Quatre années nécessaires au rappeur havrais pour se mobiliser sur d’autres projets dont l’écriture et la publication d’un manga en plusieurs tomes en collaboration avec le dessinateur Maxime Masgrau. Des années durant lesquelles il n’a pour autant pas cessé de faire de la musique, en expérimentant sans cesse de nouvelles directions musicales. Rencontre avec un artiste accompli à qui le rap manquait beaucoup trop pour le laisser derrière lui.
Nous avions laissé Tiers Monde (il s’appelait alors encore comme cela) à la fin de sa date commune avec Brav à la Flèche d’Or où nous avions alors réalisé une interview croisée des deux amis de toujours. Un album particulièrement bien accueilli par la critique et qui a été largement défendu sur scène. Un moment charnière pour l’artiste qui décide alors de marquer une pause: “Ce n’est pas vraiment la fin de la promotion de No Future qui m’a fait faire une pause. J’ai plus ou moins été rattrapé par les choses que j’entreprenais alors en parallèle. Les gens pensent que j’ai arrêté la musique durant tout ce temps mais ce n’est pas le cas et je pense que tout le monde va s’en rendre compte en écoutant ce projet. Cette période, c’était une parenthèse enchantée, je me suis mis à fond dans Nako. Ça devait me prendre un an et demi et au final ça m’en a pris trois.”
Une coupure qui a pu surprendre son public d’alors, d’autant que l’artiste semblait dans une bonne dynamique artistique solo après son expérience en groupe avec Brav au sein de Bouchées Doubles: “C’est vrai que je sortais d’une période où j’avais enchaîné 3 projets en 5 ans, j’étais alors un peu fatigué, aussi bien mentalement que physiquement. J’avais aussi besoin de passer du temps en famille pour rattraper toutes les choses que j’avais alors raté. J’ai aussi ressenti la nécessité de prendre du recul vis à vis de ma musique. Ma phobie n’est pas de faire l’album de trop mais l’album qui se répète, sans évolution musicale et qui sert juste la soupe parce que tu as bonne presse à ce moment-là.”
Tiers est un passionné de manga et de Japon, il ne s’en est jamais caché. De lecteur acharné à auteur de sa propre oeuvre, il semble pourtant y avoir un fossé que l’artiste n’a pas hésité à franchir: “J’ai toujours un peu dessiné, c’était dans un coin de ma tête. En étant dans une sphère artistique, tu te rends compte qu’au final, tout cela est possible. Une rencontre déterminante a été celle avec Maxime Masgrau, qui est très talentueux, qui travaille vite et bien. Un autre élément important, c’est mon voyage au Japon où j’ai rencontré Naoki Urasawa a qui l’on doit Monster et 20th Century Boy. Ce sont de grosses œuvres et en sortant de là, j’étais décidé à me mettre au travail. Au début, nous voulions juste essayer comme ça, nous n’avions pas de réelle ambition, puis nous avons eu la chance de présenter les premières planches du tome 1 à un concours à Monaco et des proposition sont arrivées tout de suite.”
Une rencontre décisive avec Maxime Masgrau qui fait alors basculer Tiers dans cette nouvelle aventure. Le dessinateur (à qui l’on doit la pochette de notre projet Deuxième Souffle) semble faire l’unanimité dans le milieu: “C’est Julien Thollard à l’époque sur une tournée de Brav en appartement qui l’a rencontré. Il est venu sur une date, a présenté ses dessins et on a commencé à bosser ensemble sur la cover de No Future. J’ai tout de suite vu qu’il était chaud en dessin et surtout très professionnel, il m’a proposé plein de covers en un temps record. Sur Nako, c’est une pure collaboration.”
Un univers malgré tout nouveau pour le rappeur qui semble pour autant tirer des parallèles entre les deux milieux: “Mon expérience dans la musique m’a permis d’évoluer dans le milieu éditorial, je connaissais déjà tout ce qui était contrat, édition etc. Je savais où il fallait faire attention, ne pas signer de contrat tout de suite parce qu’on t’a proposé de l’argent par exemple.”
Durant cette même période, les artistes de Din Records ne cessent de sortir des nouveaux clips, titres ou des projets. De quoi mettre la pression sur Tiers qui pour autant vit plutôt bien la période: “Je n’ai plus de pression, je ne suis plus dans l’optique de me mettre la pression. On est à la cool, les gens ont réclamé le projet, c’est tellement sans pression qu’on sort un mercredi! Surtout j’espère qu’on pourra faire des concerts très vite, c’est ce qui me manque le plus. Médine et Brav ont toujours été derrière moi à m’aider, à me pousser, donc tout a été très positif tout le long”.
