On a pu écouter le dernier opus de Talib Kweli quelques jours avant sa sortie. Si on vous a grillé la politesse, c’est pour vous faire part au plus tôt de notre humble avis sur ce Radio Silence. Deux ans que le compère de Mos Def n’avait plus sorti d’album studio (hormis l’EP The Seven en avril dernier). Sur ce nouveau projet, celui qui adore partager son mic avec ses potes ne déroge pas à la règle, mais s’accorde quelques moments égoïstes. Le vétéran s’y offre un bain de jouvence dont on vous propose de prendre la température.
Talib Kweli est vraiment un artiste particulier. Son nom est indissociable du rap East Coast et certains de ses morceaux sont des classiques de la Golden Era (tels que le fameux « Get By »). Il a collaboré avec les plus grands rappeurs, proposé les projets les plus audacieux mais paradoxalement, le rayon des déceptions est aussi bien rempli. Cela lui donne une carrière artistique au succès sinusoïdal, même s’il a su se maintenir au très haut niveau depuis plus de vingt ans et se construire une réputation digne du Hall of Fame. Pourtant quand on déçoit, ou qu’on doit assumer un échec, le plus important est de se remettre en selle en se rappelant les raisons qui nous ont fait tomber (parce qu’avouons-le, sa dernière proposition en date – Indie 500 – ne restera pas dans les annales).
A priori, Kweli a appris quelque chose et propose avec Radio Silence un projet qui lui ressemble : textes engagés et percutants décorés d’images et de productions impeccables, dont les rênes ont été confiées à la jeune génération. La liste des invités laisse d’ailleurs à réfléchir, notamment quand on voit Waka Flocka Flame ou Rick Ross crédités parmi les featurings, eux dont les styles ne sont pas ceux qu’on lui associerait instinctivement.
Mais restons sur les featurings et la place qu’ils occupent dans ce projet. Pour Kweli, ce n’est pas quelque chose d’anodin. L’artiste a sorti davantage d’opus en collaboration que d’albums purement solo et même sur Radio Silence, assimilé à un album solo, il prête son micro à sept reprises sur les onze tracks que compte l’album. Parmi les invités, on distingue de nouveaux talents, des gars déjà bien établis et quelques vétérans… Pêle-mêle, Kweli partage la cabine du studio avec Anderson .Paak (« Traveling Light »), Jay Electronica (« All of Us »), Waka Flocka (« Chips »), Rick Ross (« Heads Up Eyes Open ») ou Myka 9 (« Radio Silence »). Sans oublier les voix délicates et soulful de Yummy Bingham (« All of Us »), Amber Coffman (« Radio Silence »), BJ The Chicago Kid (« The One I Love ») ou Bilal (« Write At Home »). Même le jazzman et producteur Robert Glasper apporte sa touche à l’édifice sur le dernier track de l’opus, « Write At Home ».
Du beau monde en somme, qui porte ce message ambivalent mais universel que décrivent Talib Kweli et de plus en plus de personnes autour de lui : abreuvée de bruits, de nouvelles, d’informations ou de rumeurs en tout genre, notre attention se détourne de l’essentiel et l’oppression devient la norme, malgré la douleur sourde et étouffée des laissés-pour-compte.
Sometimes it’s hard to believe
In what you don’t see or understand
But the picture is so much bigger
Than what we could even imagine
It’s hard to feel better
When the weight of the world make you feel sadder
Put your faith into action
Heads up and eyes openHeads Up Eyes Open
À noble cause, nobles serviteurs. En s’entourant de producteurs dont le talent n’est plus à démontrer, Talib Kweli apporte une touche de fraîcheur à cet opus. Parmi eux, citons J Rhodes, Oh No, Kaytranada ou The Alchemist. Bien que la filiation avec le boombap soit évidente, les productions proposées laissent aussi énormément de place à la musicalité, aux interludes parlés, aux beats propres à souhait et surtout à la modernité. Même le titre d’ouverture « The Magic Hour » décline, sur des cordes assez classiques, des guitares et des basses funk, des changements de rythme inspirés.
Kweli a toujours été un amoureux de belle musique. Son action artistique s’appuie d’ailleurs sur deux piliers : la musicalité et l’engagement politique des messages délivrés. Mais politique au sens commun, qui s’adresse à la vie en communauté. Cet opus n’échappe pas à la règle. Dans le même temps, comment aurait-il pu en être autrement, au regard du contexte politique aux Etats-Unis, où les tensions raciales et l’intolérance retrouvent leurs lettres de tristesse ? Chaque track de cet album en est d’ailleurs pétri. Mentionnons à ce titre le single « She’s My Hero », qui relate le destin sacrifié de Bresha Meadows, qui a abattu son père qu’elle accusait d’attouchements sexuels.
Radio Silence est un beau projet dont la grâce nous a de nouveau fait sourire malgré la gravité des sujets abordés. Après le décevant Indie 500 de 2015, Kweli revient en forme avec un opus aux productions riches et variées, sans fausse note et avec un équilibre musical travaillé entre les productions plus bouncy et celles qui imposent davantage d’attention. Il manque peut-être encore le banger qui saura taquiner nos cervicales, mais la base est là et elle est bonne. Reste à savoir si Radio Silence rencontrera le succès retentissant qu’on lui souhaite. De notre côté, on ne peut que vous inciter à y jeter une oreille, ne serait-ce que pour écouter les couplets d’Anderson .Paak, Waka Flocka ou Rick Ross, dont les présences sont notables, ou pour donner davantage d’écho au propos de l’artiste qui dénonce l’inertie imposée aux sans-voix. « Let It Roll ».
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