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Tyler, The Creator – CALL ME IF YOU GET LOST

Pour lancer la saison estivale Tyler décide de sortir son nouveau projet, mais fois-ci, il est auréolé d’un tout nouveau statut.

La sortie de Flower Boy en 2017 le propulse sur la sphère mainstream et installe les bases du “nouveau” Tyler, plus mature dans son écriture et sa production .

En s’éloignant de l’image du leader turbulent d’Odd Future, il enfile le costume d’artiste accompli avec IGOR, son plus gros succès critique et commercial à ce jour, qui explore les terrains de l’expérimentation musicale jusqu’à remporter un Grammy plein de problématiques.

Néanmoins, réussir cet exploit plusieurs fois d’affilée n’est pas une chose aisée et Tyler va devoir le prouver une nouvelle fois avec CALL ME IF YOU GET LOST.

Retour aux sources

Plusieurs interrogations surgissaient quant à la direction artistique qu’allait emprunter Tyler pour son prochain projet.

Entre 2019 et 2021, on l’entend sur quelques albums comme celui de Freddie Gibbs (Alfredo) ou de Westside Gunn (Pray For Paris) où il abandonne le filtre vocal de son précédent album pour délivrer des couplets de haute volée. Ses apparitions remarquées laissaient vraisemblablement présager un retour au rap mais celui-ci se fera avec la manière.

Au-delà des samples purement hip-hop (Gravediggaz, Nas, Westside Gunn…) et de la pochette aux allures d’Ol’ Dirty Bastard, il fait appel au légendaire DJ Drama, le fondateur des mixtapes Gangsta Grillz hissées au rang de classiques.

Bien que personne n’attendait ce duo fournir un projet, cela sonne comme une évidence lorsqu’on connaît ses influences. Grand fan de Pharrell, la mixtape In My Mind: The Prequel n’a pas dû échapper à ses oreilles durant son adolescence et sert de base essentielle à l’ossature de son projet.

Avec tous ces ajustements, il est prêt à partir à la conquête du monde.

L’opulence et la conscience

Pour l’occasion, Tyler décide de s’offrir un nouvel alias pour le moins intéressant puisqu’il a une résonance toute particulière dans nos contrées. Désormais c’est Tyler Baudelaire qui se présente face à nous pour narrer ses aventures.

L’emprunt de ce nom n’est pas un hasard et fait logiquement écho à Charles Baudelaire, poète français du XIXème siècle controversé et censuré en son temps. Le goût du choc, certes, mais aussi celui du voyage qui va également établir un lien entre les deux hommes.

Cette odyssée se fera autant dans les contrées helvètes que dans l’esprit de Tyler, The Creator qui sera tiraillé par plusieurs de ses facettes.

Nous faisons d’abord connaissance avec « SIR BAUDELAIRE », l’introduction de cet album. Sur un beat somptueux composé par Conductor Williams, il nous raconte ses souvenirs de Roland-Garros, l’influence de sa marque de vêtements ou encore son assurance vis à vis de son art: “That’s a mansion on that USB, it’s T”.

Il va cultiver cette arrogance et montrer au monde entier ce qu’il est enfin devenu. Sur « LUMBERJACK », Tyler n’hésite pas à user de l’égotrip pour appuyer son succès grandissant d’artiste comme de chef d’entreprise:

I hit Drizzy and told him I have a milli’for him / I own my companies full, told’em to keep the loan.

L’agressivité vocale ainsi que l’ambiance dégagées rappelleront sans aucun doute de bons souvenirs aux fans de Goblin.

Quand il enlève son costume d’entrepreneur, c’est pour sombrer dans le délire total. Auteurs de prestations solides, Pharrell et Lil Uzi Vert confirment l’alchimie avec Tyler et semblent en transe sur « JUGGERNAUT », qui aurait facilement pu figurer sur le dernier album de N.E.R.D.

Une fois la folie redescendue, son esprit se laisse submerger par le matérialisme: « CORSO » et « HOT WIND BLOWS » en sont les parfaits exemples. Le premier invoque le chaos plus maîtrisé de Cherry Bomb et parle entre autres d’acheter un bâteau pour pleurer dans l’océan et noyer sa peine. Rien que ça.

