Jeune grenoblois, Tortoz a pourtant pas mal roulé sa bosse ces dernières années avec pas moins de quatre projets depuis 2015. Si l’on salue la qualité et le potentiel des trois premiers, force est de constater que le rappeur a totalement trouvé sa couleur musicale avec son dernier opus portant le doux nom de New Ventura. Rencontre.
The BackPackerz : Hello Tortoz ! Comment vas-tu pour commencer ? J’ai l’impression que tu as reçu un très bon accueil avec ce dernier projet.
Tortoz : Je suis franchement très content du projet, les retours sont dix fois meilleurs que les précédents opus. Ce que j’apprécie particulièrement dans les feedbacks et qui n’était pas forcément le cas avant, c’est qu’on identifie enfin ma musique !
En parlant d’identification, le projet est résolument aux couleurs hispaniques en référence à tes origines. C’était symbolique pour toi d’avoir attendu New Aventura pour en parler ?
Ce n’était pas du tout calculé et c’est un peu arrivé par hasard. En fait, j’écoute de la musique latine depuis tout petit, c’est un truc que j’ai toujours eu en moi mais qui me semblait incompatible avec la musique que je faisais jusqu’à présent. Je trouvais que les deux genres n’avaient tellement rien à voir qu’il était impossible de mêler les deux et que ça fasse du Tortoz… alors que si, totalement !
Et c’est réussi de notre point de vue, l’exercice est d’autant plus difficile qu’on peut très vite tomber dans le cliché.
Carrément, l’idée n’était pas de faire un truc à la Narcos. On voulait justement respecter la musique latine en ne faisant pas juste des samples mais en intégrant des vraies guitares flamenco au truc pour rajouter cette couleur latino.
Tu penses garder cette identité “espanisante” pour la suite ?
Si je vais la garder mais, ce qui est sûr, c’est que je n’aimerais jamais faire que ça. J’adore rapper et même si je rappe sur ces morceaux-là, je n’ai pas envie de tomber dans la facilité. Ce que je veux dire par là, c’est que j’ai beaucoup plus de facilité à faire un morceau latino qu’un morceau de rap car j’en écoute depuis tout petit et que j’appréhende hyper vite ce genre de mélodie. Ça fait huit ans que j’écris des textes de rap et c’est plus compliqué de se renouveler, alors que j’ai encore énormément d’idées pour les morceaux latinos. On a fait trois tracks pour l’instant, c’est juste le début, je pense que je peux faire encore beaucoup mieux pour la suite.
Puisqu’on parle de tes origines, il est temps d’évoquer Grenoble, dont tu as l’air très attaché. Est-ce que tu te verrais partir de là-bas ?
Oui et non, dans le sens où Grenoble est un peu mon point d’attache. J’y ai ma famille et tous mes potes les plus proches. Si je devais quitter cette ville pour le travail, je le ferais mais je ne pourrais pas faire une croix dessus. Même quand je voyage à l’étranger, à l’autre bout du monde, Grenoble finit par me manquer. Et quand je suis à Grenoble, je me fais chier ! C’est fou ! L’avantage, c’est que cela me force à aller tous les jours au studio pendant que mes potes travaillent.
Au-delà de ça, j’aime bien la vibe de Grenoble, c’est hyper cosmopolite et j’ai l’impression qu’il y a moins de problèmes de racisme. Dans mon groupe de potes par exemple, il y a aussi bien des noirs, des blancs, des asiats que des arabes. On a toujours vécu tous ensemble, on est tous différents et pourtant tous hyper soudé… ça tue !
Crédits photo : Damien Paillard
Même si tu es attaché à cette ville, tu as l’air de pas mal voyager, notamment au vu des destinations de tes clips (Colombie, Cuba, etc…). Tu peux nous en dire un peu plus ?
C’est la folie les voyages, ça change un homme et ça te fait grandir. Si je pouvais voyager tout le temps, je le ferais. Et puis, c’est ce qui me donne vraiment l’inspiration. Quand je suis allé en Colombie pour faire Camila, on a fait deux sons latinos direct en rentrant car j’étais grave dans cette vibe. Pareil pour Montréal, j’y étais pour un concert cet été et on devait juste rester trois jours. Au final, je suis resté trois semaines car je ne voulais plus rentrer. C’était trop bien, je faisais de la musique avec des gens de là-bas et je m’y sentais trop bien.
Pour revenir aux clips, tu en as déjà fait six depuis même pas un an. Est-ce qu’on va vers un album entièrement clippé ?
