De Marley Marl à Nas, de Mobb Deep à Cormega, le quartier de Queensbridge a vu naître son lot de légendes du hip hop. Comme toute légende, celle de Queensbridge a ses oubliés, ceux qui étaient là mais dont on ne parle (presque) pas. Tragedy Khadafi est de ceux là.
Percy Chapman grandit à Queensbridge dans les années 70-80, élevé par une mère veuve et accro à l’héroïne. Aîné d’une fratrie de quatre enfants, Percy apprend vite à se débrouiller seul et à gérer le foyer au quotidien. Mais pour nourrir les siens, il est contraint de tomber dans l’illégalité en escroquant les gens ou en volant. C’est aussi à cette époque qu’il tombe amoureux du hip hop. Il se rend aux jams dans les parks et aux blocks party organisées à Queensbridge. Il commence même à écrire ses propres morceaux et enregistre son premier titre « Go Queensbridge » à 14 ans au sein du duo Super Kids. L’année suivante, il fait la rencontre de Marley Marl, alors en pleine révolution du beatmaking, qui produira le titre « The Tragedy », d’où Percy tirera son nouveau nom de rappeur.
Marley Marl voit tout le potentiel de Tragedy et commence à l’intégrer au célèbre Juice Crew (composé entre autres de Kool G Rap, Big Daddy Kane, MC Shan). Mais si sa carrière en tant que rappeur s’annonce très prometteuse, Tragedy poursuit ses activités illégales en parallèle. Suite à un cambriolage, ses deux « victimes » retrouvent la trace de Percy et le kidnappent. Ils le gardent enfermé pendant deux jours, le torturent et le laissent pour mort en le jetant dans l’East River. Si Tragedy sort miraculeusement vivant de cette situation, il n’arrête pas pour autant ses déboires dans la rue. A l’âge de 16 ans, il est arrêté suite à un énième cambriolage, et condamné à 18 mois de prison. Il est envoyé à Rikers Island où il assiste, depuis sa cellule, au succès du Juice Crew. C’est en prison qu’il s’éveille en découvrant la religion, l’autobiographie de Malcolm X et d’autres grandes figures afro-américaines. Ces lectures vont lui ouvrir les yeux et il adopte en sortant de prison, le patronyme Intelligent Hoodlum, qui servira de titre à son premier opus. Le premier album sort en 1990 et est entièrement produit par Marley Marl. Le jeune Percy y développe tout le savoir accumulé en prison et dans la rue. En s’inspirant de la phrase de Chuck D qui considérait le rap comme le « CNN du ghetto », Tragedy livre un véritable manifeste de la vie quotidienne à Queensbridge.
Bien que cet album soit une réussite, il ne rencontrera pas un franc succès. Peu de temps après, Tragedy se brouille avec Marley Marl, alors en plein succès avec le Juice Crew. Dans les années 90, Tragedy regarde le jeune Nas exploser ; il voit Havoc, qu’il a lui même baptisé ainsi, rencontrer le succès au sein du duo Mobb Deep. Tous ces jeunes prodiges, Tragedy les a vu grandir à Queensbridge, mais lui n’a pas rencontré le même succès. Après un deuxième album Saga of a Hoodlum en 1993, la carrière de celui qui est déjà presque un vétéran de QB fait un bon en 1995 lors de la rivalité East vs West. Suite au morceau assassin « New York, New York » du Dogg Pound, les rappeurs Capone-N-Noreaga, jeunes protégés de Khadafi, décident de répliquer avec « L.A., L.A. ». Le Intelligent Hoodlum participe à l’effort de guerre qui lancera par la même occasion la carrière du duo CNN. C’est d’ailleurs à travers ce duo que Tragedy Khadafi connaîtra ses petits moments de gloire. Il apparaît sur près de la moitié des morceaux de l’album The War Report, dont le hit « T.O.N.Y. »
La carrière de Trag’ est (re)lancée et il enchaîne en sortant l’album Against All Odds. Alors que tout semble aller au mieux, le pseudonyme de Percy Chapman reprend ses droits : sa mère décède, sa vie de couple bat de l’aile et son jeune fils tombe du troisième étage. Cette chute ne sera pas mortelle, mais elle fait plonger Tragedy dans la drogue et l’alcool, les séquelles sont internes. Ce voyage en enfer abouti sur une nouvelle incarcération en 2007 pour vente de substances illicites. Il est libéré en 2010 et se consacre à nouveau à sa carrière musicale.
La vie de Tragedy témoigne d’un vécu commun à de nombreux habitants de Queensbridge, mais ses grandes qualités de rappeur ont été mises à mal par sa carrière en dents de scie. Les textes de Tragedy sont savamment construits, alliant la forme et le fond. Déjà au début des années 90, ses rimes brillamment tissées et ses lyrics teintés de sagesse faisaient de lui un MC en avance sur sa génération. Ce n’est pas pour rien que ce pilier de QB a été intégré au Juice Crew à l’âge de 16 ans et a ensuite été le mentor de certains des plus grands rappeurs des années 90.
La vie mouvementée de Tracy Chapman a aussi été la fontaine de son inspiration musicale. De nombreux morceaux allient récits de rue et émotion. Il ne se présente pas comme un dur, mais plutôt comme un être très humain, avec les faiblesses que cela implique. Cette façon de faire donne à sa musique un aspect très mélancolique et touchant. Il y exprime son vécu avec de la sincérité et une prise de recul à l’image de titres tels que « Crying on the Inside » dans lequel il relate l’incident avec son fils ou « Permanently Scarred », véritable ode à sa mère qui occupe une place très importante dans les textes de Trag’. Mais le Intelligent Hoodlum peut tout aussi bien maîtriser l’ego trip lors de morceaux percutants.
La discographie conséquente de Tragedy Khadafi, forte d’une vingtaine de projets, fait de lui une légende de Queensbridge. Mais au-delà de sa productivité, l’artiste a consacré toute sa carrière à son quartier, restant fidèle à ses amis et cherchant sans cesse à donner de la visibilité aux jeunes talents de QB. Il fonde d’ailleurs à la fin des années 90 le mouvement 25 To Life qui a pour but de mettre en avant des MC’s de Queensbridge.
Plombé par un destin tragique, Tragedy Khadafi n’a jamais réussi à trouver le succès à travers sa musique, mais il fait assurément parti de ceux qui ont écrit l’histoire du Queensbridge. La vie de Percy Chapman a été relatée dans le documentaire Tragedy : The Story of Queensbridge, dans lequel la carrière du rappeur est parfaitement résumée en une phrase : Nas may be Queensbridge’s finest, but Tragedy Khadafi is Queensbridge’s realest.
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