Quant au second, il est porté par une production typée bossa nova qui transpire le style Madlib. Accompagné de Drama, Mister Baudelaire prend un peu de repos en Suisse et retrouve l’infatigable Lil Wayne afin de nous partager quelques démonstrations de style:

The Cartier so light on my body, thought I floated here / We boated here, It’s Tunechi and Tyler, but call me Baudelaire.

Lorsque Sir Baudelaire décide d’enlever sa chapka, c’est pour redevenir Tyler Okonma et nous livrer ses morceaux les plus personnels. Au fur et à mesure, il parvient à dévoiler les coulisses de sa carrière, notamment sur la situation de sa mère (« MASSA ») et décide d’aller encore plus loin pour terrasser ses vieux démons.

Les sujets les plus épineux sont passés au crible sur le dénommé « MANIFESTO ». Ici, il délivre sûrement son meilleur couplet et paraît déchaîné avec un Domo Genesis impérial. Parmi ses angles d’attaques, Black Lives Matter ou encore la cancel culture sont privilégiés:

Internet bringin’ old lyrics up, like I hide the shit […] I was canceled before canceled was with Twitter fingers.

Finalement rien ne semble l’arrêter mis à part son éternel talon d’Achille: l’amour.

GOLF le FLEUR* du mal

“I’m a third wheeler, I’m a side better, I’m a homewrecker, give it up…” chantait-il plaintif sur « BEST INTEREST » un an plus tôt.

La situation ne semble pas avoir évoluée puisque le côté tape-à-l’œil de l’album cachait en réalité une nouvelle histoire qui mêle d’autres protagonistes.

Adepte malheureux du triangle amoureux, sa route le mène à nouveau sur ce terrain qui semble trop grand pour lui.

Et quoi de mieux qu’un bon vieux R&B pour chanter ses sentiments ? Tyler ne se fera pas prier sur l’entraînant « WUSYANAME » où démarre la rencontre avec cette fille. Les harmonies vocales de Ty Dolla $ign n’ont désormais plus rien à prouver mais la réelle surprise vient de NBA Youngboy qui a sorti son épingle du jeu là où on l’attendait le moins.

Cet amour, il va l’expliciter sur le magnifique diptyque « SWEET / I THOUGHT YOU WANTED TO DANCE ». La première partie du morceau rappelle le côté solaire de Flower Boy et bascule lentement sur une inspiration reggae dans la deuxième moitié de la chanson. L’amour puis la désillusion en quelque sorte. Tyler va expérimenter ce cercle vicieux qui lui laissera un goût amer:

I wish that we never met, I wish that that we ain’t connect

Plus tard, il racontera l’histoire en détails avec la grande note vocale nommée « WILSHIRE » et clôt ce chapitre définitivement. Ceci fait, il est maintenant prêt à explorer d’autres territoires.

Si jamais vous vous perdez, n’hésitez pas à l’appeler, votre chemin croisera peut-être le sien…

Tyler, The Creator nous a livré son œuvre la plus complète. L’agressivité et les placements de l’époque Bastard/Goblin, l’aura de Wolf, l’explosivité de Cherry Bomb, la chaleur de Flower Boy et l’apport expérimental d’IGOR… Il enfile plusieurs casquettes à la fois pour livrer le meilleur de lui-même. Cet album est sans aucun doute le plus accessible qui saura réconcilier les anciens fans inconsolables de l’ère Odd Future tout comme les néophytes.

Lier l’esthétique d’une mixtape avec l’ambition d’un album n’était pas un challenge facile et pouvait parfois ralentir l’histoire que Tyler désirait nous raconter.

Cependant, le défi est réussi dans son ensemble grâce au personnage de Sir Baudelaire, l’alter-ego le plus proche de la personnalité de l’artiste actuellement. L’un des meilleurs projets de cette année qui figurera certainement aux Grammys… à condition qu’ils ne se trompent pas de catégorie cette-fois-ci.


Ce portrait est une contribution libre de Steven De Bock. Si vous souhaitez, vous aussi, tenter d’être publié sur le site, envoyez-nous vos propositions d’article via notre page de contact.

La Rédac

BACKPACKERZ, c’est une grande mif de NERDZ réunis par l’amour du son et le goût du partage. Une équipe d’explorateurs passionnés, qui sillonnent la galaxie rap et les nébuleuses voisines, à la recherche de ses futures étoiles.

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