Ouais c’est possible, c’est un truc que j’aimerais bien faire. De toute façon, les visuels, ça a toujours été mon truc. Sans aucune prétention, j’ai toujours été reconnu pour ça car on n’a pas forcément d’énormes budgets comme ils ont tous, genre 20 000 balles par clip. Nous, on a toujours su faire des trucs cool avec 500 euros. En plus, je dis ça mais ce n’est pas moi qui fait, ce sont juste les mecs avec qui je travaille qui sont trop forts, hyper inspirés et inspirants. Pour revenir à ta question, c’est vrai que je me suis dit plusieurs fois que ça serait cool de faire un EP de 5 ou 6 titres en clippant tout en un espèce de court-métrage où l’on arrive à lier les sons. Quand on est parti en Colombie, on a tenté un truc sur ce principe avec des sons cool que j’ai jamais sorti. Je sais qu’il est bien avancé dans le montage mais je ne sais pas encore si cela sortira un jour.
On s’est rendu compte en regardant les dates de sortie de tes clips que ça faisait neuf mois, depuis le clip de « Camila », que tu avais commencé à teaser le projet. On imagine qu’il n’était pas encore complet à l’époque ?
Pas du tout ! Pour Camila, on n’était pas du tout sûrs de notre coup donc on a voulu tester. Il n’y avait jamais vraiment eu de morceau comme ça en trap… La rythmique, les drums, c’est de la trap pure mais avec une mélodie latino. C’était un peu expérimental mais j’étais confiant de ouf, contrairement à beaucoup de gens autour de moi. Du coup, on l’a envoyé comme ça pour tester et au final c’est celle qui a fait le plus de vus où je suis tout seul. A contrario, « Roll Royce » n’est pas dans l’album car je le trouve pas assez au niveau et en cohérence avec le projet.
Que ce soit pour les clips ou le reste, on a l’impression que tu bosses avec peu de gens, mais à qui tu fais énormément confiance ?
La vérité c’est que je fais beaucoup beaucoup de choses tout seul. Je n’aime pas travailler en équipe, en énorme équipe en tout cas. En revanche, j’aime bien déléguer pour certaines choses, la vidéo notamment. Je ne veux pas avoir cent mecs pour me faire des clips alors qu’en vrai je n’en ai besoin que d’un seul. En fait, j’aime bien avoir une toute petite équipe, et c’est ce que j’ai actuellement, mais ce sont uniquement des gens de confiance. Ce que je trouve trop cool, c’est que les gens avec qui je travaille pour la plupart sont là depuis le tout début. Quand j’avais mille vues, je bossais déjà avec les mêmes personnes. Je n’ai pas de mal à leur déléguer des choses car ce sont mes frères.
Crédits photo : Damien Paillard
Est-ce que tu peux nous parler des featurings de l’album ?
Déjà pour Laylow, c’est un ami et on avait déjà eu l’occasion de bosser ensemble il y a deux ou trois ans. Quelques semaines avant de sortir le projet, on s’est dit que c’était le gars qui rentrait le mieux dans l’univers du projet.
Pour Ormaz, je connaissais vite fait via PLK de Panama Bende. J’avoue que je n’ai jamais beaucoup écouté ce collectif mais j’étais tombé sur un son et il y a un couplet d’Ormaz qui m’avait choqué ! Je trouvais qu’il rappait trop bien, donc je l’ai contacté et, pareil, il kiffait aussi ce que je faisais donc on a enchaîné sur une session pour enregistrer avec Dioscures.
Enfin, Anfa Rose c’est un Australien qui m’avait contacté il y six mois pour faire un son sur son projet. J’ai eu le coup de cœur réciproque pour lui et je lui ai dit que moi aussi je le voulais sur mon projet.
Pour nous, « Fake Love » est le meilleur son de l’album et on sait qu’il y a un engouement autour de ce track. Est-ce que tu comptes le clipper ?
Franchement, je l’aurais fait si j’avais su que le morceau aurait autant de retours positifs. C’est un des premiers morceaux de l’album, je l’ai fait hyper rapidement en plus. Il a failli ne pas être dans l’album car Johann et Dioscures, qui sont les deux personnes à qui je fais le plus confiance niveau musique, ne le trouvaient pas ouf. C’est d’ailleurs la chanson que Dioscures aime le moins dans ce qu’il a produit sur New Ventura. En tout cas, on a déjà fait le clip « Le temps d’une nuit », qui va bientôt sortir. Ce sera surement le dernier clip mais si on trouve une idée incroyable pour « Fake Love », on le clippera peut-être.
