, que ça allait être une ambiance en noir et blanc, Paris la nuit. J’ai clairement envie de faire plus de publicités, j’en parlais justement à une amie dans le milieu dernièrement. On me dit souvent que mes prods inspirent des images et des ambiances. Au-delà de l’argent, c’est surtout l’association du son à l’image qui m’intéresse. C’est une connexion que j’arrive facilement à faire dans ma tête en terme de création. Je me sens prêt pour ça.
Entretien mené avec Florian Perraudin-Houssard. Merci à VM pour sa disponibilité et son accueil.
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