Entre les snares sèches avec l’arrivée de la drill et, aux antipodes, les chants gospels accompagnées de saxophones à la limite du rap chrétien, la ville de Chicago avait su construire un patrimoine bien à elle dans le paysage du hip-hop. Mais il n’aura pas fallu attendre longtemps pour y voir apparaitre de nouveaux acteurs bien décidés à s’emparer du flambeau. Parmi eux, notre rappeur qui vient se glisser entre les mailles du filet depuis environs trois ans. Après une signature chez G.O.O.D. Music en 2018 et une EP régit sous le nom provocateur de GOOD job, You found me, il ambitionnera de retirer cette étiquette de rookie qui lui colle à la peau pour atteindre un nouveau pic d’altitude.
Depuis son plus jeune âge, il cultive l’art de la procrastination. A l’école ou bien durant son temps libre, il s’effaçait pour ne plus s’encombrer du décor qu’on voulait lui imposer. Seules deux activités le maintenaient en vie : les balades de noctambules à bord d’une automobile cabossée et les heures cramponnées à la console de jeu. Si la première lui apportera un goût prononcé pour la musique grâce aux playlists qui défilaient dans son poste radio, la seconde déclenchera son envie d’être interprète. Alors qu’il se dirigeait vers la boutique de jeux vidéo, il son attention sera attirée par l’un des magasins d’instruments de son quartier. Résultat : il en ressortira avec une table de mixage et des micros.
Naturellement, il retranscrira son mode de vie routinier dans sa musique avec des textes espacés et une tonalité proche du chuchotement. C’est sous la casquette de chill trap music qu’elle sera baptisée. Et pas d’exception pour ce projet : le genre reste à l’honneur. Un son minimaliste où chacun des bruitages se veut être extrapolé, résonnant avec fluidité dans nos oreilles.
Sur le titre « Pepsi », l’aluminium se décollant d’une canette de soda résonne durant le refrain afin de le rythmer. Un postulat qui se retrouve durant tout l’écoute. Le sentiment de claustrophobie que cela engendre vient nous encombrer, avec des productions qui se cognent contre les quatre murs de la pièce. Valee, quant à lui, se tient au milieu de celles-ci, microphone en main, s’adonnant à une forme curieuse d’ASMR. Sur « Above Average » avec G Herbo, les batteries enlèvent toute chance aux autres instruments de s’émanciper. Un écrasement de l’atmosphère nous empêchant de bouger le moindre muscle. Plus tard, des synthétiseurs nuageux se distinguent dans « Sleep Number » pour apporter une brise de fraîcheur à cet air engourdi. Il faut dire que le rappeur ne semble pas avoir besoin d’oxygène tellement le souffle de sa voix est inexistant. Les mots qu’il débite se stabilisent au même niveau.
La répartition de samples vocaux apporte du relief à cette trajectoire linéaire. « Yoopie » puise dans le cloud rap avec des voix lourdes étendues. Au lieu d’un titre de deux minutes, celui-ci parait en faire quatre. L’illusion est parfaite. Les invités comme King Louis ou Vic Mensa comprennent que leur flow énergétique n’est pas de la partie et qu’ils doivent se prêter au jeu du rappeur. Leurs phrases deviennent engourdies et se concluent telle une coulée de lave sur l’instrumentale. Une coordination qui ne permet aucune ouverture sur un univers extérieur.
Push up in some new Yves St. Laurents
Season 5 Yeezys, bitch, what you on?
Après cette séance d’hypnose, il peut nous conter son ego trip en toute tranquillité. Il faut dire que, sans cette ambiance captivante opérant telle une mâchoire venue se refermer sur nous, le rappeur n’aurait pas d’autres moyens de retenir notre attention. Maintenant que ses nouveaux passe-temps sont les défilés de mode pour Kanye et les accumulations de rencards portés par ses costumes Yves St-Laurent, il étale inlassablement sa nouvelle richesse. Pourtant, Valee ne se satisfait plus de ces biens. Il semble épuisé par ce matérialisme à outrance, tout juste capable d’adopter un comportement correct au sein de cette noblesse qui l’entoure. Lui se complaît dans ce que l’on appelle le Never get your hope up : « Ne rien attendre de la vie, pour ne jamais être déçu ». Sa voix rauque et lancinante n’arrange rien à l’idée, comme si son esprit était celui d’un vieillard rongé par les épreuves du passé.
Difficile de savoir si nous sommes satisfaits par cette séquence de 16 minutes. Avons-nous été biaisés par le pouvoir de la manipulation mentale ? Son minimalisme à outrance pourrait rendre l’œuvre vide de sens et, au lieu de cela, on se voit y retourner sans cesse, comme prisonnier d’une boucle sans fin. Valee intrigue le commun des mortels qui se hâte pour dénicher des explications rationnelles à sa musique. Le projet ne fait pas exception à la règle en suivant la ligne blanche qu’il avait commencée à tracer avec ses mixtapes précédentes. Concis tout en traînant de la patte, difficile de comprendre l’aspect attrayant de ses compositions. Pourtant, force est de constater que la formule fonctionne et nous fait tomber dans un spirale infinie. Sans surprendre, un attrait certain nous pousse à ne jamais freiner notre écoute et laisse espérer pour la suite un album plus complet.
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