Pour faire le lien avec « Fake Love », on trouve que tu parles beaucoup des meufs dans tes sons. C’est un sujet qui t’inspire ? Ou c’est parce qu’elles te font la misère donc c’est un moyen d’exorciser ?
C’est vrai que j’en parle beaucoup mais pas parce qu’elles me font la misère ou que j’en gère plein, c’est juste que ça m’inspire grave. Je pourrais faire un album entier inspiré par les meufs, ça ne me dérangerait pas, j’ai l’impression que je peux en parler de mille façons différentes tellement elles m’inspirent. D’ailleurs, dès que je fais un yaourt et que j’écoute après, il y a des noms de meufs qui sortent, c’est marrant. J’essaie de me limiter quand même et de ne pas parler que de ça mais j’aime les femmes, tout mon amour sur les femmes !
On avait suivi tes précédents projets et on note une progression très marquée pour New Ventura. Qu’est-ce qui a été différent sur cet album par rapport aux autres ?
Le travail ! C’est assez simple a expliquer, j’ai mis six mois pour les autres projets et un an pour celui-là, voilà toute la différence. Après il y a le beatmaker Dioscures, avec qui je n’avais jamais bossé et qui a beaucoup joué. Il y a plein d’artistes que j’écoute en interview qui disent « quand j’ai rencontré cette personne, mon disque a changé ». C’est ce qui s’est passé et je crois vachement à ce truc-là, qu’un artiste doit trouver son âme sœur musicale. Tu peux kiffer un beatmaker et ne rien réussir à faire sur ses prods car ce n’est pas ton style, ta voix ne passe pas avec la mélodie, etc… Et tu as des gens auxquels tu ne penses pas forcément et avec qui ça match dès que tu fais un son, ça va être différent de d’habitude, et au final c’est comme ça que cela s’est passé : on a fait un morceau, puis deux, puis quatre puis dix, en faisant de mieux en mieux à chaque fois. Le déclic s’est fait à ce moment-là.
Ce qui est drôle, c’est qu’on était tous les deux dans une phase de développement à ce moment-là. Dioscures faisait ses prods depuis deux ans dans sa chambre et ne cherchait pas nécessairement un artiste et, de mon côté, je voulais changer de délire et trouver mon truc à moi, car je savais que le délire que j’avais eu jusqu’à présent ne marcherait jamais. Il y a mon nom sur la pochette mais je considère que c’est notre album car on l’a fait ensemble. C’est ça la différence avec mes projets précédent, sur lesquels j’avais une prod, je posais et c’était terminé.
Crédits photo : Damien Paillard
On aimerait maintenant te parler d’un autre pan de ta créativité : où est-ce que tu trouves toutes ces chemises à motifs incroyables ?
Ce sont des heures de recherche ! Plus sérieusement, j’aime bien les vêtements et encore plus quand les gens ne savent pas d’où ça sort. Et puis le délire trap latino, c’est un package. Je ne peux pas aller en Colombie avec un survet’, ça ne fonctionne pas. C’est hyper important la sape, comme tout le reste, il ne faut rien négliger.
C’est quoi tes prochains projets dont tu peux parler, ou en tout cas teaser ?
On a le projet d’un quatre titres avec Anfa Rose, c’est un truc qu’on va peut-être faire cette année. On m’a demandé aussi de sortir un quatre titres latino pour l’été, mais à voir. Il y aura toujours ce délire latino mais ce qui est sûr, c’est que je ferais davantage de rap en 2018, car j’ai envie de rapper.
Pour terminer cette interview, on te propose de raconter un truc que tu fais ou que tu aimes dans la vie, qui constitue ta personnalité et que le public ne connaît pas…
En interview, les gens me disent souvent « ta musique, elle fait très ricaine », et c’est vrai que quand j’étais petit, genre de 10 à 15 ans, j’écoutais beaucoup de rap ricain mais je n’ai jamais trop su pourquoi. Ma mère a vu une interview de moi où je racontais ça et elle m’a dit « tu sais pourquoi tu écoutais beaucoup de ricain ? C’est parce que je t’ai toujours interdit d’écouter du rap français car je ne voulais pas que tu dises d’insultes ». Pour elle, c’était vulgaire de ouf le rap français, donc elle m’a interdit jusqu’à ce que je sois assez grand pour avoir un iPod. J’ai découvert le rap français avec Temps Mort de Booba quand j’étais en 3ème.
Tortoz sera en concert ce vendredi 13 avril au 1999 Club de Paris. Réservez les dernières places sur Fnac Spectacles.
Crédits photo : Damien Paillard
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