L’histoire du succès de Timbaland s’est déroulée en deux temps. Un premier, où il a inondé le marché du rap et du R&B pour emmener ces deux catégories musicales dans le troisième millénaire. Vient ensuite une seconde phase, après un break en 2005, qui le verra passer du statut de producteur très convoité à celui de véritable célébrité internationale, prenant la main sur la pop avec les albums « tubesques » de Nelly Furtado (Loose) et surtout FutureSex/LoveSound de Justin Timberlake. En 2007, au sommet de sa gloire, Timbaland récolte enfin les fruits de sa célébrité et de son travail avec le succès international de son album Shock Value.
À propos de travail, au delà de son impressionnante liste de productions, que connaît-on réellement de sa discographie personnelle entre 1997 et 2004 ? Quatre albums à son nom sont sortis durant ce premier cycle, souvent boudés par la critique, injustement mal-aimés (pour ne pas dire incompris) et dont l’écho s’est limité à une poignée de singles, occultés par la flopée de hits qu’il réalisait pour son entourage (Missy Elliott, Aaliyah, Ginuwine,…) ainsi que pour tout un tas d’autres artistes plus ou moins connus (Jay-Z, Nas, Destiny’s Child, 702, Bubba Sparxxx, Ruff Ryders, LL Cool J...).
Près de Vingt ans après leur sortie, il serait temps de réhabiliter ces albums réellement à part, non seulement parce qu’ils sont « conceptuellement » différents de ce qu’il réalisait pour ses amis et la A-list d’artistes rap/r&b, mais aussi parce qu’ils illustrent et complètent le cheminement du style de Timbaland sur presque une dizaine d’années.
Pour connaître le monde d’où provient Timothy Mosley, et pas que géographiquement parlant (réponse : Virginia Beach, comme les Neptunes), il faut remonter à 1993. Timmy T, son blase de DJ d’alors, devient le padawan DeVante Swing, mondialement connu pour être le producteur du groupe R&B le plus sulfureux de l’époque, Jodeci. Aux côtés de d’une certaine Missy Elliott, il réalise sa première apparition officielle en tant que Timbaland, rappeur et producteur, sur Diary of a Mad Band avant d’être ghost producer à temps partiel du classique The Show, The Afterparty, The Hotel, de Jodeci toujours.
À l’heure où le groupe se sépare en 1996 après ce troisième opus, Timbaland met à profit ce qu’il a appris en matière de R&B en prenant en charge une jeune chanteuse hyper-talentueuse d’à peine 17 ans : Aaliyah, avec qu’il donne vie à l’album culte One In A Million, qui est toujours une immense source d’inspiration aujourd’hui. Aussitôt, il enchaîne avec The Bachelor de son ami Ginuwine et signe un classique R&B d’entrée grâce à son style de production ultra-novateur. En 1997, il remet le couvert avec le fameux classique Supa Dupa Fly de son amie d’enfance Missy Elliott. Un album hybride génial entre rap et R&B. En un an et demi seulement, le génie de Timbaland a éclaté au grand jour, à une époque où il n’y avait pas d’Internet dans les chaumières pour monter ce genre de buzz ultra-rapide.
Débutant dans le milieu du rhythm’n blues qu’il a complètement remodelé à sa façon, Timbaland a lentement mais sûrement déplacé le curseur vers le rap. Parce que voilà, son premier album Welcome To Our World, sorti en Novembre 1997, est un album de rap, ce qui a pu paraître déconcertant à sa sortie mais très logique au final. À côté de lui, Magoo, un rappeur encore plus extra-terrestre que lui, doté d’une voix naturellement bizarre : un genre de Q-Tip en fast-forward.
Le premier album de ce tandem allait aboutir d’un disque « OVNIesque » mais qui comportait bien les éléments essentiels d’un bon album de rap : des rimes, du flow, des beats, des samples (non précisés dans le livret). Pour rappel, à ses débuts, Timbo utilisait pas mal de samples relativement connus. Il y eu notamment « Visions » de Stevie Wonder qu’il a samplé pour « I’ll Do Anything/I’m Sorry » de Ginuwine, du Portishead pour Aaliyah, « Ready or Not » des Stylistics, « I Can’t Stand the Rain » d’Ann Peebles et même du Jamiroquai sur « Supa Dupa Fly ». Cet album nous réserve aussi de petites surprises. Le groove Timbaland est savamment distillé à travers des éléments très caractéristiques : des basses bouncy et des notes de synthés, des caisses qui éclatent très clairement, des suppléments de beat-boxing et autres bruitages (bruits nocturnes de grillons par exemple) qui font toute la sophistication de ses productions.