Un projet qui n’a pour autant pas été sans difficultés comme l’avoue Tiers: “Finir les morceaux fut le plus difficile. Quand tu as beaucoup de morceaux, choisir c’est renoncer. C’est pour ça qu’on choisit de faire un double EP, ce qui est sorti n’est que la première partie car j’estime qu’il y a beaucoup de morceaux qui méritent d’être sortis. L’équipe sur ce projet est la même, on retrouve Sals’a à la direction artistique, sur les prods on retrouve Proof bien entendu, Coolax, mais aussi un biélorusse du nom de Pandora Nightz. J’ai aussi composé trois titres: « Mamadou » sur une partie, « Les Oubliés » sur la version CD ainsi que « Tiers », co-composé avec Bilal. Je me suis fais vraiment fait plaisir! »
En écoutant le projet, une des choses qui frappe en premier est l’exploration de nouveaux flows pour l’artiste, très loin de ce que nous avons pu entendre jusqu’alors: “J’ai toujours été influencé par les rappeurs que j’écoute. Je ne suis qu’une grosse fusion entre Danny Dan, MC Solaar, Jay-Z… Je continue d’écouter de la musique et donc dans mon flow d’aujourd’hui, tu vas retrouver du J-Cole, du Kendrick Lamar… J’essaie de faire ma sauce, par exemple la petite voix aiguë, c’est plutôt inspiré de Kendrick. Le public a besoin de comprendre qu’artistiquement, on a besoin de tester des choses. Encore une fois, je ne vois pas l’intérêt de revenir avec un No Future bis.”
Parmi les changements, on peut donc aussi noter le changement de pseudo de l’artiste, après s’être fait appeler Pad, puis Tiers Monde, Mamadou revient aujourd’hui sous le nom de Tiers. Un nouveau changement nécessaire selon le principal intéressé: “Le côté Tiers Monde, je l’assumais moins par la difficulté d’assumer tout ce que ce nom représente. J’ai longtemps tenu la barre mais à un moment, j’ai pensé à ces gens en difficulté qui voient un gars appelé Tiers Monde qui fait des mangas et qui passe la plupart de son temps à rire… Je préfère rester dans l’action mais d’une manière beaucoup plus discrète.”
Un EP nouveau donc, sur la forme mais pas sur le fond, où l’on retrouve l’écriture et les thèmes chers à l’artiste: “Je veux qu’ils prennent autant de plaisir que moi et surtout qu’on retienne que je suis quelqu’un qui tient parole et qui expérimente de nouvelles choses dans la musique. Nous sommes des humains, un jour on a envie de dire des choses, le lendemain on a envie de rire comme tout le monde. On ne dort pas le poing fermé. Ça se ressentait dans mes projets précédents et ça se ressent encore aujourd’hui. Je suis père de famille, je ne vais plus rapper comme avant car cela ne correspond plus à ma réalité actuelle.” Quitte à ce que le public soit dans un premier temps décontenancé par ces changements: “Tant que le message est là, on va s’habituer à la forme. La forme est au service du fond et pas l’inverse.”
Une évolution qui fait penser à celle opérée par le label, en terme d’image, avec en tête d’affiche Médine, très médiatisé par son utilisation des réseaux sociaux: “En vérité, les gens voient Médine comme une opération de changement dans sa communication mais à part les vêtements, Médine c’est le même que celui que j’ai rencontré au collège. Simplement Médine a fait sauter les verrous de l’intimité et les gens se rendent compte qu’il ne vit pas dans une grotte mais dans une maison avec des enfants, des jeux… La musique c’est organique, ce n’est pas figé. On ne veut pas être les vieux cons qui disent qu’on préférait Assassin etc. Pour faire vivre et perdurer sa musique, il faut la faire évoluer. Si tu ne prêches que les convaincus, tu ne sers plus à rien et tu laisses la place aux autres rappeurs.”
Tiers semble donc de retour pour de bon et si l’on en croit ses lives Instagram, cet EP semble en réalité n’être que la première partie du projet Mamadou même si, officiellement, le MC ne confirme pas encore l’info: “Je vais dorénavant être plus présent, un projet est à suivre en octobre et de nouveau en début d’année. Nous sommes vraiment dans une bonne dynamique et surtout, j’ai vraiment besoin de retrouver la scène, ça me manque grave!”
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