On peut dire de cet album qu’il a été quasiment conçu « en famille », car hormis Aaliyah (dont il tombera secrètement amoureux) et Missy qui est son autre âme soeur, Tim & Mag’ s’étaient entourés de Ginuwine évidemment et du groupe Playa (dont est issu le rappeur Static) qui font, et feront, pas mal de choeurs pour eux. C’est vrai qu’on parle peu de Magoo dans l’histoire mais sur cet album, il fait grand max 20 % du boulot puisque 1) il ne produit pas 2) il est absent de plusieurs morceaux où on entend Timbo rapper « à la cool » avec un flow peu orthodoxe et sa voix camouflée comme si elle émanait d’un combiné téléphonique.
Magoo n’est pas pas un très bon rappeur, ni auteur, mais il y a une capacité à débiter les syllabes avec autant de style que les beats de Timbo. Ses textes font état d’une certaine paranoïa, un égo nourri par la conscience de son incommensurable talent qui cache beaucoup de timidité et qui s’exprime par une attitude de défiance envers les règles de l’industrie du disque. Mais ce qu’il réalise est inimitable, en doutait-il ? A priori non, si on se fie à « Peepin My Style ». D’ailleurs, cet effet vocal de rapper « au téléphone » (l’air de dire « je suis là mais pas là ») est très présent et typique chez lui. Ce qui instaure une distance avec son audience. Comme si la bête préférait rester terrée dans son studio.
Une autre étrangeté de ce premier album tient dans sa composition. Avec des remixes (au nombre de trois), qui chacun ont une place toute particulière. D’abord, le remix de « Luv 2 Luv U » qui précède (!) la version « normale » qui est très classique dans la forme (avec un sample de violons) et n’a rien à voir avec son remix funky (qui dure 2 minutes de trop honnêtement), ni même avec le tube disco de Donna Summer dont le titre s’inspire.
Autre cas de figure intéressant : pour substituer les vibes laid-back de « Clock Strikes », Timbaland a osé reprendre le thème de la série télévisée Knight Rider (K2000) sur le remix. Un exemple des plus étonnants pour un résultat dingue, surtout en voiture. Seul le remix de « Up Jumps Da Boogie » ne suscite aucun intérêt. Pas étonnant qu’il figure en toute fin du disque.
Juste avant d’en finir, Welcome to our World réserve un quart d’heure pour adulte pour la fin de l’album. La séquence débute à partir de l’interlude downtempo « Sex Beat » et enchaîne sur le futuriste « Man Undercover », qui ne pouvait être interprété par nul autre qu’Aaliyah. Timbo lui a concocté une ballade stratosphérique et intemporelle (comme tout ce qu’il a produit pour elle), et son couplet pourrait être considéré comme une déclaration d’amour pour la regrettée chanteuse. Ensuite, sur « Joy », il laisse exprimer les phéromones de Ginuwine et de Playa sur une prod très hot où l’influence du maître DeVante Swing est palpable.
En 1997, alors que le rap game venait de passer son âge d’or pour celui de platine, la norme restait le boom-bap à l’est, le G Funk à l’ouest et le Dirty South au sud. Au milieu de tout ça, Welcome to our World de Timbaland & Magoo fait figure d’anomalie majeure. Et pourtant, cet album semblait plus conventionnel et moins audacieux qu’attendu pour des auditeurs qui pensaient que Timbaland avait gardé les beats les plus créatifs rien que pour sa pomme. Le monde n’était probablement pas prêt, mais vu qu’on n’est plus à une contradiction près, Welcome To Our World aura tout de même eu une certification platine sur le sol américain…
Cet article est le premier volet d’un dossier en 3 parties proposé par Sagittarius du site Sagihiphop.com. Vous pouvez continuer votre lecture avec la partie 2 ci-dessous.
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